38 leaders musulmans répondent au Pape Benoît XVI

par David Carayol
mercredi 25 octobre 2006

Le mois dernier lors d’un exposé en Bavière le Pape Benoît XVI s’est attiré les foudres des musulmans en citant les propos tenus entre Manuel II Paléologue, empereur Byzantin et un sage Persan... il y a plus de six cents ans.

Pour mémoire, cet empereur aurait dit : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines, comme sa prescription de défendre avec le glaive la foi qu’il prêchait. »

Je ne reviendrai pas sur les protestations que cela a entraîné dans le monde musulman, l’information étant largement relayée par tous les grands médias mondiaux.

Une autre information fut, elle, beaucoup moins médiatisée, et pourtant c’est une première, c’est la lettre ouverte adressée en réponse au Pape Benoît XVI et contresignée par trente-huit responsables musulmans de dix pays, publiée la semaine dernière par la revue islamique, Islamica magazine[1]

Cette lettre est adressée dans un « esprit d’échange ouvert » et vise à apporter des précisions et à corriger quelques erreurs dans les arguments du discours de Benoît XVI.

Sur la question de la transcendance de Dieu, le Pape cite l’argument selon lequel l’empereur étant « formé à la philosophie grecque », l’idée que Dieu ne se satisfait pas du sang lui est « évidente en soi », l’enseignement de l’islam sur la transcendance de Dieu étant mis en avant comme contre-exemple.
Sur la conclusion selon laquelle les musulmans croient en un Dieu capricieux qui pourrait ou non les envoyer au diable, des passages du Coran sont cités, extraits : « Dieu encourage la justice et la bonté... et interdit l’obscénité, l’abomination et la méchanceté... », ou encore : « Ma pitié comprend tout. » Le mot pitié, rahmah, pouvant aussi se traduire amour, bonté ou compassion.
Et de conclure sur la question suivante : « N’est-ce pas évident en soi que verser du sang innocent va à l’encontre de la pitié et de la compassion ? »

Sur la question du Jihad ou guerre sainte on y apprend que le terme guerre sainte n’existe pas dans le langage islamique. Le terme Jihad signifie lutte, et spécifiquement lutte dans la voie de Dieu. Cette lutte peut prendre plusieurs formes, usage de la force compris. Enfin, bien que le terme Jihad puisse être sacré, dans le sens "être dirigé vers un idéal sacré", il ne désigne pas nécessairement une guerre.

Plus loin, on lit que les règles traditionnelles islamiques de la guerre peuvent être résumées dans les principes suivants.
1. Les non-combattants ne sont pas des cibles permises ou légitimes.
2. Des croyances religieuses seules ne peuvent pas faire de quelqu’un l’objet d’attaques.
3. Les musulmans peuvent et devraient vivre en paix avec leurs voisins.
Et de conclure deux choses.
« Si une religion réglemente la guerre et décrit les circonstances dans lesquelles elle est nécessaire et juste, ça ne fait pas d’elle une religion guerrière...
Si quelques-uns ont négligé une tradition longue et bien établie en faveur de rêves utopiques, où la fin justifie les moyens, ils l’ont fait de leur propre chef et sans l’aval de Dieu, de son Prophète, ou de la tradition apprise. »

Sur les conversions forcées ou le fait que les musulmans reçoivent commandement de répandre leur foi par le glaive, la lettre mentionne le fait que l’islam s’est principalement répandu grâce à des activités missionnaires et par le prêche ; et en tant qu’entité politique en partie comme résultat de conquêtes.

Enfin sur l’affirmation de l’empereur selon tout ce que le Prophète a apporté de nouveau était « mal et inhumain... », la réponse des trente-huit signataires est qu’il ne lui fut jamais rien commandé de tel et des versets de dire, je cite : « Rien ne lui est dit (au Prophète) que ce qui fut déjà dit aux messagers avant lui » ; et le Prophète de dire : « Je ne suis pas nouveau parmi les messagers (de Dieu), ni ne sais ce qui sera fait avec moi ou avec toi. Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé... »
Et de conclure : « Ainsi la foi dans l’Unique Dieu n’est pas la propriété d’une communauté religieuse. D’après la croyance islamique, tous les vrais prophètes ont prêché la même vérité à des gens différents et en des temps différents. Les lois peuvent être différentes, mais la vérité ne change pas. »

Cette lettre précise enfin que les communautés chrétiennes et musulmanes sont les deux plus importantes religions de par leur taille dans le monde. Ensemble elles représentent 55% de la population mondiale ; et de souligner l’importance d’avoir des relations entre les deux communautés religieuses pour contribuer à la paix mondiale.

Et ces trente-huit leaders musulmans d’écrire qu’ils partagent le désir de Benoît XVI pour un dialogue franc et sincère, et reconnaissent son importance dans un monde interconnecté.

Enfin ils espèrent, sur ce dialogue franc et sincère, continuer à construire des relations paisibles et amicales basées sur un respect mutuel, sur la justice, et sur ce qui est commun par essence dans nos traditions abrahamiques partagées, en particulier « les deux plus grands commandements » dans les évangiles de Marc et de Mathieu :


« Le Dieu notre Dieu est l’Unique Seigneur ; et tu devrais aimer le Seigneur ton Dieu avec tout ton cœur, et toute ton âme, et avec toute ta compréhension, et avec toute ta force »  : c’est le premier commandement.
Le second commandement étant : « Tu devrais aimer ton voisin comme toi-même. Il n’y a aucun autre commandement plus grand que ceux-là. »

Enfin, cette lettre ouverte conclut sur l’appréciation positive des cosignataires pour plusieurs déclarations du Second Concile à l’égard des musulmans, de paroles tenues par le Pape Jean Paul II envers l’islam et sur, je cite : « L’expression personnelle sans précédent et de la douleur du pape Benoît XVI et son assurance que cette citation ne reflète pas son opinion personnelle » et « son profond respect exprimé » devant le groupe d’ambassadeurs de pays musulmans réunis le 25 septembre.

Et de finir en espérant que « nous éviterons les erreurs du passé et vivrons ensemble dans le futur en paix, acceptation mutuelle et respect ».


David Carayol
Paris

[1] Lettre ouverte adressée au Pape Benoît XVI : Islamica Magazine

 


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