Référendum 14 : L’économie sociale de marché

par Pierre Bilger
mercredi 27 avril 2005

C’est un curieux retour des choses que celui par lequel plus de cinquante ans après son émergence, l’économie sociale de marché, inventée par les ordo-libéraux allemands et popularisé par Ludwig Erhard, revient à l’honneur pour tenter d’apaiser les préoccupations de ceux auxquels on fait croire de manière abusive que le traité constitutionnel impose de manière irréversible le libéralisme économique à la société européenne.
Dans une note publiée sur ce blog, François Bilger a expliqué la genèse intellectuelle de ce concept et la manière dont, au fil des années, il a été mis en œuvre en Allemagne avec des fortunes diverses.
Cette histoire explique que ce soient les socialistes européens qui aient recherché et obtenu au cours des débats de la Convention que l’adjectif sociale soit ajouté à économie de marché dans l’article I-3 qui définit de la manière la plus globale l’objectif que le traité constitutionnel assigne à l’Union européenne dans le domaine économique et social :

L’Union oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.
Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant.
Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.

Certains diront qu’il ne s’agit que de mots. En fait il s’agit d’idées qui définissent, si on les analyse attentivement, un modèle économique européen, différent du modèle anglo-saxon ou plutôt de la caricature qui en est souvent faite.
Et aux sceptiques qui ne croient pas à la puissance des idées, j’opposerai le propos célèbre de Keynes dont ses ouvrages ont été une parfaite illustration : Nous sommes convaincus qu’on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l’empire qu’acquièrent progressivement les idées. A la vérité, elles n’agissent pas d’une façon immédiate, mais seulement après un laps de temps.

Tel sera le sort des objectifs inclus dans le traité constitutionnel. Ils irrigueront progressivement la pratique des institutions européennes à travers l’analyse qu’en fera l’exécutif, le retentissement que leur donnera le Parlement et la lecture qu’en imposera la Cour de Justice.
De surcroît, au-delà de la force des idées, l’article I-15 du traité fournira le support juridique nécessaire, permettant aux forces politiques soucieuses prioritairement de justice sociale ou souhaitant corriger les effets qu’elles jugeraient pervers de l’économie de marché, de mettre en œuvre leur politique, à condition toutefois qu’ils en aient convaincu un nombre suffisant d’électeurs européens dans une majorité d’Etats membres :

La coordination des politiques économiques et de l’emploi
1. Les États membres coordonnent leurs politiques économiques au sein de l’Union. À cette fin, le Conseil des ministres adopte des mesures, notamment les grandes orientations de ces politiques. Des dispositions particulières s’appliquent aux États membres dont la monnaie est l’euro.
2. L’Union prend des mesures pour assurer la coordination des politiques de l’emploi des États membres, notamment en définissant les lignes directrices de ces politiques.
3. L’Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres.

Continuer à prétendre que le traité constitutionnel n’autorise qu’une politique économique et sociale, inspirée de ce que j’ai appelé l’archéo-libéralisme, ne correspond donc pas à la vérité de ce texte.


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