Voter Le Pen, c’est encore voter Macron ! Ou risquer la dictature
par Fergus
mardi 25 mai 2021
Si l’on en croit les enquêtes d’opinion, Marine Le Pen possèderait de bonnes chances de gagner l’élection présidentielle de 2022. Nul doute qu’une telle victoire aurait une influence considérable sur l’image de la France au plan international. Pas sûr pourtant que cela changerait grand-chose à la gouvernance de notre pays. Et pour cause : la présidente élue ne disposerait probablement d’aucun véritable pouvoir. Sauf coup de force…
Les électeurs du Rassemblement National se bercent d’illusions s’ils pensent que la patronne de leur parti serait en mesure d’imposer sa politique dans le cas d’une victoire en mai prochain à la présidentielle. Telle qu’elle a été rédigée, la constitution de la Ve République donne en effet la presque totalité des leviers du pouvoir exécutif au leader du parti vainqueur des élections législatives. Or, et c’est là que le bât blesse pour le RN, le parti de Marine Le Pen devrait certes fortement progresser en 2022, mais sans avoir la moindre chance de donner à la présidente élue une majorité, même très relative, de députés à l’ Assemblée Nationale.
Compte tenu de la répartition des votes RN dans le pays, le parti de Marine Le Pen ne peut, à quelques rares exceptions près, espérer gagner de nouvelles circonscriptions que dans des régions de forte implantation, notamment dans le nord, l’est et le grand sud-est. Et cela malgré le « vote légitimiste » qui, traditionnellement, induit une forte mobilisation des électeurs en faveur du parti présidentiel et de ses alliés, mais dont on peut penser que, s’agissant du RN, il ne s’exercerait que de manière très fragmentaire et sans doute très insuffisante. Pour mémoire, le nombre actuel des députés du Rassemblement national est de 6, et la majorité absolue s’établit à 289 sièges !
Ailleurs que dans les régions précitées du pays, il est probable que les candidats du RN aux législatives se heurteraient à des « fronts républicains » locaux à géométrie variable. Des alliances de circonstance plus ou moins hétéroclites, plus ou moins baroques, mais d’autant moins difficiles à mettre sur pied au 2e tour du scrutin que l’enjeu porterait sur le seul poste de député et pas sur l’opportunité pour chaque parti adversaire du Rassemblement national de disposer ou pas de conseillers territoriaux durant la durée du mandat.
D’aucuns avancent, fort lucidement, que La République En Marche subirait de très lourdes pertes en cas de défaite d’Emmanuel Macron. Cette hypothèse semble d’autant plus évidente que la grande majorité des députés LREM élus en 2017 l’ont été précisément sur la base du « vote légitimiste » évoqué ci-dessus. Le président sortant absent de la présidentielle – une hypothèse actuellement hautement improbable – ou battu, le vote législatif en faveur des candidats de l’ex-majorité présidentielle n’aurait plus de sens. Dès lors, les voix qui s’étaient portées sur LREM en 2017 se dissoudraient très largement au profit, pour la grande majorité d’entre elles, de leur camp politique d’origine, autrement dit sur l’ensemble de droite et du centre LR-UDI ou sur l’ensemble socialo-écologiste PS-EELV.
Marine Le Pen gagnant en mai 2022, ce ne sont pas 289 députés Rassemblement national qui se mettraient à son service, ni même 200 ou 150, mais plus probablement quelques dizaines d’élus, probablement moins de 100 députés dans le meilleur des cas. D’emblée, la cheffe de l’État RN se trouverait par conséquent confrontée à un problème de taille : tenter de mettre sur pied une alliance avec les Républicains pour ne pas être réduite à un rôle de présidente impuissante. Nul doute à cet égard qu’il puisse se trouver dans les rangs LR des personnalités prêtes à sauter le pas, à l’image de l’ultradroitier Éric Ciotti. Il est toutefois peu probable, à de rares exceptions près, que les caciques LR s’engagent dans cette voie. Pourquoi le feraient-ils alors que le nombre des élus de la droite modérée et du centre droit devrait fort logiquement leur donner une majorité suffisante pour assurer l’exercice du pouvoir sans avoir à le partager avec le RN ?
Bref, Marine Le Pen se trouverait en cohabitation comme l’ont été avant elle François Mitterrand avec Jacques Chirac (1986-1988) et Édouard Balladur (1993-1995), ainsi que Jacques Chirac avec Lionel Jospin (1997-2002). Et cela, sans la moindre possibilité d’y échapper, sauf à engager une épreuve de force avec le reste de la classe politique, au risque d’amener le chaos ou d’instaurer la dictature (voir ci-dessous). Le plus probable reste toutefois la cohabitation. Avec quel Premier ministre ? La belle affaire ! Qu’il, ou elle, se nomme (dans l’ordre alphabétique) Barnier, Baroin, Bertrand, Philippe ou Pécresse ne changerait rien à la politique de notre pays : peu ou prou, elle serait dans la continuité néolibérale de la ligne macroniste. Ce qui conduirait à constater qu’avoir voté Le Pen revenait de facto à voter pour l’un des clones de Macron.
Qu’à cela ne tienne, affirment les militants du RN en balayant les objections : si Marine Le Pen était élue, elle nommerait dès le lendemain de sa victoire un gouvernement de fidèles du Rassemblement National, augmenté, le cas échéant, de quelques transfuges des Républicains. Et faute de pouvoir faire voter le moindre texte législatif par une Assemblée Nationale hostile, ni recourir à des ordonnances, faute de « loi d’habilitation », Marine Le Pen procéderait par référendum comme le permettent les articles 11 et 89 de la Constitution. Avec pour double objectif : d’une part, de réformer les éléments juridiques de nature à contrarier son action, à commencer par une modification du Code électoral en vue d’un nouveau scrutin législatif consécutif à une dissolution ultérieure de l’Assemblée Nationale ; d’autre part, de présenter au suffrage direct des électeurs des projets de loi relevant habituellement du débat parlementaire.
Nul doute qu’un tel bras de fer avec le reste de la classe politique et avec les représentants de la nation, dûment élus mais dont le rôle serait réduit à néant, entraînerait une situation de chaos sociopolitique et de fortes mobilisations populaires dont nul ne peut dire ce qu’il pourrait en sortir. Dès lors, la tentation serait grande pour la présidente élue, et à ce titre cheffe des armées, de faire appel aux forces de l’ordre et aux militaires – dont les enquêtes montrent qu’ils sont très largement en soutien du Rassemblement National – pour imposer, par tous les moyens à leur disposition, une gouvernance autoritaire. Ainsi pourrait surgir en France un état dictatorial dont nul ne peut savoir sur quelles outrances il pourrait déboucher ! Est-ce cela que nous voulons pour notre pays ?