Afrique subsaharienne : islamique ou chrétienne ?

par Pierre JC Allard
mardi 25 mars 2008

Une solidarité en Afrique subsaharienne ne pourra naître qu’autour d’un mouvement religieux. Il n’est pas du tout sûr que les jeux soient faits...

Il n’y aura guère qu’une religion pour unir l’Afrique noire. Une vraie religion. Le marxisme athée a joué pour un temps en Afrique ce rôle de religion, mais le marxisme offrait trop, trop vite ; il ne pouvait générer la solidarité dans la perspective d’indigence indéfinie - la seule réaliste - dont les Africains avaient besoin. Assez ironiquement, il faut constater que le marxisme, qui dénonçait la promesse illusoire de « la tarte au paradis », sera finalement mort de ne pas l’y avoir laissée.

Aujourd’hui, dans la plus grande partie de l’Afrique, c’est l’intégrisme islamique qui a pris la relève du marxisme. Parce qu’il demande tout et n’offre rien de matériel. Quand on pense à religion, on pense islam. Encore velléitaire il y a cinquante ans en Egypte et au Maroc, expérimentale dans des conditions favorables en Libye, il y a quelques décennies, aujourd’hui appliquée en projet-pilote par Hezbollah au Sud Liban, peut-être la solidarité de l’islam peut-elle devenir à terme un vecteur de développement. Peut-être. Sera-t-elle vraiment opérationnelle demain, en Iran, au Pakistan puis en Afrique subsaharienne ?

La question n’est pas de savoir si l’on aime, ou si l’on n’aime pas, l’intégrisme islamique, mais de constater qu’il est une force qui pourrait jouer un rôle moteur pour l’émergence d’un modèle original de développement dans beaucoup de pays d’Afrique. Admettons que c’est le scénario le plus probable.

Si l’émergence de l’islam est considérée comme une mauvaise nouvelle pour l’Occident, cependant, il existe une solution de rechange que constituent les mouvements charismatiques chrétiens. La rumeur veut qu’on y pense.

L’islam est souvent présenté comme s’il était le seul candidat à l’hégémonie religieuse en Afrique. On oublie trop souvent l’influence des mouvements charismatiques chrétiens et leur potentiel de mobilisation qui n’est pas moins fort que celui de l’islam. Plus fort, en fait, puisqu’il peut référer en sourdine à ses liens historiques avec la culture occidentale dont il est issu.

Cette filiation, qui à un premier niveau semble un désavantage, puisque la relation s’établit alors avec le colonisateur, est un énorme avantage au niveau de l’inconscient, puisque les mouvements charismatiques peuvent véhiculer l’image de progrès et de succès qui est celle de l’Occident. L’image qu’on veut toujours.

En Afrique, le mouvement charismatique n’est pas plus un étranger que l’islam : ils sont, l’un comme l’autre, des produits d’importation, introduits par des envahisseurs. Une alternative chrétienne à l’islamisme n’est donc pas exclue en Afrique. Cette alternative pourrait même être fomentée par le Système néolibéral, en réponse à ce qui serait perçu comme le « danger » de l’islam.

La voie royale pour introduire cette alternative serait par le biais des mouvements charismatiques brésiliens, donc deux ou trois ont déjà plus de 10 millions de membres, ont des structures bien établies et sauraient gérer des fonds considérables. Surtout si leur missionariat est perçu comme pro-ocidental. Ces structures brésiliennes ont l’avantage supplémentaire d’être déjà des structures « noires » et de porter dans leurs gènes toute une tradition africaine précoloniale, encore enrichie des liens avec le folklore musical de l’Amérique « revival ».

Les rites de Candomblé et de Macumba, qui foisonnent au Brésil et ont tous leur origine en Afrique. Ils ne font pas partie de la démarche propre des églises charismatiques, mais ils cohabitent sur un même territoire. Bel exemple du syncrétisme qui est la grande spécificité brésilienne, terreiros de candomblé et temples évangéliques et pentecôtistes ne crachent pas sur l’échange de quelques garants d’amitié, un échange qui illustre simplement ce qui se passe vraiment dans l’âme profonde de leurs clientèles, lesquelles parfois sont aussi les mêmes et se confondent.

Il n’est pas déraisonnable de penser que, mis devant la nécessité devant faire un choix d’identification - et toutes autres choses étant égales -, l’Africain moyen et de classe modeste serait plus interpellé par une combinaison de « soul music » à l’église évangélique et de transes occasionnelles au terreiro, que par des vendredis à la mosquée et cinq prières quotidiennes le front dans la poussière.

Valeur intrinsèque mise à part de l’une ou l’autre de ces religions, l’Africain ne semble-t-il pas culturellement plus en phase avec un syncrétisme d’inspiration chrétienne, pas très loin des coutumes animistes, qu’avec un islamisme pur et dur ? Le concept de Yemanja et des orixas yorubas qui "rentrent chez eux" me semble être un concept au moins aussi porteur, en Afrique subsaharienne, que le message de Mahomet et le Coran.

Il n’y a pas que l’Afrique qui pourrait faire appel à une culture religieuse pour susciter une solidarité. L’expérience est aujourd’hui tentée en Amérique latine, de créer une originalité qui vienne justifier un sentiment d’appartenance. Les efforts bien explicites que l’on fait présentement en Bolivie pour récupérer une identité autour des traditions précolombiennes se situent bien dans cette voie.

Il n’est pas dit que cette approche sera un succès, mais il n’est pas prouvé que ce sera un échec. Ce qui en région andine joue contre l’influence occidentale jouerait en sa faveur en Afrique. C’est une voie qui pourrait être invitante.

Cela dit, syncrétisme chrétien ou islamisme, si un mouvement de solidarité surgit du tréfonds de l’Afrique, ce sera un mouvement religieux, avec ce que ceci peut apporter de violence, d’obscurantisme et de haine des autres. On mettra un ordre là où il n’y a que désordre, mais ce sera un ordre antagoniste. Est-ce une opération souhaitable ?

Je parierais qu’on va la tenter, pensant qu’il faut d’abord sortir la voiture du bourbier et qu’on verra plus tard comment l’orienter. C’est une entreprise hasardeuse. Ceux qui voudraient créer cette solidarité religieuse pour la mettre au service d’une solidarité nationale ou sociale doivent réfléchir.

Ils doivent se souvenir que souvent les tentatives pour instrumentaliser une force religieuse sincère pour en faire une solidarité « effective » à un corps politique se sont soldées, au contraire, par la sujétion à cette force religieuse de ceux qui croyaient pouvoir la manipuler !

Le monde a-t-il besoin d’une autre aventure d’apprentis-sorciers ?

Pierre JC Allard


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