Des évêques français qui font la honte de l’Église catholique : « La vérité nous rendra libres » !

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 10 novembre 2022

« Il peut paraître évident, rétrospectivement, qu’on ne doit pas compter sur la personne coupable pour établir la vérité de ses actes. Cette naïveté fait ressortir que les évêques, pas plus que les prêtres, ne sont faits pour traiter des crimes et des délits. Nous ne sommes ni des magistrats ni des policiers et nous n’avons pas à le devenir. Il nous faut être conscients de cette incompétence et recourir résolument à l’aide de tiers compétents. » (Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le 7 novembre 2022 à Lourdes).

Nouvelle douche froide pour l'Église de France, un an après la présentation du rapport Sauvé sur la situation des abus sexuels au sein de l'Église de France. Les évêques de France se son réunis en assemblée plénière à Lourdes du 3 au 8 novembre 2022, et devant de nouvelles révélations rendues publiques, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, a dû organiser une conférence de presse improvisée le lundi 7 novembre 2022 pour faire état de la situation : actuellement, neuf évêques français sont impliqués dans des affaires d'abus sexuels.

Là, il ne s'agit pas de simples prêtres, mais bien d'évêques. Jusqu'alors, on avait reproché à certains évêques leur silence voire leur indifférence, certaines fois ayant entraîné le renouvellement de drames qui auraient pu être évités si les prêtres en question avaient été écartés immédiatement de tout contact avec des enfants ou jeunes adultes. C'était le cas du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, qui a été condamné en première instance le 7 mars 2019 à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir fait de signalement à propos d'un prêtre, dans son diocèse, coupable de pédocriminalité (il a été relaxé en appel le 30 janvier 2020, relaxe confirmée par la cour de cassation le 14 avril 2021). Un an avant lui, en 2018, de manière moins médiatique, Mgr André Fort, archevêque d'Orléans, avait été condamné à huit mois de prison avec sursis pour la même raison (ne pas avoir signalé à la justice un prêtre ayant commis des actes pédocriminels).

Ces (nombreux) actes de pédocriminalité et d'abus sexuels métastasent l'Église catholique partout dans le monde depuis au moins une trentaine d'années. La plupart du temps, la position de la hiérarchie catholique a été le silence, sinon la couverture de ces délinquants ou criminels, pour sauver l'institution, et cela dans l'esprit totalement contraire à la foi enseignée par ces mêmes prêtres et leur hiérarchie.

Ce fut probablement une question de société, où on ne prenait pas suffisamment en compte l'avis des victimes. Car c'est bien cela qu'on reproche en général à la hiérarchie catholique. Pas de ne pas avoir écouté les victimes, mais de ne pas avoir ensuite réagi, d'abord en restreignant les responsabilités du prêtre en question (qu'il n'ait plus à fréquenter des enfants), ensuite en signalant à la justice civile les faits connus, puisque l'Église n'est pas au-dessus des lois et n'a jamais prétendu l'être (Rends à César ce qui est à César !). Plus généralement, il y a eu, pendant longtemps, une sorte de minimisation de l'horreur, de dédramatisation des souffrances des victimes et on n'a pas pris conscience qu'elles ont été bouleversées, peut-être à vie, certaines se sont suicidées, etc. ; toutes tentent encore de se reconstruire.

Pour preuve de ce manque de lucidité, les déclarations du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris (et par ailleurs président de la Conférence des évêques de France à l'époque), son homélie du 31 mars 2010 à Notre-Dame de Paris, devant 600 prêtres, 75 séminaristes et plus de 2 500 fidèles.

