Considérations sur le rite sacrificiel
par Laconique
mardi 6 octobre 2015
Le sacrifice est le rituel de base de toutes les civilisations connues. Il a été pratiqué à grande échelle par les Mésopotamiens, les Indiens, les Chinois, les Grecs, les Hébreux, les Celtes, les Romains, les Incas, les Mayas, les Aztèques, etc. Pendant des millénaires, le sacrifice était véritablement au centre de l’existence, et une société sans sacrifices était proprement inconcevable. C’est avec l’entrée dans la période dite « historique » que des préoccupations nouvelles, plus intellectuelles, émergent, et que le sacrifice, perdant peu à peu sa signification, est relégué à un statut purement formel, avant de disparaître tout à fait (du moins de manière visible). Les Modernes, obsédés par Dieu et par le sens de l’histoire, se sont complètement désintéressés de cet acte qui, selon les mythologies traditionnelles, est à l’origine du monde et de la vie.
Il est rigoureusement impossible de transcrire dans le langage l’essence et la portée du sacrifice. On peut néanmoins indiquer quelques-unes de ses vertus évidentes :
- Le sacrifice, par son caractère frappant, réalise immédiatement le but recherché par toutes les sagesses, à savoir la conscience accrue de l’instant présent, l’oubli des regrets à l’égard du passé et de la crainte à l’égard de l’avenir.
- Le sacrifice libère de la peur de la mort et laisse entrevoir la nature fondamentale de l’être. En supprimant l’enveloppe matérielle et apparente de l’individu, il opère ce que les sagesses appellent le « retour à la racine », au noyau qui transcende le temps et l’espace, la vie et la mort. L’animal immolé n’est pas anéanti, il est au contraire rendu à son essence éternelle, à la divinité.
- Le sacrifice rend possible l’action. En manifestant le caractère illusoire de la souffrance et de la mort, le sacrifice détruit toutes les appréhensions et les entraves qui retiennent l’homme dans l’accomplissement de son devoir. C’est notamment pourquoi il était pratiqué avant les batailles.
- Le sacrifice soude la communauté. Tous les assistants sont liés par ce rite ultime, confondus en quelque sorte dans la substance unique de la victime.
Il serait sans doute aisé de démontrer que tous les maux de notre société (désespoir, individualisme, nihilisme, violence, etc.) trouvent leur cause dans une conception dramatiquement limitée de l’existence, que le sacrifice avait justement pour but de prévenir. Notre époque sera peut-être considérée un jour comme une anomalie sans équivalent, une période où le fondement métaphysique de la cohésion sociale était complètement absent. (L’objection instinctive à la pratique du sacrifice, à savoir la répulsion à faire souffrir et à tuer des êtres innocents, n’est qu’une objection superficielle. La chair et le sang sont offerts sur les autels de toutes les villes et villages de France tous les dimanches sans que la prise d’une vie animale soit nécessaire.) Pourtant, malgré la cécité actuelle, il est très probable que le vingt-et-unième ou le vingt-deuxième siècle sera celui d’un retour à la norme. L’unification de l’humanité opérée par les moyens de communication, la multiplication des conflits meurtriers dus à des convictions erronées, une certaine quête spirituelle qui se fait jour obscurément, de nombreux éléments indiquent que le temps approche d’une indispensable, inévitable et salvatrice restauration du sacrifice.