Y a t-il une droitisation des esprits ?

par Alex
vendredi 13 avril 2007

Tout a été dit sur cette campagne. Ou presque. Billets d’humeur, analyses de la personnalité des candidats, commentaires de sondages, points de vue originaux remplissent les pages des journaux et des sites web. Pour autant, éclairent-ils le choix que nous allons devoir faire dimanche 22 avril ? Sommes-nous mieux informés ? Il n’est pas possible dans un simple article comme celui-ci de reprendre les propositions des candidats, de les comparer et, surtout, de les évaluer à la lumière de faits, de chiffres, et de constats par nature objectifs. Mais il est intéressant de s’interroger sur les tendances de fond de cette campagne, hors de tout parti pris et pensée prémâchée. Le véritable enseignement est le déplacement du curseur idéologique vers la droite. Cela s’explique, d’une part, par une « droitisation » des esprits sur un plan économique, et d’autre part, par une « lepénisation » des thèmes de campagne. Ces deux phénomènes ne sont pas arrivés par hasard ; le plus ancien remonte à l’élection présidentielle de 2002.

La question centrale de cette campagne est la situation économique de la France. Chacun a bien compris que sans relance de la machine économique, il n’y avait rien à espérer. Ce n’est donc pas surprenant si la lutte contre le chômage est la première préoccupation des Français selon les enquêtes d’opinion. En cette matière, la France a entamé un virage à droite depuis la crise sur le Contrat Première Embauche (CPE) en mars 2006. Quelles que soient leur assises politiques, l’ensemble des acteurs étaient arrivés à un consensus sur la question de l’emploi : orientation des jeunes en fonction des besoins de l’économie, professionnalisation des filières universitaires, modèle de l’emploi à vie jugé obsolète, et, « souplesse » du marché du travail afin de permettre de nouvelles embauches. Toutes ces mesures semblent être aujourd’hui des lieux communs de la pensée politique mais ce n’était pas gagné d’avance. Car s’adapter aux « besoins de l’économie », associer les universités et les « entreprises », remettre en cause « l’emploi à vie » et introduire de la « souplesse » dans l’économie aurait déclenché, il y a encore quelques années, une grève générale si un gouvernement de droite en avait fait sa feuille de route. Mais en ces temps de campagne présidentielle, le Parti socialiste (PS) ne trouverait plus rien à redire à cette série de propositions. Un changement de mentalité a commencé à naître.

Le deuxième élément expliquant cette « droitisation » des esprits sur un plan économique est l’avènement d’une droite qui n’a plus peur de s’affirmer, de s’assumer, de se dire « de droite », en la personne de Nicolas Sarkozy. La droite a ainsi retrouvé un pouvoir de proposition. « Travailler plus pour gagner plus », le refus de « l’assistanat », la culture de l’entreprise sont des mots d’ordre scandés en boucle par Nicolas Sarkozy depuis la création de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) en 2002. Mais la droite ne s’est pas contentée de proposer, elle a aussi convaincu dans une large franche de l’électorat. Car le Parti socialiste n’a pas formulé de véritable contre-projet avec Ségolène Royal. Au contraire, la candidate socialiste a, dans un premier temps, emboîté le pas à la droite : remise en question des 35 heures à l’hôpital, refus de l’assistanat, admiration du modèle anglais blairiste. Adieu la social-démocratie scandinave, place aux foudres de la City ! En résumé, la gauche a mis énormément d’eau dans son vin interventionniste avec Mme Royal et la droite a cessé d’être dirigiste avec Nicolas Sarkozy. Cependant, rien n’était joué. L’ouverture à droite de la candidate socialiste masquait la division de son état-major : entre les Mélenchons ou autres fabiusiens et les strauss-kahniens, point de salut ! Mme Royal oscille toujours entre le retour des éléphants et son émancipation, entre le socialisme et la social-démocratie. Profitant de ce flou idéologique, le candidat de l’Union pour la Démocratie Française (UDF), François Bayrou, est entré en scène en se repositionnant à gauche sur le plan économique. Il emprunte au Parti socialiste son projet d’avenir : la social-démocratie, qu’il rebaptise « social-économie ». Faute de vision cohérente à gauche, la droite (ex-UDF et UMP) s’est redéployée sur le terrain économique ; ce qui a entraîné une droitisation des esprits.

