L’Anti-(Néo)« Paganisme » – lettre ouverte à François Bousquet de la revue Éléments, et affidés

par Mervis Nocteau
mardi 1er juillet 2025

Il m'a récemment été donné de lire un article signé François Bousquet, le directeur de la revue Éléments pour la civilisation européenne. C'est une revue que je ne déconseille pas. Mais il publia cet article dans Causeur, une autre revue que je ne déconseille pas.

C'est que je ne suis pas de « ceusses qui ont peur de l'estremdrwate » sans pourtant que « j'en soyes ». Enfin, au point où j'en suis, en être ou pas n'a plus d'importance [1].

L'extrême-droitisation est bien entendu une supercherie [2], mais simultanément – selon une formule approximative d'un auteur prisé par les réalistes et les extrême-droitisés (Carl Schmitt) – « c'est l'ennemi qui vous désigne ». Et l'ennemi fut malin de superchérir [3] l'extrême-droite, tout en extrême-droitisant tous ses divergents (à l'ennemi).

Mais si je vous dis tout cela, ce n'est pas en défense de l'extrême-droite (elle se défend sans moi) : c'est parce que François Bousquet se paie le luxe d'un anti-(néo)« paganisme » primaire, dans ledit article de Causeur, alors même qu'il valorise un (néo)« païen ».


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Affaire personnelle

Je me sens visé, car est évoqué un néo-druidisme de pacotille, ainsi que des cultes de Lug et Wotan sous les néons (miens articles, diffusés avant le sien). Il faudrait être aveugle, pour ne pas voir que, pour la énième fois, d'aucuns cherchent à m'étouffer dans l'oeuf (et par moi « nous autres »). Mais, venant de la part d'un ressortant des premiers (néo)« païens » assumés, c'est quelque chose. Veut-il se tirer des balles dans le pied ? Pas tout à fait.

Lui et ses affidés se sentaient eux-mêmes visés, ce n'est pas illogique, lorsque j'attaquais l'heideggero-nietzschéisme de leur « Nouvelle Droite » et cela par deux fois, mais aussi un certain para-trumpisme (encore que la « ND » ne soit pas intrinsèquement « pro-trumpienne ») – tout en valorisant l'ethnicité inter-atlantique, sans souci pro- ou anti-trumpien (et ce depuis le premier article, en fait) – et enfin lorsque j'attaquais la mode de l'hyperboréisme essentiel (dont est née ladite « ND »).

Face à une telle durable mouvance que la « ND », je devrais plutôt être heureux, que des allusions soient faites à mes travaux. Or, puisque l'article de monsieur Bousquet regardait la valorisation d'un « bon » (néo)« paganisme » contre un « mauvais », nous devrions nous entendre ! Mais que se passe-t-il donc ? Cette lettre ouverte ne serait-elle pas... une émulation agonistique, entre cousins allant se faire voir chez les Grecs ?

Je dis cela, parce que le « bon » (néo)« paganisme » selon Bousquet, c'est d'abord et avant tout le (néo)« paganisme » de son collègue Christopher M. Gérard [4] – Christopher M. Gérard qui, au moment où j'écris ces lignes, est gentiment amateur de votre serviteur. Cela fait un moment que monsieur Gérard m'invite dans divers groupes et sur divers pages Facebook, d'ailleurs, sans que je ne donne suite, le connaissant peu, mais je dois son comportement à ma large diffusion réseautique de son ouvrage, dont Bousquet fit justement la recension dans Causeur.

 

Pérennialisme et petite bourgeoisie anti-bourgeoise

La Source pérenne, comme son nom l'indique, est un ouvrage pérennialiste. Et le pérennialisme, c'est l'idée bien établie hors du modernisme, qu'il existe une sagesse pérenne, éternelle – Sophia Perennis. Pour vous donner une assez bonne idée de la chose, il vous suffit d'observer le genre de questions que se pose le pérennialisme : des problèmes assez étranges car de niche, en vérité, pour nos jours. Pourtant, je les aime beaucoup : je ne suis pas de « ceusses qui se dégoûtent vite » ; bien au contraire, sinon je ne mouillerai pas ma chemise avec cette lettre ouverte.

