Bohème et capitalisme, deux ennemis jurés, responsables de la désertion d’un sacré millénaire !

par rodofr
vendredi 7 septembre 2007

A l’heure où les grandes figures commencent à disparaître comme l’abbé Pierre ou le cardinal Lustiger et bien d’autres, j’ai eu envie de rappeler comment on en est arrivé là. A ce sentiment d’une sorte de spiritualité en déshérence, en attente de nouvelles figures qui tardent à apparaître au grand jour.

Face à ce constat, ce vide béant qu’ils laissent, je voudrais reprendre un entretien de Luc Ferry, Du monde des religions de mai-juin. Aussi éclairant soit-il pour un athée où plutôt un agnostique, se déclare-t-il, sur la situation actuelle et ce vide spirituel qui atteind de plein fouet l’Occident.

D’abord, il part du constat avec son ami Compte-Sponville, qu’il a fini par prendre conscience que la morale laïque, dite moderne, qui tourne sur le respect d’autrui (Déclaration des droits de l’homme), quelles que soient leur grandeur et utilité social et politique, ne prend pas en charge toute une série de questions essentielles. “La question du sens a déserté l’univers politique, mais aussi la quasi totalité de l’univers laïc. Cette question cruciale ne se pose plus qu’à l’occasion de moments dramatiques comme la maladie, la mort, le deuil... Pour le reste, elle a apparemment disparu. Je dis bien “apparemment”, parce que je suis convaincu que tous les individus continuent, en privé, de se poser les “grandes questions métaphysiques” à un moment ou à un autre. De manière un peu honteuse, comme s’il s’agissait d’une faiblesse adolescente”.


Conclusion : “Quelle sagesse convient aux individus désenchantés ou désillusionnés qui peuplent nos sociétés ?”.

Ce qui est sûr, rappelle-t-il, c’est qu’on a vécu un XXe siècle qui a fonctionné comme un acide sur tout ce qui concerne les idéaux supérieurs et les valeurs transcendantes, donc sur les figures traditionnelles du sacré. La mondialisation a paradoxalement achevé ce travail de déconstruction.

Avec le naissance de l’avant-gardisme. Dans les années 1850, le livre d’Henri Murger, La Bohème, décrit pour la première fois l’existence de ces jeunes artistes anti-bougeois qui vivent sous les toits et critiques, pipe au bec, la vie des philistins. On n’a pas d’argent et on cherche l’art pour l’art. Le paradoxe est que la bohème déconstructrice et la vie bourgeoise installée vont en vérité s’associer pour anéantir les idéaux transcendants : derrière l’opposition apparente, il y a une connivence de fond, parce que le capitalisme, comme disait Marx, est une révolution permanente. Comme le bohême, le capitalisme fait inlassablement table rase du passé. Lui aussi se soumet à un impératif absolu, celui de l’innovation permanente. Le capitalisme détruira les traditions beaucoup plus efficacement encore que toutes les déconstructions artistiques et intellectuelles du XXe siècle. La mondialisation libérale aura ainsi pour effet l’aplatissement, la liquidation de toutes les valeurs supérieures et tous les idéaux sur la logique de la consommation. Aujourd’hui, nous consommons de tout : objets, école, politique, culture, spiritualité... Le grand paradoxe du XXe siècle est cette réconcilation avant-gardiste et l’histoire industrielle du monde bourgeois.

Mais le sacré n’a pas disparu. il s’est déplacé et a pris visage humain. Nous découvrons plus, l’amour et la vérité, comme reçu de l’extérieur, mais quelque chose que nous voyons naître en nous et nous dépasse.

Plus loin, il déclare que ce sens nouveau du sacré est fragilisé par la société de consommation. Car la consommation correspond à celle de l’addiction. Comme le drogué avec ses doses. Cependant, plus on a de valeurs spirituelles et morales, plus on a une vie intérieure riche, culturellement, spirituellement et moralement, moins on a besoin de consommer. Pour consommer frénétiquement, il faut être dans le manque. Or une situation de manque suppose une désublimation des valeurs... Les responsables sont ceux qui fabriquent cette société de consommation. Pourtant, ce processus de marchandisation du monde est contrecarré par une autre logique : celle du mariage d’amour et de la famille moderne que l’on doit aussi au capitalisme... Responsable de l’érosion des valeurs il en a sécrèté l’antidote. Le mariage d’amour directement lié à la naissance du salariat, moment essentiel du capitalisme.

Voilà résumée cette lumineuse réflexion. Mais j’ai quand même l’impression que sa pensée s’arrête aux années 1980. Car internet vient d’arriver et le plein emploi sructurant cette nouvelle famille où reposerait les dernières traces du sacré, semble de moins en moins capable de tenir ces remparts, face aux idées de performances, du coût de la vie, du chômage, temps partiels et j’en passe.

Néanmoins sa pensée me semble juste sur ce parodoxe des contraires, bohème et bourgeois, qu’on retrouve réunis en une seule personne aujourd’hui, et responsable en partie de ce vide de sens qui se propage dans nos sociétés devenues des espèces d’immenses foires à fantômes, en proie à un vide sidéral et avec autour de ce triste spectacle, des images, articles, un monde en soi de commentaires, nous faisant croire que la chose est bien vivante pour ne pas dire “le monstre”. Nos sociétés, pourront-elles s’en remettre, d’avoir laissé une pareille figure pénétrer nos vies sous le masque de la bienveillance  ! Cela est encore à écrire.

En tout cas merci à Luc Ferry et Le Monde des religions dont le thème était "les mystiques" pour avoir cherché à comprendre l’incroyance toute relative de nos sociétés et cela malgré une "foi" qu’il n’a jamais éprouvé, se désole-t-il !


Lire l'article complet, et les commentaires