Je retranscris ses mots car ils montrent bien que, d'une part, l'horreur n'est pas niée, évidemment, mais que, d'autre part, Mgr André Vingt-Trois n'y voyait que des brebis égarées, sans prendre conscience, comme le rapport Sauvé l'a démontré en 2021, que ces pratiques dégueulasses étaient en fait très répandues : « Notre Église est mise en accusation à la face des hommes. Elle est chargée des péchés du monde. Au mépris de la réalité des faits, dont nul ne conteste l’horreur et le scandale qu’ils ont pu causer, on s’emploie à faire endosser à notre Église, et en particulier à ses prêtres, la responsabilité morale des actes de pédophilie qui ont été commis depuis plusieurs dizaines d’années. Imputer la pédophilie au statut du prêtre engagé dans le célibat évite opportunément de regarder la réalité de ce fléau social dont chacun peut savoir qu’il frappe principalement à l’intérieur des relations familiales et dans les réseaux de proximité familiale. Ressortir des faits anciens et connus depuis longtemps comme des révélations nouvelles donne beaucoup à penser sur l’honnêteté intellectuelle des informateurs et suffit à dévoiler leur véritable objectif : faire peser le doute sur la légitimité morale de l’Église. Loin de moi l’idée de nier la réalité des actes de pédophilie ni d’oublier la souffrance, souvent irréparable, des victimes. Oui, comme je l’ai dit à l’occasion de l’assemblée plénière des évêques à Lourdes, nous sommes plongés dans la honte et le désarroi. Nous nous joignons aux regrets exprimés par le pape dans sa lettre aux catholiques irlandais. Mais nous ne sommes pas prêts à laisser jeter l’opprobre sur l’ensemble des vingt mille prêtres et religieux de France. De ceux-ci, une trentaine de prêtres et de religieux purgent la peine à laquelle ils ont été condamnés, conformément à la loi. C’est beaucoup trop, mais ce n’est pas un phénomène massif. L’immense majorité des prêtres et des religieux de notre pays vivent avec joie leur engagement au service de l’Évangile. Je n’en doute pas. Nous n’en doutons pas et nous avons confiance en leur fidélité. L’offensive qui vise à déstabiliser le pape, et à travers lui l’Église, ne doit cependant pas nous masquer nos faiblesses et nos fautes éventuelles. Notre société qui vit dans l’exhibition du sexe sans limite nous oblige à être plus que jamais vigilants et modestes dans nos manières de vivre. Chers frères et sœurs, prêtres, diacres, religieux, religieuses et laïcs, nous ne sommes que des êtres humains et nous ne devons jamais vivre dans la présomption que nous sommes au-dessus des tentations ordinaires. Mais cette prudence ne doit pas nous transformer en coupables potentiels dans toutes nos relations. » (31 mars 2010).

Dans ce long message qui traduit bien le sentiment de la hiérarchie catholique française du moment, le plus important, l'erreur de discernement, c'était cette phrase qu'on sait aujourd'hui fausse : « C'est beaucoup trop, mais ce n'est pas un phénomène massif. ». Le rapport Sauvé a montré que si, le phénomène était massif. Pourtant, si le pape Jean-Paul II n'a pas pris conscience du problème, ses successeurs Benoît XVI et plus encore le pape François étaient et sont conscients du problème et ne voulaient absolument pas couvrir les prêtres impliqués ; au contraire, ils voulaient que la justice passe. Mais c'était effectivement une lente révolution, il a fallu que les mentalités se dégageassent de cette honteuse tradition du silence et de l'indifférence et de cette idée complètement fausse que la défense de l'image de l'institution valait plus que le sort des victimes.

Alors, la déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort du 7 novembre 2022, oui, a encore choqué, par sa gravité : neuf évêques, ce ne sont pas des prêtres, sont impliqués dans des actes de pédocriminalité ou d'abus sexuels sur des enfants ou adolescents. Ce ne sont pas de simples prêtres, même si, parfois, c'était en tant que prêtres qu'ils ont commis ces horreurs, le Vatican leur a donné des responsabilités éminentes alors qu'eux-mêmes étaient en opposition totale, dans la pratique, avec la Parole de Dieu.



