Une cohabitation en 2022 ? Pourquoi pas

par Brunati
samedi 2 octobre 2021

La France a connu trois « cohabitations » depuis les débuts de la 5ème République (1986-88, 1993-95, 1997-2002), 9 années ça compte ! Quand le vote aux législatives amenait une majorité parlementaire opposée au président en exercice, ce dernier ne pouvait faire autrement que de nommer un premier ministre qui n’était pas du même bord que lui, on appelait ça une cohabitation. Ces années ont représenté une sorte d’os dans la chaussure de la 5ème République et du régime clairement présidentiel qu’elle instituait, surtout avec l’élection du président au suffrage universel direct en 1962. En effet en cohabitation, la main était du coté du premier ministre et de sa majorité plutôt que du coté du président, réduit au rôle d’opposant et dont les pouvoirs étaient de facto réduits. Impossible en effet d’aller contre les articles 20 et 21 de la constitution :
« Le gouvernement conduit et détermine la politique de la nation », « Le premier ministre dirige l’action du gouvernement ».

 Les contradictions internes de la 5ème République apparaissaient au grand jour.

L’introduction par référendum du quinquennat en 2000 changea la donne puisque la version choisie, en 2001, consistant à aligner les deux élections et à placer la présidentielle avant les législatives, faisait de l’élection présidentielle l’élection-clé, renforçant encore plus les pouvoirs d’un seul. Sous prétexte de « moderniser » les institutions de la République, en réduisant le mandat présidentiel à 5 ans au lieu de 7, on mettait de fait un coup d’arrêt aux cohabitations ! Car la classe politique y était globalement hostile alors que l’opinion populaire n’en était pas mécontente. Désireux de "réformer la France ” pour la mettre en phase avec la ”mondialisation heureuse”, les politiciens de droite ou de gauche voyaient dans la cohabitation un obstacle où à minima un frein aux orientations qu’ils voulaient mettre en œuvre.

Le quinquennat fut donc la réponse institutionnelle de la classe dirigeante aux problèmes que lui posait la cohabitation et la volonté populaire qui tentait de s’y exprimer. Il n’est pas innocent que cette solution ait été fortement recommandée et impulsée par Giscard d’Estaing avec l’idée que le quinquennat allait moderniser la vie politique car l’alternance empêchait toute politique de long terme allant dans le sens des réformes attendues. En effet au cours de la décennie 90, le néo-libéralisme, de plus en dominateur depuis le virage des années 80, était décidé à passer à la vitesse supérieure grâce à l’euro qui justement venait d’être lancé.

Rappelons-nous la période : le traité de Maastricht était passé de justesse en 1992. Le TCE, 1ere copie du traité de Lisbonne était déjà dans les tuyaux…et un puissant mouvement populaire en 1995-96 avait bousculé le pouvoir présidentiel en le contraignant à dissoudre l’assemblée et nommé Jospin premier ministre, ce qui donna lieu à une cohabitation de 5 ans, la plus longue. Les choses étaient mûres pour l’hyper-présidentialisme. Ainsi depuis 2002, le quinquennat ayant accru les pouvoirs d’un seul homme, l’élection présidentielle a écrasé les autres, en particulier les législatives dont les gens se sont progressivement désintéressés. Le taux de participation à ces élections baisse régulièrement depuis la fin des années 1980 et le quinquennat accélère ce phénomène, le taux passant au 2ème tour de 2017 sous la barre des 50 % (48,7%).

Rien pourtant ne permet d’en déduire que cette tendance à la baisse de la participation aux législatives continuera. Car la situation n’est plus la même qu’en 2017 où la dynamique pro-macron était dans sa phase d’ascension, passant de 8, 6 millions de voix au 1er tour à 20,5 millions au 2ème. A ce même 2eme tour le RN progressait seulement de 3 millions en obtenant 10,6 millions de voix alors que la somme des abstentionnistes, votes blancs et nuls s'élevait à 16 millions, progressant de 4,5 millions de voix. Dans la foulée du 1er tour de la présidentielle, après la défaite des opposants classiques, il était prévisible que l’abstention serait importante au second tour. Rien d’étonnant ensuite qu’ aux législatives elle ait été encore plus massive.

