Victoires en trompe l’œil, claque présidentielle et grand désenchantement

par Laurent Herblay
vendredi 25 juin 2021

Les résultats du premier tour des élections régionales et départementales ont apporté leur lot de surprises, largement commentées  : abstention record, bons scores des sortants, de droite comme de gauche, score décevant du RN par rapport aux sondages, et déroute majeure de la majorité présidentielle. Mais la réussite des présidents sortants doit être sérieusement remise en perspective.

 

De vraies défaites et des succès très étriqués

Bien sûr, les 44% de Laurent Wauquiez, les 41% de Xavier Bertrand et les 36% de Valérie Pécresse, très loin devant leurs adversaires, peuvent les faire apparaître comme les vainqueurs de ce premier tour. Les deux premiers semblent totalement assurés de leur réélection et la troisième est grande favorite. Néanmoins, avec un niveau de participation tellement faible, leurs résultats sont beaucoup moins glorieux pour qui considère l’ensemble des électeurs, comme le communique le ministère de l’intérieur. Wauquiez n’a réuni que 13,8% des inscrits du fait d’une abstention de 67% et 2,7% de votes nul et blanc. Bertrand ne rassemble que 13% des inscrits avec 67% d’abstention et plus de 4% de votes nul et blanc. Enfin, Pécresse a réuni à peine 10,8% des inscrits avec 69% d’abstention et 2,5% de votes nul et blanc.

Pour remettre les choses en perspective, on peut rappeler que, lors des élections européennes de 2019, du fait d’une abstention de « seulement » 50%, le RN avait rassemblé 11,2% des inscrits et LREM 10,7%. En clair, LR réunit moins de voix que le RN et LREM en 2019. Voilà qui relativise grandement ce qui peut apparaître comme une victoire au premier abord. D’ailleurs, Bertrand ne progresse pas en part des inscrits : il a seulement fidélisé son électorat de 2015. Et si le score de Wauquiez est impressionnant, on peut rappeler qu’il avait réuni 15% des inscrits dès le premier tour en 2015… Idem pour Pécresse, qui n’est pas épargnée par la perte d’électeurs puisqu’elle avait rassemblé 13,6% des inscrits. Autrement dit, en part de l’électorat, Bertrand est stable, Wauquiez recule de 8% et Pécresse de plus de 20% ! Bref, la victoire de l’ancien monde est toute relative : c’est celle de borgnes au pays d’aveugles…

Les résultats du RN n’en sont pas moins décevants, même s’il faut reconnaître que son électorat était le plus suspectible de s’abstenir, ce qui a pesé sur ses scores. La forte abstention l’a très logiquement pénalisé. Mais tout de même, le recul est net, en part des voix, et donc plus encore numériquement. Dans les Hauts de France, non seulement la liste RN passe de 40 à 24%, mais elle tombe de 21,4 à 7,7% des inscrits, perdant près de deux tiers de ses voix ! Mariani résiste mieux en PACA, passant de 40 à 36% des voix exprimées, et de 20,4 à 11,7% des inscrits. Difficile d’être clair sur les causes de ce recul : conséquence de la déconnexion entre enjeux locaux et agenda du RN et du moindre intérêt de ses électeurs pour des élections locales, ou faiblesse plus intrinsèque du parti de la famille Le Pen, toujours pas une alternative désirable pour bien des Français ? Les scores de dimanche prochain seront intéressants. 

Mais s’il y a un fiasco dans cette élection, c’est bien celui de la majorité présidentielle, dont les résultats sont totalement désastreux, avec à peine plus de 3% des inscrits qui ont voté pour ses listes. Les cinq ministres dépéchés en urgence dans les Hauts de France, dont deux des plus médiatiques, semblent avoir surtout rebuté des électeurs, qui ne gouttent guère ces parachutages de dernière minute, bien peu compatibles avec leur charge. La liste n’est même pas en position de se maintenir ! Un vrai vote sanction pour Macron. Et avec 87% des moins de 25 ans qui se sont abstenus, on ne peut pas dire que l’effarant épisode McFly & Carlito aient poussé les jeunes à voter. Enfin, les configurations du second tour ne mettent même pas LREM en position de faiseur de roi, mais en celle de spectateur passif. C’est donc une déroute inédite pour une majorité au pouvoir, qui expose durement les pieds d’argile de Macron.

Mais le plus incroyable a été la réaction de certains au niveau, aussi élevé que prévisible, de l’abstention. La très snob France Inter y a vu un problème d’éducation, comme si les gueux qui composent la France ne saisissait pas l’intérêt de voter. Je pense au contraire que ce geste avait un sens : une forme de lassitude démocratique face à des dirigeants qui ont trop menti, trop trahi et trop mené des politiques contraires aux intérêts du peuple, pour servir uniquement ceux de l’oligarchie. Et ce ne sont pas les médias dans leur majorité qui peuvent améliorer la situation par leur trop grand conformisme donneur de leçons. On peut ajouter que la réforme des régions de Hollande, ou la non distribution du matériel électoral n’ont pas aidé, contribuant à creuser le gouffre entre les citoyens et les dirigeants politiques.

Plus globalement, on peut probablement dire que cette élection marque un nouveau sommet dans le profond désenchantement politique des Français. Personne ne nous convainc aujourd’hui, ce qui favorise les sortants pour les élections locales étant donné que les élus locaux restent relativement populaires. Mais cela révèle que la situation est profondément instable au niveau national tant les deux premiers partis restent peu populaires. Il y a fort à parier que l’année à venir nous réservera des surprises…


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