Et pourquoi le président de la Conférence des évêques de France a-t-il communiqué à ce jour-là ces informations ? Parce qu'il y a eu deux nouveautés dans ces affaires nauséabondes. Deux nouvelles révélations.

La première concerne Mgr Michel Santier, évêque de Luçon de 2001 à 2007 puis évêque de Créteil de 2007 à 2021. Son "affaire" commence en mars 2019 quand une première victime s'est manifestée auprès de son évêque pour des faits à l'époque où Mgr Michel Santier était prêtre. En décembre 2019, après instruction, Mgr Michel Aupetit, l'archevêque de Paris, a signalé les faits au Vatican et Mgr Michel Santier a de son côté envoyé une lettre de renonciation au pape. En mars 2020, le pape François a accepté la démission (le temps mis provient sans doute d'un changement de nonce à Paris). Ensuite, Mgr Michel Santier a été gravement hospitalisé pendant cinq semaines à cause du covid-19. C'est Mgr Michel Santier lui-même qui a annoncé sa démission le 6 juin 2020 pour raison de santé (très secoué par le covid-19) et « pour d'autres difficultés » (cette dernière raison a été peu aperçue). Cette démission est intervenue officiellement le 9 janvier 2021 par la nomination de son successeur, Mgr Dominique Blanchet, installé le 28 février 2021.

C'est en octobre 2021 que le Vatican a informé des véritables raisons de cette démission à trois évêques (dont celui auprès duquel il a été rattaché) et au président du CEF qui en a informé l'assemblée plénière des évêques le mois suivant à Lourdes. Mais ce n'est qu'en octobre 2022 que l'information est sortie dans la presse alors que cinq victimes se sont, au total, fait connaître, et qu'un signalement a été fait auprès de la justice. On a reproché à Mgr Éric de Moulins-Beaufort d'avoir mis un an avant de communiquer les faits à la justice et à la presse, mais il s'est défendu en disant qu'il avait voulu d'abord écouter les victimes et que les faits fussent établis. Mais cette durée n'est plus adaptée à la vie actuelle faite d'immédiateté des réseaux sociaux et d'information en continu.

L'autre fait, bouleversant lui aussi, c'est le communiqué, publié la veille, le 6 novembre 2022, du cardinal Jean-Pierre Picard. Évêque auxiliaire de Grenoble de 1993 à 1996, évêque de Montpellier de 1996 à 2001 et enfin, archevêque de Bordeaux de 2001 à 2019, Mgr Jean-Pierre Picard était une personnalité de l'Église qui comptait beaucoup en France et même au Vatican : président de la Conférence des évêques de France de 2001 à 2007, membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi en 2002, cardinal depuis 2006 (au conclave de mars 2013, il comptait parmi les électeurs pour désigner le successeur de Benoît XVI !), président du conseil pour l'enseignement catholique en 2013 (au moment d'une profonde réforme), il a pris sa retraite en octobre 2019 en raison de son âge et de sa santé.

Mgr Jean-Pierre Picard a reconnu de lui-même, alors qu'aucune suspicion ne pesait sur lui, une faute terrible, une seule, tout en restant très vague sur sa réalité : « Il y a 35 ans, alors que j’étais curé, je me suis conduit de façon répréhensible avec une jeune fille de 14 ans. Mon comportement a nécessairement causé chez cette personne des conséquences graves et durables. ». Il a expliqué cet aveu par la période particulière que vivait l'Église de France : « Aujourd’hui où l’Église en France a souhaité écouter les personnes victimes et agir en vérité, j’ai décidé de ne plus taire ma situation et de me mettre à la disposition de la justice tant sur le plan de la société que celui de l’Église. Cette démarche est difficile. Mais ce qui est premier, c’est la souffrance vécue par les personnes victimes et la reconnaissance des actes commis, sans vouloir cacher ma responsabilité. ». Son communiqué, très court, s'est terminé par une demande de pardon : « Je m’en suis expliqué avec elle et lui ai demandé pardon, je renouvelle ici ma demande de pardon ainsi qu’à toute sa famille. C’est en raison de ces actes que je décide de prendre un temps de retrait et de prière. Enfin je demande pardon à celles et ceux que j’ai blessés et qui vivront cette nouvelle comme une véritable épreuve. ». Cet aveu a semé un véritable choc auprès des évêques réunis à Lourdes en raison de l'estime et de la bonne réputation dont bénéficiait Mgr Picard.


