États-Unis : 300 prêtres catholiques soupçonnés de pédophilie, plus de mille enfants abusés

par Nicolas Kirkitadze
samedi 18 août 2018

L'Église catholique n'en a décidément pas fini avec les scandales pédophiles qui l'entachent depuis maintenant plusieurs décennies. Après l'affaire Barbarin (dans laquelle le cardinal était soupçonné de protéger plusieurs prêtres pédophiles) c'est à présent au tour du clergé états-unien d'être éclaboussé par un nouveau scandale.

Un jury citoyen de Pennsylvanie vient en effet de publier un rapport accablant sur les abus sexuels d'enfants durant les dernières décennies. En tout, 300 prêtres sont nommément accusés d'avoir violé plus de 1000 enfants dont certains étaient très jeunes. Dans la procédure pénale états-unienne, il est courant que le ministère public (représenté par le Procureur) soumette des faits à un jury citoyen et lui confie la tache d'instruire le dossier pour décider ensuite, après délibération, s'il y a ou non lieu de poursuivre.

Selon nos confrères de France 24 : "Ce n’est pas la première fois qu’un jury populaire publie un rapport dévoilant des cas de pédophilie au sein de l’église catholique américaine, mais jamais une enquête n’avait révélé autant de cas."

Le rapport, long de plusieurs milliers de pages, décrit parfois en détails les agressions dont certaines sont particulièrement sordides. Ainsi, un prêtre de Philadelphie (opposant notoire à l'IVG et soutien du Parti Républicain) aurait violé cinq sœurs pendant plusieurs années, la plus jeune n'étant âgée que de 18 mois lorsqu'on commencé les sévices. D'autres dossiers évoquent des cas de scatophilie, de sadomasochisme, et de pornographie : un prêtre aurait fait visionner à des enfants de huit à dix ans des vidéos pornographiques particulièrement violentes figurant des gangbangs et des scènes de domination.

La quasi-totalité des affaires ayant dépassé le délai de prescription (fixé à 20 ans), elles ne peuvent plus être jugées, ce qui n'a pas empêché le jury de rendre publics les noms de tous les prêtres incriminés. Deux ecclésiastiques ont néanmoins été déférés devant la justice : le premier, soupçonné d'agressions répétées sur un garçonnet de sept ans au début des années 2010 ; le second a, quant à lui, plaidé coupable et risque jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.

Ces 300 prêtres, qualifiés de "prédateurs" dans le rapport, sont soupçonnés d'avoir perpétré leurs abus répétés durant des années, voire des décennies en toute impunité et (parfois) avec le silence complice de leur hiérarchie qui n'a fait au mieux que les muter dans d'autres paroisses où ils ont pu poursuivre leurs odieux sévices.

En effet, les prêtres seuls ne sont pas mis en cause. Leurs supérieurs (évêques, cardinaux) sont accusés d'avoir ignoré les plaintes des familles, d'avoir maintenu ces prêtres dans leur charge et de ne pas avoir informé la justice, ce qui s'apparente à de la complicité. "Des prêtres violaient des petits garçons et des petites filles et les hommes d’église qui étaient leurs responsables n’ont rien fait durant des décennies", ont déploré les membres du jury dans le rapport publié mardi.

Ce silence a été dénoncé par le procureur Josh Shapiro lors de sa conférence de presse, mercredi : "Leur silence a rendu impossible de rendre justice aux victimes". Outre les prêtres et leurs supérieurs, le magistrat a également pointé l'attitude de plusieurs officiers de police catholiques ayant refusé d'enregistrer des plaintes contre les prêtres. Il dit néanmoins reconnaître que "beaucoup de choses ont changé dans l'Église ces quinze dernières années" mais note que "malgré les réformes institutionnelles, des évêques et des cardinaux complices ont été protégés."

"Beaucoup d'ecclésiastiques mentionnés dans ce rapport ont été couverts et même promus", déplore également le jury citoyen dans sa conclusion : "Tant que cela ne change pas, nous pensons qu'il est trop tôt pour refermer le chapitre des scandales pédophiles au sein de l'Église catholique".

En conclusion, le jury citoyen de Pennsylvanie propose notamment d'allonger le délai de prescription à trente ans et de restreindre les possibilités d' "arrangement à l'amiable" que la très riche Église américaine aurait souvent proposé aux familles pour les dissuader de saisir la justice. Quelques billets verts en échange du silence.

Chez les catholiques, les réactions sont plus contrastées. Si les ecclésiastiques états-uniens n'ont pas officiellement réagi, le Pape a, quant à lui, déclaré sa "honte" et sa "douleur", affirmant être "du côté des victimes", dans un communiqué officiel paru ce vendredi. "Ceux qui ont souffert sont sa priorité et l'Église veut les écouter pour éradiquer cette horreur tragique qui détruit la vie des innocents", poursuit le communiqué du Saint-Siège.

En France, où le catholicisme se voit et se vit comme une contre-société, les réactions ont été bien plus froides. Un blogueur tradi (qui n'hésite pourtant pas à agonir d'injures le Pape à longueur de journée) affirme : "Ces campagnes à répétition visant à salir l'Église de Rome sont menées par les églises protestantes qui constatent avec dépit la baisse de leurs effectifs […] notamment grâce à de nombreux jeunes Blancs Anglo-Saxons qui se détournent de leurs histoires à dormir debout pour entrer dans la Vraie Grâce de notre Seigneur et baigner dans sa Lumière." Par charité, on ne divulguera pas le nom de ce blogueur, d'autant plus que de tels propos sont loin d'être marginaux dans la cathosphère française où l'on voit volontiers un complot contre l'Église. "Ces actes, condamnables, n'ont rien à voir avec le catholicisme. En revanche, beaucoup d'hommes politiques de gauche ont avoué leurs penchants pédophiles mais n'ont pas été poursuivis – parce que le Système est de leur côté depuis 1789", me confie une journaliste catholique.

Pour rappel, selon l’organisation Bishop Accountability, 6 721 prêtres ont été accusés d’abus sexuels aux États-Unis pour des faits présumés allant de 1950 à 2016. Le nombre d'enfants états-uniens victimes est, quant à lui, évalué à 18 565, un chiffre qui augmente de jour en jour suite à de nouvelles révélations. Ainsi, statistiquement, un prêtre pédophile a abusé d'au moins trois enfants dans sa vie, ce qui réduit à néant la théorie du "dérapage incontrôlé" et montre bien qu'il s'agit de dérèglements sexuels et moraux dont les causes sont à rechercher dans la psyché de ces hommes et – peut-être – dans les exigences sexuelles que leur assigne l'Église. Chez les Orthodoxes, où le mariage des prêtres est autorisé, les Églises sont globalement épargnées par ce fléau. Il n'y a eu "que" trois affaires ces dernières années : un prêtre grec soupçonné d'avoir drogué et abusé d'un adolescent, un prêtre serbe condamné pour des attouchements, et un prêtre russe qui a écopé de 14 ans de prison (avec déchéance de se charge ecclésiastique et excommunication) pour avoir abusé de plusieurs enfants en Sibérie. Ces faits sont éminemment tragiques, mais il n'y a nulle comparaison entre quelques popes dépravés officiant dans des campagnes perdues et une pédophilie systémique qui gangrène des milliers d'ecclésiastiques dans le silence des cathédrales.


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