Deux éléments rendent possible l’hypothèse d’une cohabitation en 2022.

Le premier est l’érosion plus que probable du vote Macron en nombre de voix par rapport à 2017. En effet le fait que 60 % des français ne souhaitent pas un nouveau duel Macron/Le Pen alors que les sondages donnent invariablement ce résultat, invite à penser qu’un nombre significatif de Français n’espère plus ni dans l’un ni dans l’autre sans toutefois se reporter sur un 3ème qui ferait la différence, autrement dit la désaffection pour l’un ne profite à aucun des autres. Le désaveu touche donc l’ensemble de la classe politique actuelle. Ce constat s’est une fois de plus vérifié spectaculairement lors des dernières élections régionales.

C’est pourquoi les choses ont peu de chances de se répéter et Macron ne réalisera vraisemblablement pas son score de 2017. De plus il n’aura pas en 2022 le bénéfice que lui a apporté en 2017 la neutralisation opportune de son principal concurrent sérieux, l’ex-premier ministre de Sarkosy pendant 5 ans, Fillon. Enfin aura-t-il l’appui total et unanime des grands médias ? Ce n’est pas sûr. Ce qui comptera ici pour le camp macronien, au-delà de limiter la casse, c’est d’avoir significativement plus de réserves de voix que ses adversaires, notamment Marine Le Pen, chose assez facile au demeurant dans la mesure où celle-ci rafle l’essentiel de ses voix au 1er tour.

Le deuxième élément qui permet d’envisager l’hypothèse d’une cohabitation est l’échec de LREM à construire un mouvement structuré. Le parti dont rêvait Macron est aux abonnés absents et ses partisans auront beaucoup de mal à ré-itérer leur score des législatives 2017, score dû en grande partie à l’effet de nouveauté et de surprise qui fit l’efficacité de la campagne de leur chef. En 2022 l’effet de nouveauté ne jouera plus et les macronistes auront du mal à retrouver l’athmosphere frisant parfois le délire de leur campagne d’alors, car leur audience dans le pays s’est singulièrement rétrécie et leurs troupes avec. De plus à l’assemblée les députés LREM n’ont pas convaincu, il suffit de voir leurs résultats piteux à toutes les élections locales, sans compter les désertions et évictions que ce mouvement a connu.

Miroir exact de l’autoritarisme de leur patron, ce groupe parlementaire a démontré son impuissance à débattre et à faire vivre ne serait-ce que la fiction d’une assemblée démocratique. La réussite très momentanée d’un « parti » créé de toutes pièces a fait pschitt. L’illusion est tombée, parce que c’était une illusion dès le départ malgré les trouvailles de communication du style ”LREM”. Les vieux discours politiciens de droite et de gauche étant usés, tout l’art de Macron a été de faire croire aux gogos le temps d’une campagne qu’il allait renouveler le discours politique. Cinq ans après son discours est aussi usé que celui des précédents.

L’abstention massive que tout le monde observe est donc le résultat des illusions perdues de ces quinquennats successifs. Le ”tout sauf Le Pen ” de 2002 a donné Sarkosy en 2007. Le ” tout sauf Sarkosy” a donné Hollande en 2012 et enfin le ” tout sauf la droite et la gauche » a donné Macron. Le dégagisme est une impasse et ne fonctionne pas ! il renforce l’illusoire coyance en une personne providentielle et profite finalement au présidentialisme car il permet de ne pas mettre en question le système présidentiel lui-même. Il est temps de faire le bilan, d'effectuer un saut qualitatif en « dégageant » le présidentialisme par le boycott.

