Iles Solovki, haut lieu de la mémoire russe – le prodigieux Monastère 2/3

par Hieronymus
mardi 11 mai 2010

Je poursuis le récit de mon passage du 10 au 12 mai 2004 sur ce site fabuleux des Solovki, il convient en préalable d’apporter quelques précisions sur le caractère extraordinaire du monastère qui fait la réputation de l’endroit, celui-ci date du XV siècle mais n’a acquis ses dimensions définitives qu’au XVI siècle et fut depuis lors sans cesse vénéré jusqu’à la révolution soviétique, au début des années 20 les bolcheviks vont d’abord fermer le monastère mais ils vont ensuite transformer l’île dès 1923 en un gigantesque Goulag (j’y reviendrai plus tard), ce camp des Solovki sera le modèle de tous les futurs goulags de Sibérie qui prendront sa relève et en 1939 ce premier camp sera alors définitivement fermé.
Avec la fin de l’URSS le monastère sera rendu à sa fonction ecclésiastique dès 1991, depuis sa renommée ne cesse de croître en Russie et partout dans le monde, un détail qui montre bien à quel point le Monastère des Solovki est respecté par tous les Russes (qu’ils soient croyants ou non) est que l’image du monastère figure désormais au verso des billets de 500 roubles, le président Poutine lui-même s’y est rendu en 2001 et le nouveau métropolite de Moscou et patriarche de toutes les Russies, Cyrille Ier s’est empressé à peine quelques mois après son élection début 2009 de s’y rendre durant l’été de la même année.
Pour juger de son importance on pourrait dire que le Monastère des Solovki constitue pour la conscience russe la conjonction de ce que sont pour les Français le Mont St Michel et le Château du Haut Koenigsbourg, l’alliance en même temps du lieu sacré et de la forteresse des confins, bref le lieu mythique par excellence, voici donc la suite du récit ;
 
 
2) le prodigieux Monastère
 Encore quelques secousses et le Koukourouznik stabilise enfin sa trajectoire en vue de l’atterrissage, ça y est, il touche enfin le sol, le sol des Solovki sur ce qui semble être une piste en plastique, oui c’est une sorte de tôle ondulée en plastique qui fait office de tarmac d’aéroport, un plastic couleur vert pâle, pas d’asphalte ni même de béton aux Solovki !
Le ciel est assez opaque, on y voit quand même à plusieurs centaines de mètres, devant nous le bout de la piste, le Coucou freine, freine, ouf ça a l’air bon mais toujours ce boucan, bon il fait demi tour car c’est une piste unique et revient pépère à son petit train devant l’unique baraque en bois peinte en bleu et où est écrit en caractère cyrillique le mot АЭРОПОРТ (aéroport).
Terminus tout le monde descend, sans précipitation car de toutes façons là où nous sommes désormais il n’y a plus rien à faire, nul taxi, nul transport en commun, point d’horaire, rien ne presse à Solovki. Je distingue à la droite du "terminal" d’aéroport le début d’un chemin qui semble boueux car il n’y a aucun asphalte à Solovki, le seul chemin en fait... Je m’y engage donc les bagages à la main et ne tarde pas à distinguer à l’avant de ce chemin, peut-être à peine un km, le mur d’enceinte et les coupoles en forme d’oignons d’un monastère, du Monastère de Solovki, c’est une vision à vous couper le souffle, dans cet endroit désolé du bout du monde, tout près du cercle polaire, où l’hiver dure près de 9 mois par an de trouver une construction d’une telle dimension et d’une telle splendeur, cela me ragaillardit et je décide d’aller de l’avant, entre-temps les autres passagers ont l’air de s’être déjà dispersés, il est vrai qu’ils n’étaient pas nombreux mais malgré l’émotion du lieu, une réalité physique moins agréable me surprend, celle du froid, un vent vif et glacé me saisit les mains, m’obligeant à enfiler les gants que j’avais pris à tout hasard, et bien !
Me voici trottant sur l’unique chemin de l’aéroport entre quelques baraques en bois, un étang encore gelé, et devant moi, LE MONASTERE car il écrase tout par sa présence, c’est un ensemble historique, cerné par un mur d’enceinte aux dimensions colossales, de plusieurs centaines de mètres de long, le mur est fait de pierres énormes que je commence déjà à distinguer au fur et à mesure que je m’en rapproche, en même temps les coupoles intérieures deviennent plus gracieuses c’est une construction fabuleuse, une énigme historique...
 
