Une rentrée originale : le mammouth bougerait-il ?

par gem
jeudi 14 septembre 2006

La rentrée scolaire, c’est le marronnier de septembre. Au menu habituel : hurlements syndicaux (manques de classes, de sous, de profs etc.), récriminations de parents ( classe manquantes, rythmes scolaires contestés, programmes et cartables trop lourds et portefeuille trop plat, etc), et, bien sûr, satisfaction officielle... Eh bien non, pas cette année : pour une fois, ce sont deux vrais sujets qui ont tenu la vedette : la carte scolaire et l’éradication d’une mauvaise méthode d’apprentissage de la lecture. Et le peuple et le pragmatisme semblent bien l’emporter sur l’idéologie : le Mammouth est-il en train de se faire dompter ?

Commençons par la lecture.

Il y a évidemment des questions d’amour-propre : le virage à 180° de l’institution transforme l’ancienne avant-garde, à la pointe de la pédagogie, en arrière-garde harcelée... Se faire ringardiser quand on a suivi, voire créé la mode, c’est cruel. Et, comble, avec la controverse publique, le ministre exige l’obéissance des inspecteurs, qu’il oblige à manger leur précédent chapeau, devant les enseignants, devant tout le monde, à la télévision même ; ça grince, et c’est normal.

 

Mais, sur le fond, que trouve-t-on ? Que nous dit la science expérimentale en matière de méthode de lecture ?

A la suite de l’article que Cabouin, Cyberthi, le 5 septembre 2006 à 11h06, fournissait, je le cite : <a href="http://www.ecoledemocratique.org/IMG/rtf/Lir_meth.rtf">la seule étude francophone comparative crédible sur les méthodes de lecture > en ajoutant "Si vous en trouvez une autre montrez-la moi (j’ai environ 800 documents, thèses, publications, articles sur le problème de la lecture ayant été confronté aux difficultés de mes enfants."

Merci à Cyberthy : j’ai trouvé ce document très accessible et très clair, j’ai émis le souhait qu’on en fasse un article, et finalement je le fais moi-même. Passons sur la honte relative d’être obligé d’aller chercher en Belgique des informations qu’on attendrait de notre Mammouth national, saluons bien bas nos voisins, et voyons cela.

C’est une étude expérimentale sur 450 enfants, de 24 classes, dans 12 écoles. Les auteurs sont prudents, ils se veulent objectifs, sans a priori contre ou pour une méthode, et rappellent que tout cela peut dépendre de bien des paramètres, etc.

Pour le commun des mortels qui veut une réponse claire, dégagée des précautions scientifiques, la conclusion est nette : les méthodes "globale" et "mixte" ne valent rien sans un bon substrat de méthode syllabique et combinatoire (bref : B-A-BA) acquis en première année d’apprentissage. Avec un professeur qui suit un manuel. Ce sont les plus mauvais lecteurs qui souffrent le plus d’une mauvaise méthode, la queue d’une classe "combinatoire" restant en fait comparable à la moyenne d’une classe de "méthode mixte" ou "globale", méthodes qui, en plus, peuvent laisser jusqu’à un quart des élèves totalement hors course (qui, aux tests de lecture et de compréhension, peuvent répondre plus mal que le hasard !).

En outre, l’étude souligne en conclusion, en termes très diplomatiques mais très clairs, l’absence totale d’arguments scientifiques en faveur d’une "pensée actuellement [en 1996] dominante qui défend avec force la supériorité indiscutable de la pédagogie fonctionnelle " (comprenez : globale ou mixte)...

Enfin l’étude confirme des choses par ailleurs connues ou évidentes, mais comme ça n’était pas son objet, les auteurs n’insistent pas : les filles apprennent mieux que les garçons, les autochtones mieux que les immigrés, les enfants avec un vocabulaire riche et varié et ceux qu’on fait le plus travailler la lecture ont de meilleurs résultats... et le redoublement ne sert à rien, les petits effectifs non plus.