Ces nouvelles informations, qui sont d'autant de nouveaux scandales dans l'Église de France, ont de quoi, une nouvelle fois, désespérer les fidèles et renforcer les ressentiments contre l'Église catholique. Mgr Éric de Moulins-Beaufort s'en est bien rendu compte lorsqu'il a déclaré : « En ouvrant cette Assemblée, j’avais souligné combien nous nous réunissions avec des sentiments mêlés et combien surtout nous sentions colère et lassitude chez les personnes victimes de violences et d’abus dans l’Église, en particulier chez ceux et celles qui avaient décidé l’an passé de nous faire confiance et aussi chez les fidèles catholiques, surtout les plus engagés, qui avaient exprimé avant notre assemblée et ont continué à exprimer pendant celle-ci leurs doutes, leur découragement, leur difficulté à assumer l’image désastreuse de l’Église donnée par le traitement des faits reprochés par Mgr Santier. ».

Le travail du président de la CEF a donc été d'abord de clarifier qui savait quoi et quand, par une chronologie très précise à propos de Mgr Santier (que j'ai rapidement esquissée plus haut) : « À part l’archevêque de Paris et le nonce apostolique, les évêques ne savaient rien de ce qu’a commis Michel Santier. Le droit canonique ne prévoit pas que le président de la Conférence des évêques participe à ces procédures. Il se trouve que j’ai été mis au courant, mais ce fut, en quelque sorte, selon la bonne volonté de chacun. Lorsque Mgr Blanchet, en décembre 2020, apprend que le pape l’a nommé évêque de Créteil, il ne sait rien de la situation exacte de Mgr Santier. ».

L'archevêque de Reims a aussi expliqué pourquoi ces faits n'ont pas été signalés plus tôt à la justice : « Le parquet n’a pas été saisi, vraisemblablement parce que les faits avaient été commis sur des personnes alors majeures, jeunes adultes mais adultes, et que ces personnes ne voulaient pas à ce moment-là avoir à être interrogées davantage, le temps ayant passé, leur vie s’étant construite. ».

Mgr Éric de Moulins-Beaufort a justifié aussi la faiblesse des sanctions infligées à Mgr Santier par la prescription des faits : « Quant à la modération relative des sanctions, elle vient, d’après ce que nous avons compris, entre autres raisons, de ce que les faits étaient anciens et sans doute prescrits en droit canonique. Le droit canonique connaît une prescription, tout comme notre droit français et celui de toutes les nations qui se considèrent comme des États de droit. La prescription empêche le juge de connaître des faits passés. Elle marque la volonté du droit non seulement de sanctionner un acte délictueux ou criminel et de réparer autant qu’il est possible ce qu’ont subi les personnes victimes mais aussi de rendre possible la réhabilitation du coupable, sa réinsertion dans la société. ».

Mais la prescription ne permettait pas tout et il en a bien eu conscience : « Toutefois, à la relecture, il apparaît que la procédure prévoit toujours un "votum", une recommandation de celui qui mène l’enquête canonique, qu’il soit l’archevêque ou le nonce ou une autre personne. Il nous faut travailler à exprimer des "votum" plus argumentés et explicités, tenant compte de deux caractéristiques de l’état du peuple de Dieu en France : d’une part qu’il est difficilement compréhensible à ce peuple de Dieu qu’un prêtre ayant abusé d’une personne à l’occasion d’un sacrement puisse continuer à célébrer la messe même en privé, d’autre part que le peuple de Dieu a la maturité nécessaire pour supporter d’apprendre les fautes commises par un de ses pasteurs. Nous l’avons beaucoup dit l’an passé et nous le croyons : "La vérité vous rendra libres". ».