De plus dans le contexte actuel d’une dérive autoritaire des exécutifs, français, européens et mondiaux, phénomène que la ” crise sanitaire ” a facilité et accéléré, de plus en plus de gens se demandent comment freiner et empêcher cette mauvaise pente, une partie de la population montrant la voie en n’hésitant pas à manifester pour la liberté dans les rues chaque samedi. Ce mouvement qui ne faiblit pas, bien au contraire, démontre une prise de conscience nouvelle, une réaction après la torpeur dans laquelle la population a été plongée par les confinements. 

Or que reste-t-il au peuple comme outil pour s’opposer à l’exécutif sinon l’assemblée législative ? La présidentielle n’étant certainement pas le terrain pour aller dans ce sens puisqu’elle renforce le présidentialisme, se mobiliser pour les législatives rejoint le combat fondamental pour les libertés, pour la préservation et l’extension des droits politiques.

Le pari d’obtenir la majorité absolue à l’assemblée est loin d’être gagné pour le futur président et la ré-élection d’un Macron affaibli avec une majorité parlementaire relative, ou même en minorité est tout à fait possible. L’hypothèse est envisageable également si la droite devançait Macron au premier tour des présidentielles, scénario moins probable. Il n’est pas du tout certain que la droite, actuellement en pleine décomposition-recomposition obtienne facilement une majorité à l’assemblée et si jamais elle gagnait la présidentielle elle pourrait bien se retrouver elle aussi face à une assemblée divisée mais majoritairement opposée au président.

Cependant malgré son impopularité relative Macron a toutes les chances d’être réélu.
D’abord parce que si on en croit les sondages son socle électoral de 1er tour ne varie pas, entre 23 et 26% des votants se portant sur son nom quoi qu’il arrive, car ils estiment qu’il n’y a pour le moment pas de meilleur candidat que lui pour incarner leurs options. Son électorat est stable. Il y a donc peu de chances pour qu’il ne soit pas qualifié au second tour.

Ensuite Macron dispose d’une réserve de voix plus conséquente que MLP pour le second tour. On voit mal en effet les partis dits « de gouvernement » (UMP, PS) appeler à l’abstention en 2022. Ils vont donc certainement apporter un « soutien critique » à Macron au 2ème tour pour ne pas perdre ceux de leurs électeurs qui croient aux beaux discours du « réalisme » et du « cercle de la raison ». D’un autre coté pour ne pas se déconsidérer en perdant leurs dernières plumes, l’idée de transformer les législatives en 3 ème tour peut leur chatouiller l’esprit. Encore faut-il qu’ils anticipent habilement les attentes populaires et changent suffisamment leur discours habituel, ce qui n’est pas gagné... Le problème pour eux est que leur audience auprès de la population est au moins aussi mauvaise que celle de la majorité actuelle. D’où d’ailleurs un affaiblissement prévisible des reports de voix de leur électorat vers Macron au second tour de la présidentielle, ces électeurs se portant plutôt vers l’abstention que pour les deux finalistes présumés.

Le défi est bien de faire en sorte que la victoire de Macron (ou d’un autre), soit la plus fragile possible et d’accompagner ce mouvement en lui donnant un sens. Ce sens peut être apporté par l’idée d’une cohabitation d’un type nouveau, atypique. Cette hypothèse n’est pas farfelue, certains observateurs reconnus de la vie politique l’ont même déjà évoquée (Michel Vieworka le 3 août 2021 dans Sud-Ouest.) Le pari est donc de mobiliser pour les élections législatives les abstentionnistes de la présidentielle. Le principal obstacle à cette perspective est le pessimisme des Français, ce mélange de scepticisme et de méfiance, voire d’indifférence à la chose politique, que la période des 18 derniers mois a fortement accentué. Le morcellement accentué de l’offre politique trouve son correspondant dans le morcellement de la société, dans la disparité des formes d’inégalité et des situations vécues au quotidien, situation dont profite la démagogie d’un Zemmour. Tout l’enjeu est d’offrir une réponse positive à cette situation délétère. La perspective de reconstruire les bases de la nation par une nouvelle constitution pourrait être facilitée par une cohabitation.


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