Alors maintenant, on peut chipoter et se dire que plus de vingt ans de dogmatisme anti-syllabique et encore dix ans pour entendre la voix de la science expérimentale - l’étude est de 1996, nous sommes en 2006 -, c’est un peu long. Certes.

Mais remarquons quand même le progrès : l’introduction de la méthode globale a été faite entre experts, experts auto-proclamés usant d’arguments totalement dépourvus de support expérimental, purement idéologiques (dans la grande tradition du lyssenkisme). Le bannissement de ces méthodes aurait pu se faire de même, sans plus de fondement et toujours entre soi, au sein du Palais (n’oublions pas que de bonnes décisions peuvent être prises pour de mauvaises raisons !). Or, au contraire, l’affaire a été portée par le peuple, à partir des observations expérimentales. Il y a là une victoire majeure et très notable du pragmatisme contre l’idéologie, du peuple contre les charlatans hauts placés.

Même chose pour la carte scolaire.

Comme pour les méthodes globales, voilà nos experts obligés de se justifier devant les élus et le peuple lui-même. Et pas seulement sur le plan des intentions - ça, c’est facile-, mais sur le plan des effets réels, ce qui est plus difficile !

Certains, par exemple ici, le 11 septembre 2006 à 13h21 nous ont dit que l’Allemagne et les USA n’ont pas carte scolaire, et qu’ils sont pareils ou pire que nous dans la fameuse étude PISA qui sert de référence. Bonne idée, ça, la comparaison internationale. Chiche ! Cherchons un peu. Ici, par exemple, ou , et là, et encore ici, que voit le non-spécialiste qui veut s’informer ? Stupeur : aux USA la carte scolaire existe ! Idem en Grande-Bretagne, qui nous est comparable en termes de résultat PISA ! Inversement, il n’y a pas de carte scolaire en Finlande, et au Japon elle n’existe que pour le primaire (ce sont deux pays en tête pour l’étude PISA). Pas de carte scolaire non plus en Hollande, ni en Belgique, deux pays bien notés. Si la carte scolaire a un effet pédagogique, il est plus probablement mauvais que bon ...

De même, il n’y aucune preuve ni même aucun indice concret d’un quelconque effet positif sur un autre plan (gestion administrative, mixité sociale, etc.), en dépit de l’ancienneté de ce dispositif. Si tous les avantages supposés de la carte scolaire n’ont d’assise qu’idéologique, sans le moindre indice pragmatique, si cette contrainte pour les parents (qui font beaucoup d’efforts, y compris financiers, pour en échapper !) n’apporte rien à la société, alors elle est intolérable et doit disparaître. Même s’il n’existe pas non plus, il faut le souligner et le reconnaître, de preuve que la carte scolaire serait forcément nuisible à la société (pour les parents, ça c’est clair !).

Au passage, sachant qu’il paraît que le couple Hollande-Royal a mis ses enfants dans le privé (et d’autres éléphants du PS itou), donc hors de la carte scolaire, voilà un parti qui doit se trouver gêné aux entournures pour prétendre vouloir la conserver telle quelle... Cette seule raison me semble suffisante pour pronostiquer que, quoi qu’il arrive, la carte scolaire à l’ancienne, où les enfants sont obligés de s’adapter à l’offre scolaire disponible à proximité, est moribonde.

Ça laisse de la place à une "carte scolaire" dans l’autre sens, quand c’est l’offre publique qui s’adapte à la demande et qui s’assure que tous les enfants, n’importe où en France, ont un égal accès à l’enseignement, qualité et diversité comprises. Exactement comme l’offre publique de soins ne se traduit pas par une "carte sanitaire" qui vous enverrait d’office dans l’hôpital de votre quartier, sans discussion, en vous laissant comme seule alternative une clinique privée...

Pour conclure, je vais encore piquer à Cyberthy : " Ne faites pas d’un problème complexe un débat politicien sans argument scientifique fondé".


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