Et le prélat ne s'est pas exonéré de ses propres errements : « Je reconnais volontiers les insuffisances suivantes : j’aurais pu et dû, lorsque Mgr Aupetit m’a prévenu des faits qu’il avait appris, insister davantage pour qu’une enquête approfondie soit menée ; ensuite j’aurais pu et dû m’inquiéter davantage de voir Mgr Santier être maintenu en place, alors même que sa démission avait été acceptée. ».

Au final, Mgr Éric de Moulins-Beaufort a résumé les différents faits impliquant des évêques français : « Il y a aujourd’hui six cas d’évêques qui ont été mis en cause devant la justice de notre pays ou devant la justice canonique et qui sont connus de vous, à qui s’ajoutent désormais Mgr Santier et Mgr Ricard. Deux autres, qui ne sont plus en fonction, font l’objet d’enquêtes aujourd’hui de la part de la justice de notre pays après des signalements faits par un évêque et d’une procédure canonique ; un troisième fait l’objet d’un signalement au procureur auquel aucune réponse n’a été donnée à ce jour et a reçu du Saint-Siège des mesures de restriction de son ministère. ». Plus précisément, parmi les six évêques mis en cause devant la justice, un est décédé, ce qui fait dix évêques mis en cause et ne sont plus en fonction, huit pour abus et deux pour non-dénonciation (Mgr Fort et Mgr Barbarin).

Ainsi, malgré les nombreuses insuffisances, le président de la CEF a voulu montrer que l'Église de France n'était pas indifférente et prenait ces affaires à bras le corps : « Permettez-moi d’insister sur la grande diversité des situations, des faits commis ou reprochés. Vous voyez que la justice canonique peut agir avec rigueur et systématiquement, parfois au-delà de celle de notre pays, notamment pour des faits qui sont prescrits ou non sanctionnés en droit français. Malgré ses limites, cette justice canonique tient compte de l’exigence de droiture et de cohérence attendue d’un prêtre et de la confiance que beaucoup sont prêts à faire à un prêtre, a fortiori à un évêque, au risque parfois de se laisser tomber, voire de se laisser entraîner dans ce qu’on ne voudrait pas, ce qu’ont vécu les personnes qui ont été victimes de Mgr Santier. ».





Après une telle conférence de presse, les évêques de France ont terminé le lendemain leur assemblée plénière en adressant un message aux catholiques français, afin de leur donner des raisons d'espérer malgré cette période troublée : « Nous constatons l’ébranlement de nombreux fidèles, de prêtres, de diacres, de personnes consacrées. Ces sentiments sont également les nôtres. Membres d’un même corps ecclésial, nous sommes nous aussi blessés, atteints en profondeur. (…) Certains ont pu se demander si le droit de l’Église n’organisait pas une forme d’impunité ou de traitement particulier des évêques. Ils pensent, à juste titre, que la responsabilité épiscopale renforce chez ceux qui l’exercent le devoir de droiture et la légitime exigence des fidèles comme de l’institution ecclésiale. Nous le redisons avec force : il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir, d’impunité des évêques. En raison même de la nature de leur charge apostolique, les évêques dépendent directement du Saint-Siège. Les procédures qui les concernent sont plus complexes et prennent davantage de temps. (…) Certains s’interrogent : dans les circonstances présentes, quel crédit donner aux engagements pris il y a un an pour tirer les conséquences du rapport de la CIASE ? Nous pouvons en donner l’assurance : une transformation des pratiques est bel et bien en cours, avec l’aide de nombreux fidèles laïcs particulièrement qualifiés, dont des personnes victimes. (…) Nous avons mentionné l’ensemble des situations que nous connaissons. Elles concernent des évêques qui ne sont plus en fonction. Elles ont toutes fait l’objet d’un traitement judiciaire. » (8 novembre 2022).

