« Le Petit oiseau va sortir ! »

par C’est Nabum
lundi 24 avril 2023

 

La photographie quitte son nid.

 

Alors que l'ami Christian Beaudin expose ses splendides photographies animalières à la médiathèque de Patay, je m'interroge d'autant plus sur cette curieuse expression qui a bercé mon enfance : « Attention, le petit oiseau va sortir ». Il est vrai que pour notre artiste ce sont essentiellement les petits oiseaux de nos jardins qui attirent sa gourmandise et justifient ses longs affûts. Laissons-le nous délecter de son Pouillot véloce, ce petit oiseau auquel il doit sa vocation, pour développer ici un autre argumentaire …

Au dix-neuvième siècle, alors que la photographie était balbutiante, le temps de pose pour impressionner la plaque était si long qu'il fallait trouver subterfuge pour que les enfants restent le plus immobiles possible. Certains preneurs de vue distrayaient les gamins en actionnant un oiseau mécanique pour attirer leur regard.

Rapidement L'expression fit flores tandis que ce fameux petit oiseau cessa de se matérialiser pour simplement devenir un véritable mystère dans l'esprit d'enfants, qui tout comme moi, fixèrent longtemps l'appareil dans l'espoir de le voir surgir. C'était un temps du reste où si nous étions sans doute de drôles d'oiseaux, nous n'étions pas le centre du monde. Il se peut que je fisse exception car le photographe en question était pour moi un curieux oiseau tombé du nid à la naissance.

Les clichés alors, étaient rares. Pour nombre de famille, ils ponctuaient des événements familiaux exceptionnels. Nous n'étions pas sous le projecteur d'une attention permanente qui au fil des époques, fit de l'enfant, le centre de l'univers pour de multiples raisons mercantiles. C'est ainsi qu'il n'y eut plus besoin de « Petits Oiseaux » pour attirer les cabotins et les petits chéris, qui comprirent bien vite, que sans eux, la Terre cesserait de tourner.

Il y eut même l'effet inverse. À force d'être sous l'œil de l'objectif, certains s'en lassèrent, se cachèrent ou firent des pitreries pour échapper à ce regard inquisiteur permanent. D'autres tout au contraire, finirent par penser que la vie réelle n'a de sens qu'au travers d'un œilleton qui bientôt ne comptait plus les clichés, s'étant émancipé à jamais des pellicules.

Nous entrions dans une nouvelle époque. Le Petit oiseau se fit Coucou en vampirisant toute l'existence de nos petits princes de l'objectif qui passèrent bien vite de l'autre côté de l'appareil tout en le braquant sur leur merveilleuse trombine. Le selfie ne fut qu'une étape avant de pousser plus loin le bouchon et la focale. La vie n'avait de sens que filmer à longueur de temps à bout de bras ou bien de perche.

De l'oiseau mécanique d'antan nous passions à la mécanisation, la systématisation de cet auto-scénarisation de l'existence. Les géniteurs portèrent une lourde responsabilité à force de ne donner la becquée à leurs oisillons que sous le regard de ce maudit iPhone. Ils persuadèrent les rejetons que la vie n'était qu'une vaste fiction dont les jeunes gens étaient les acteurs principaux et bientôt uniques.

Quitter le nid c'était désormais passer en mode « YouTube » à moins que ce ne fut « Tiktok » pour faire admirer son plumage et son ramage à la terre entière. Ces oiseaux-là n'avaient plus besoin d'être migrateurs, ce sont leur vie qui circulait à travers toute la Planète, en direct intégral pour le plus grand désespoir des autres occupants de la Terre.

Que vont-ils venir admirer des photographies animalières eux qui n'ont d'autre centre d'intérêt que leur nombril ? Les petits oiseaux peuvent partir et tous les autres animaux de la création. L'essentiel est qu'eux seuls restent connectés et diffusent à longueur de temps les extraordinaires, fabuleuses, mirifiques images existentielles de leur pitoyable existence virtuelle.

À contre-jour.


Lire l'article complet, et les commentaires