L’"autre pilier" était le mien, de naissance.
Je suis né dans une famille catholique et j’ai toujours vénéré mon père, homme profondément croyant, animé d’une joie de vivre, d’une véritable jubilation d’être qu’il nous a fait partager en toutes circonstances. Même lorsque le bon petit chrétien que j’étais est devenu un adolescent passablement porté sur la fête et les excès de toutes sortes. Même lorsqu’il est devenu un "hussard noir" bouffeur de curés en entrant à l’Ecole Normale d’Instituteurs. Jamais une remarque, encore moins un sermon de celui qui nous regardait évoluer avec bienveillance.
J’ai vécu bien loin de la religion, de ma famille, de mon pays aussi. Et j’y suis revenu.
Comment ? Le décès de mon père fut une onde de choc profonde et violente. La dernière fois qu’il m’avait parlé, très malade, avant que je le quitte avec ma famille pour l’ Afrique, il était de mauvaise humeur. Un événement ! :
"Je ne sais pas ce qu’Il attend, je suis prêt" !
Il est mort sans ciller.
J’ai commencé un long travail intérieur. Renforcé par le contact permanent, en Afrique, avec le christianisme VIVANT, loin des débats sociétaux ou théologiques. Les missionnaires et les sœurs accomplissent là-bas un boulot considérable dont nous n’avons qu’une bien pâle idée. Les peuples auxquels ils s’adressent , ils les connaissent parfaitement, ils les aiment, parlent leur langue. Soins, aide aux plus démunis, éducation, vigie des droits de l’homme…
Un exemple. Lors de la guerre civile qui s’est déroulée en RCA, à la fin des années 90, il a été question d’évacuer la Mission de Bangui. Le tollé fut général et la supplique unanime de tous côtés : "Restez avec nous ! Si vous partez qui témoignera de notre détresse au reste du monde ?".
J’ai terminé ma carrière africaine au Tchad. J’y ai connu une grande amitié avec un musulman profond, intelligent, tolérant, dont la joie de vivre naturelle me rappelait étrangement celle de mon père. Un fils du désert. Nos deux familles étaient -et sont toujours- très liées. Curieusement, à son contact, ma foi chrétienne s’est considérablement renforcée ; D’autant que, comme je devais me rendre dans le Tibesti, mon épouse m’a fait découvrir Théodore Monod (tiens, tiens…). Je ne pouvais me mettre dans les pas du dromadaire de cet immense bonhomme sans découvrir un parcours spirituel.
Il était à la fin de ses jours président de l’Eglise Unitarienne de France. Cette "religion" extrêmement tolérante me convient parfaitement sur un plan intellectuel. Anté-Nicéenne, elle s’en réfère aux Evangiles, tout des Evangiles mais rien que les Evangiles. Tous les dogmes sont refusés, tout ce qui a été édicté par l’homme n’est pas pris en compte.
Seulement voilà. Une religion "relie". Et je veux être relié à mon père à toute ma famille réelle ou spirituelle passée présente et future. Qu’elle se trouve dans ma province, en Chine ou à Brazzaville. Donc catho….
D’autant que la "Pravda" s’acharne sur eux en général et sur le Pape en particulier. Pas le moment de déserter…
Pour en terminer, une courte anecdote
Le ciel nous gratifie de curieux clins d’œil. J’ai vécu des évènements surprenants avec mon épouse, mais bon…c’est notre vie privée. Nous en avons connu de plus "publics".
Mon épouse était bibliothécaire au Centre Culturel Français de Bangui, en RCA. Le directeur du Centre avait racheté le piano à queue de l’empereur Bokassa qui n’avait pas été détruit dans les pillages.
A l’occasion du passage à Bangui des Musicomédiens, une remarquable troupe de comédiens, musiciens et danseurs qui présentaient "Il signor Fagotto", une œuvre inédite d’Offenbach, ce directeur avait organisé chez lui une réception avec une soixantaine d’invités. Assiettes en carton, salades et vin rosé, tout le monde disséminé dans le gazon…Le pianiste du groupe, dont j’ai oublié le nom, s’est installé au piano de l’empereur et a commencé à jouer, discrètement. Un léger et agréable fond musical auquel les affamés ne prêtaient guère attention. Tout à coup les assiettes et les couverts se posèrent sur le sol, les yeux se mirent à ruisseler de larmes. Le pianiste était blême, tétanisé, possédé. CA jouait à travers lui. Du Schumann. Dix minutes inoubliables, épuisantes pour le musicien, stupéfiantes pour ses camarades (ils tournaient ensemble depuis deux ans et n’avaient jamais connu cette extraordinaire qualité musicale dans le jeu de leur ami) et pour nous autres. Ca ne s’est jamais reproduit, mais cet événement a profondément marqué la troupe, l’un d’eux me l’a confirmé plusieurs années après.
Voilà. Pas de guérison miraculeuse. Pas d’apparition de la Vierge ou d’un Saint mais le ciel nous parle parfois simplement au détour d’une soirée entre amis.