Un an après la repentance par le rapport Sauvé, les choses, effectivement, sembleraient n'avoir pas bougé, et pourtant, si. Les évêques sont tous motivés pour connaître et dire la vérité, fût-elle désolante, pour purger l'Église de ses brebis galeuses, dussent-elles être évêques, archevêques voire cardinaux. Chaque nouvelle "affaire", chaque nouveau scandale laisse entrevoir que rien n'aurait changé. Et pourtant, tout a changé. L'Église de France est même, en France, la première institution, en tant que telle, à avoir pris le problème sérieusement, et heureusement car il y avait urgence, autant civile que religieuse. On ne peut pas prêcher la "bonne parole" et rester indifférent à des horreurs commises hypocritement en son nom.

Mais rien de ce qui a été fait en ce sens, de toutes les actions mises en place, sera audible tant que de nouveaux scandales referont surface. Or, on ne purge pas une institution en un an, probablement qu'il faudra une génération pour le faire. Probablement qu'on connaîtra, dans quelques mois, dans quelques années, de nouvelles histoires, de nouveaux faits horribles, un évêque, ou un autre, pourtant très estimé, voire très aimé, qui reconnaîtrait une nouvelle "incartade" tragique (en l'occurrence, ce ne serait plus une "incartade"). Comme le dit Mgr Éric de Moulins-Beaufort, on ne doit pas compter seulement sur la bonne volonté des coupables, préférant se décharger moralement de leurs péchés avant de mourir à préserver leur image personnelle. Il faut aussi purger ceux qui, malgré les fautes morales, restent fautifs mais cachés. Ce sont les victimes qui doivent parler. Elles le font mais pas toutes. C'est dans des structures indépendantes, en relation avec l'État, qu'elles doivent fonctionner, ce qui est déjà le cas, mais sans doute insuffisamment. Justice doit passer, pour toutes les victimes.

Enfin, je termine sur le sujet de l'exemplarité. Non, l'Église n'est pas une institution pédocriminelle. Oui, elle y a abrité beaucoup de personnes qui ont commis des actes inqualifiables. Et elle se transforme, elle cherche à les séparer des autres, à les punir et surtout, à ce qu'elles ne soient plus en état de nuire encore. Son image, sa réputation en prend évidemment un coup, mais c'est toujours préférable à garder le secret. La vérité fait mal mais assainit. La vérité rend libre, rend les fidèles libres, rend l'institution libre. La période est donc très difficile pour l'institution, et je l'ai écrit plus haut, cela va durer nécessairement un long moment, peut-être une génération, le temps qu'il n'y aura plus aucun doute que l'institution ne défende plus les coupables, ne couvre plus, et devienne totalement "impeccable" lorsqu'il y a un cas d'abus.

Ceux qui, de l'extérieur, en profitent pour jeter l'opprobre sur l'Église de France devraient aussi réfléchir aux autres institutions qui sont aussi, nécessairement, touchées par ces abus et ces actes de pédocriminalité : d'autres religions, d'autres communautés, d'autres organisations, qu'elles soient éducatives ou sportives, mais aussi associatives et culturelles, tout ce qui a, de loin ou de près, affaire à l'enfance et à la jeunesse du pays. Ces institutions-là devraient aussi faire leur révolution culturelle. Car la remise en vertu de l'institution catholique ne suffira pas à éradiquer la pédocriminalité qui sévit dans bien d'autres milieux...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Des évêques français qui font la honte de l'Église catholique : "La vérité nous rendra libres" !
Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle.
Legs et indécence.
Secret de la confession et lois de la République.
Abus sexuels dans l’Église : honte, effroi et pardon !
Rapport de Jean-Marc Sauvé remis le 5 octobre 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église (à télécharger).
Présentation du rapport Sauvé le 5 octobre 2021 (vidéo).
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
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