Ukraine : le cynisme grossier et puéril de Macron

par Laurent Herblay
samedi 23 mars 2024

Le président n’y va pas de main morte depuis fin février : sa déclaration du 26 février, refusant d’exclure l’envoi de troupes, n’était que l’introduction d’une longue séquence destinée à faire de l’Ukraine le premier sujet de la vie politique française, jusqu’à l’interview croisée de jeudi soir. De ce point de vue, c’est réussi, mais cette tentative n’est-elle pas trop grossière pour duper les Français ?

 

Trumpisme politiquement correct

La ficelle est un peu grosse pour ne pas se voir comme le nez au milieu de la figure. En trois semaines, la guerre en Ukraine est devenue LE sujet central de tout le camp présidentiel. Le plan de communciation est massif, avec un président, un Premier ministre et une tête de liste pour les élections européennes qui multiplient les déclarations trop fortes et cohérentes pour ne pas y voir que c’est surtout de la communication. Un vote inutile a donc été organisé à l’Assemblée Nationale, complété par une intervention sur TF1 et France 2 en même temps pour maximiser l’audience, tout juste correcte, marquant seulement une pause dans la baisse du nombre de Français qui s’infligent le discours présidentiel. L’histoire est simple : les gentils courageux prêts à défendre l’Ukraine face aux méchants lâches qui soutiendraient Poutine, réincarnation d’Hitler, si on en croit Valérie Hayer, tête de liste macroniste

La brutalité soudaine et outrancière du propos est plus que suspecte, derrière la leçon de l’apprenti professeur de l’Elysée, d’autant plus qu’il est le premier bénéficiaire de ce virage. En effet, ce virage vient trop idéalement juste après le fiasco de son remaniement, puis une révolte paysanne populaire, qui semblait se réveiller après sa venue aux forceps au Salon de l’Agriculture. La question de l’Ukraine et des déclarations répétées du président ont permis de passer à autre chose, de très présidentiel, en créant des fractures et des polémiques qui saturent tout l’espace médiatique, au point d’oblitérer les trop nombreuses mauvaises nouvelles du front économique, entre croissance en berne et austérité en marche. Le calendrier est trop parfait pour un président si cynique et qui a beaucoup varié sur le sujet. L’histoire d’une brutale aggravation de la situation avec Poutine est une invention destinée à justifier le revirement de Macron.

Les déclarations intempestives du président posent d’innombrables problèmes. Outre le fait de ne pas sembler être bien coordonnées avec nos généraux (selon le Canard Enchainé), et nos partenaires, elles sont en partie mensongères, et plus largement totalement contre-productives. Jacques Sapir a montré comment Gabriel Attal a menti effrontément à l’Assemblée Nationale. Jeudi, Macron a osé dire que la Russie de Poutine portait toute la responsabilité dans le conflit, comme un faucon étatsunien bas de plafond. Si on veut vraiment la paix, il est important de bien s’interroger sur les raisons de ce conflit pour trouver une issue durable. Un tel discours est digne des pires productions hollywoodiennes sans la moindre nuance. L’extension permanente de l’OTAN, contraire aux engagements occidentaux, et le comportement du pouvoir ukrainien dans les provinces russophones ont une lourde part de responsabilité dans la guerre.

Et que dire de son refus d’exclure toute option, y compris l’envoie de troupes, qui peut aussi sembler faire peser une menace nucléaire contre la Russie ? Difficile de ne pas y voir un dérapage aussi grave que ridicule. D’abord, l’OTAN, la Maison blanche, Berlin, et même Kiev se sont démarqués de ce propos. Et cette désolidarisation réduit à néant le poids de la menace macronienne, si tant est qu’elle ait eu le moindre poids pour Poutine. Est-il simplement crédible que le président russe soit influencé par une telle menace ? En premier lieu, cette menace semble plutôt être une rodomontade, en aucun cas un plan militaire concret qui pourrait changer le cours du conflit en Ukraine, à supposer qu’il soit possible d’en construire un. Ensuite, il ne faut pas sous-estimer les capacités de la Russie à obtenir ce qu’elle veut, par la force militaire, elle qui a défait les deux plus grands conquérants des derniers siècles.

« Ne pas vouloir laisser la Russie gagner la guerre  » est également une déclaration présomptueuse, surtout à un moment où Moscou semble avoir l’avantage et il est difficile de voir comment retourner la situation. Pour qui prendrait sa parole au sérieux, ce qu’heureusement plus grand monde ne fait, cela devrait vouloir dire que les pays occidentaux vont vraiment renforcer leur aide militaire à l’Ukraine, et donc apporter un renfort de troupes. Peindre de manière catastrophiste les conséquences d’une telle victoire pour les Français est un autre mensonge du président. La Russie n’a pas les moyens d’aller très loin de son pré carré, et tomberait de toutes les façons sous le coup du feu de l’OTAN. Et dans la vie de tous les jours, la Russie peut à tout moment rallumer notre inflation en restreignant ses exportations d’hydrocarbures ou de céréales. Et ne serait-elle pas plus encline à le faire si nous nous montrons plus hostiles ?

Tout ceci ne signifie pas qu’il faut renoncer à aider l’Ukraine dans cette guerre. L’horreur de la guerre sur son sol, les milliers de morts et de familles meurtries nous imposent d’aider ce pays. Néanmoins, ce ne sont pas les fanfaronnades à destination de communication intérieure du président qui amélioreront la situation. Elles ne sont pas crédibles, et trouvent le moyen d’irriter nos alliés (qualifiés de « lâches ») et une Russie pour qui nous sommes devenus un pays plus hostile que la moyenne, à affaiblir, alors que nous aurions pu être un acteur de la paix. Bien sûr, que Poutine veuille nous affaiblir n’est pas une raison pour se taire, mais aujourd’hui, la France s’affaiblit sous l’action de la Russie (en Afrique notamment), sans que cela n’apporte quoique ce soit à quiconque. Ce jeu de postures n’a que des inconvénients sans avoir le moindre avantage concret, autre que d’avoir permis au président de passer à une autre séquence politique qui lui offre le luxe de stigmatiser ses oppositions les plus franches, LFI et RN.

Heureusement, la défiance à son égard permet à beaucoup de décrypter sa communication, du Figaro au Front Populaire. Mieux, François Lenglet, sur RTL, offre une perspective posée et équilibrée de la situation à l’Est, loin des trop courantes caricatures dignes d’un mauvais téléfilm états-unien. L’occident a une lourde part de responsabilité dans la guerre actuelle. Et l’exploitation indue de cette guerre par un président très impopulaire est un nouveau passif à ajouter à ce roitelet bien inconséquent.


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