Depuis l’entrée du Front national (FN) dans la vie politique dans les années 80, Jean-Marie Le Pen a construit son programme autour de deux axes principaux : l’arrêt net de l’immigration et le refus du système politico-médiatique. Or, Nicolas Sarkozy et François Bayrou ont respectivement récupéré l’un des deux thèmes qui ont assuré la gloire du Front national. Dans ces conditions, le candidat frontiste a peu de chance d’être qualifié pour le deuxième tour. Ses propositions phares ont été édulcorées et réappropriées par deux candidats appartenant à des partis dits républicains. Seule la question européenne aurait pu lui assurer sa place au deuxième tour étant le seul « grand candidat » à avoir voté « non » au Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE). Cependant, la construction européenne, enjeu pourtant déterminant de l’identité nationale, ne semble guère intéresser les Français dont les préoccupations sont plus concrètes. Nicolas Sarkozy veut être le candidat de l’immigration. Il souhaite qu’elle soit « choisie », et non plus « subie », proposition plébiscitée par nombre de citoyens si l’on en croit les enquêtes d’opinion. La ligne de pensée du PS est au contraire très ambiguë : après avoir dénoncé les « rafles » devant les écoles (expression établissant une comparaison entre les arrestations d’enfants entrés illégalement sur le territoire français et celles perpétuées contre les juifs sous le régime de Vichy), après avoir appelé à la régularisation massive des parents sans papiers dont les enfants sont scolarisés, Mme Royal a vu ses propos rectifiés par le Premier secrétaire du PS, François Hollande, qui préfère une régularisation « au cas par cas ». Exactement ce qu’avait choisi de faire Nicolas Sarkozy en juillet 2006... La gauche perd des voix à chaque fois qu’elle s’aligne sur la droite. De plus, le candidat de l’UMP n’a pas hésité à établir un parallèle tendancieux entre l’immigration et l’identité nationale afin de séduire l’électorat traditionnel de Jean-Marie Le Pen. Que l’on soit d’accord ou non avec ses propositions, Nicolas Sarkozy a été le principal moteur de la droitisation économique des esprits et l’un des deux acteurs de la « lepénisation » des thèmes de campagne.

Jean-Marie Le Pen a toujours été l’homme de l’antisystème. En raison de la diabolisation dont il s’est dit être la victime, le candidat du Front national rejette depuis trente ans les élites politiques et médiatiques qu’il juge corrompues et incompétentes. Or, François Bayrou a fait sienne la contestation extrémiste et l’a propulsé au devant de la scène médiatique. Plus personne ne la trouve fascisante. Elle est même en passe de devenir le nouveau sujet de prédilection du politiquement correct parisien. Avant tout, François Bayrou dénonce les privilèges des hommes politiques (il a proposé de réduire symboliquement de 20% le budget de l’Elysée), et leur reproduction garantissant ad vitam eternam une noblesse d’Etat (il a plaidé pour la suppression de l’Ecole Nationale de l’Administration). L’attaque se situe également sur le terrain médiatique : les journalistes feraient l’élection, bien aidés et inspirés qu’ils sont par les sondages. Le candidat centriste espère ainsi récupérer les votes contestataires exprimés lors de l’élection présidentielle de 2002 (ceux qui avait voté Le Pen par désespoir) et du référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE) en 2005 (ceux qui avait condamné la technocratie). Enfin, et là se situe sans doute le point le plus intéressant, François Bayrou ajoute à la dénonciation lepéniste traditionnelle un élément constitutionnel : il veut incarner le dépassement du clivage droite/gauche. Cependant, il ne voit pas d’inconvénient à s’inscrire implicitement dans ce clivage sur un plan économique. Comme nous l’avons vu, il s’est replacé stratégiquement au centre gauche pour récupérer les électeurs déçus par Mme Royal. Mais ce rejet global du système va certainement le conduire au second tour étant donné la croissance exponentielle des actes de défiance du peuple français à l’égard des hommes et des partis politiques ces dernières années.


Lire l'article complet, et les commentaires