Je suis de plus en plus près et finit par m’engager par un portail d’accès, à l’intérieur des bâtiments et encore des bâtiments d’époques variables, mais l’ensemble paraît vide, désert, il fait si froid que personne ne traîne dehors, je passe une cour et aborde la partie centrale avec son église si majestueuse, qui vraiment en impose et toujours pas âme qui vive, je cherche une enseigne ou un repère, voici tout de même que je croise quelqu’un, un homme plutôt âgé du type bûcheron, pas un prêtre, lequel me demande où je vais (Kouda vuh idoté ?) je lui explique que je cherche une auberge ou quelque chose comme cela, il me répond "allons voir ensemble" et m’entraîne vers un bâtiment où nous pénétrons, là à l’intérieur je me retrouve pour la première fois face à un pope. C’est impressionnant, surtout la première fois, ils sont habillés en noir de pied en cap, portent la barbe broussailleuse et vous dévisage gravement, "d’où venez-vous ?" ( Otkouda vuh ?), Ia Fraantssouz, Journalist ? Niet, niet ! Tourist ? Da, da ! Chto vuh hhatité ? (que voulez vous ?) Je cherche un logement... Padajdité (attendez), là vient un autre pope, plus jeune et d’aspect timide qui m’indique de le suivre, après avoir laissé mes bagages, puis nous traversons une cour et rentrons dans un autre bâtiment où il m’indique d’accrocher mes affaires et de pénétrer dans la pièce, de prendre place en fait car celle ci est attenante à une cuisine et il ne tarde pas à déposer sur une lourde table en face du banc où je suis assis, des sortes de grosses marmites contenant des tas de plats, soupe, poisson, chou, pommes de terre, macaronis, aussi du thé et pour l’accompagner une sorte de liqueur grasse et sucrée ayant une odeur très douce faisant penser à de la cannelle.
 
C’est incroyable, tout cela est incroyable, me voici alors que je parle à peine russe, qu’ils ne savent rien de moi, servi tel un coq en pâte dans ce lieu qui est un lieu culte de la mémoire orthodoxe, difficile de retranscrire l’impression solennelle dégagée par ces lieux, il y règne une tranquillité et une simplicité délicieuse et en même temps le moindre mouvement semble y prendre une dimension métaphysique, impossible de dater l’endroit, de dire depuis quand les gestes quotidiens élémentaires s’y sont répétés et répétés, tels l’éternité dans le temps car le temps ne semble plus avoir cours ici, le temps c’est à l’extérieur, nous avons tout d’un coup oublié qu’il y avait un avant et un après, c’est comme si ce moment, cet espace avait toujours été présent et que nous le savions.
Assez rétabli par cette restauration en forme de méditation, je reviens avec ce jeune pope vers le "lieu d’accueil" où s’engagent des conciliabules. Ils me demandent si je suis chrétien ? Oui mais catholique (pour éviter de rentrer dans les détails...) je remarque qu’ils sont très protocolaires, ne manquent jamais de se signer et de s’incliner devant certaines images et objets, je vois tout cela en même temps qu’ils discutent de moi, finalement ils m’indiquent de venir ce soir à 22h pour rencontrer l’Higoumène (supérieur religieux) German (c’est son prénom) certes mais il est à peine 14h de l’après midi et que dois-je faire d’ici là, d’autant que je suis franchement fatigué et me sens très vite complètement gelé à l’extérieur. Ils comprennent que je ne peux pas rester dehors et m’expliquent qu’il y a une auberge très près du Monastère où ils me conseillent d’aller, là dessus une femme qui semble travailler dans la journée au monastère va m’accompagner pour m’indiquer le chemin, nous traversons la cour principale du Monastère et nous engageons sous un autre portail ou près de cette entrée cyclopéenne, elle me montre en face à qq. 300 ou 400 m, de l’autre coté d’un bras de mer gelé (nous sommes le 10 mai !) la maison verte qui est l’auberge de l’île.
Je passerai quelques heures de repos salvateur dans cet agréable petit hôtel avant de revenir le soir au monastère pour y rencontrer l’higoumène German, il est 22h20 - 22h30 (et il fait toujours jour car nous sommes près du cercle polaire !) plusieurs popes ont déjà traversé la pièce où nous sommes en pratiquant à chaque fois forces inclinaisons face aux icônes présentes mais en glissant face à ma personne, puis quelques silhouettes traversent la cour d’un pas lent, ils pénètrent la pièce où nous sommes et c’est alors que je le reconnus, ce pope avec lequel j’avais conversé après avoir déjeuné au Monastère et qui me paraissait si simple et si humble, c’est lui le supérieur de cette communauté, il sourit en me reconnaissant et notre entretien a été très cordial en dépit du maigre russe dont je dispose.
J’aurais encore l’occasion le lendemain de m’entretenir avec l’higoumène à la suite du service religieux, je serais incapable de lui donner un âge tant il semble que German est déjà hors du temps, 40 ? 60 ans ? Cela semble n’avoir aucune importance chez lui, la peau de son visage est fatiguée et ses dents jaunis comme de vieux instruments en ivoire mais les yeux, très clairs, très ouverts, expriment une franche sérénité, j’ai comme la sensation indéfinissable de me retrouver devant quelqu’un qui n’est pas complètement un individu comme les autres, je ressens en sa présence une impression de transcendance du genre humain comme si l’être s’était suffisamment dépouillé pour être débarrassé de toutes les scories, miasmes et résidus qui d’ordinaire le plombent, en plus l’higoumène est humble, discret, sans violence, il est pétri d’une profonde humanité par son parler mesuré et la chaleur qu’il rayonne, depuis le souvenir de sa personne reste gravé dans ma conscience comme empreint d’une profonde luminosité, et aussi le souvenir des Solovki …
 
à suivre...
 

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