Il est assez évident (sans parler des auteurs évoqués plus haut) que le pérennialisme ouvre sur le monde de l'arkhèologie (sic). C'est ma manière de le dire, d'une façon qui ne m'appartient pas. Comprenne qui peut. Or leur style propret (aux pérennialistes), « parisien tête de chien » et plus généralement « Français de Francie » contemporaine (Guénon est de Blois – ancienne Neustrie, – Gérard est New Yorkais d'origine belge – ancienne Austrasie) : bourgeois pas-très-catho-tradi, qui m'arrête. Bien entendu, ils ne sont pas spécialement guénoniens, mais de nos jours on n'en fait pas l'économie.

Si Bousquet et affidés étaient intelligents devant le (néo)« paganisme », ils remarqueraient que – comme disaient Montaigne dès l'aube de ses Essais – « par divers chemins on arrive à pareille fin ». Guénon lui-même, tout en traitant du moteur ésotérique, disait qu'on ne peut y accéder sans veine exotérique. Les veines exotériques sont si essentielles, que sans elles on atteint jamais le cœur (et les guénoniens qui s'imaginent ésotéristes d'aimer Guénon comme un shoot pur, sont des tanches. Bousquet s'est inventé plotinien, ce qui eut satisfait Guénon ; Gérard se présente néohellénisant, ce qui satisfait évidemment l'identitarisme européen [5] alors que Guénon n'y croyait pas (il ne croyait ni aux polythéismes, qu'il qualifiait de dégénérescences, ni encore moins à ceux d'Antique « Europe » : ça ne veut pas dire qu'il a raison, ça veut juste dire qu'il est complexe à utiliser, en plus de l'exotérisme – contrairement à la vulgate, – mais Gérard est néanmoins passé, comme Guénon, par l'Inde actuelle, qui n'est néanmoins plus européenne). Des trames.

Maintenant, en-deçà de toute forme de métaphysique, si j'en crois les sociologues tendanciellement de gauche, « l'habit fait quand même pas mal le moine » (ou alors c'est finement joué, chapeau bas, mais statistiquement, j'ai un doute et puis : il faudrait que j'invente une théorie du complot de « la Nouvelle Droite » pour renier les sociologues – c'est ennuyeux).

Parce ça reste tout de même une question de géolecte et de sociolecte, de milieu de vie et de catégorie socioprofessionnelle voire de classes sociales, leur démarche petite bourgeoise ; à la manière, vous savez, de ces petits bourgeois « de gauche » (souvent fonctionnaires) mais à droite – ce qui est moins surprenant, sinon qu'ils appellent de leurs vœux une fédération européenne non-mercantile, ethnodifférentialiste (qui, en tant que telle, est respectable, solution antimondialiste logique pour consolider nos formations sociohistoriques).

Et de voir l'adorablement moustachu Bernard Lugan, invoquer le duel au sabre et à cheval ou à la dague est un indéniable marqueur, mais l'époque est advenue aux MMA et tant pis pour l'élégance (des duels au free fight, monsieur Lugan ?).

 

« Tout ne conspire pas »

Quand je vois les justifications que fait Gérard pour nous rappeler à sa Source pérenne, je n'ai pas l'impression qu'elles sont éloignées des trajectoires néo-druidiques que vous, François Bousquet – dans votre article – croyer pouvoir incendier d'un seul mot (« de pacotille »). Pour les néo-danisants [6] dont s'inspira pourtant votre mouvance de la « ND », je ne sais pas (ils font des efforts...).

Ce qui est certain, c'est qu'on aurait très mal lu ma brève histoire druidique, mon rapport sur les druidismes contemporains, et mon article encyclopédique sur les anciens druides, si on ne les avait pas lus entre les lignes... de ces interlignes fondamentales auxquelles fait appel monsieur Gérard, encore qu'héritier classiquement consensuel de l'hellénisme, réputé plus solide qu'un autre héritage, ayant imprégné le monothéisme.

On méconnaît pourtant, Lug et Wotan chez vous apparemment, et ce n'est pas de leur faute, mais celle de « ceusses qui obstruent leur accès » dans les milieux de la recherche en disant « han c'est difficile hein », ainsi que, naturellement, des brutes modernes qui ressortent de milieux... dont ressort pourtant initialement « la Nouvelle Droite » ; est-il honorable, que vous et vos affidés retourniez vos vestes sur le cadavre de Guillaume Faye ? – Guillaume Faye qui, dans l'ordre (néo)« païen », rebondissait déjà sur l'hellénisme en s'inscrivant logiquement dans le romanisme.

Vous ne peuvez pas le nier : la bibliographie de votre mouvance productions est là pour l'assurer. On est bien entendu libre d'évoluer, mais à l'époque, votre mouvance cherchait aussi juvénilement que d'aucuns, aujourd'hui, une « barbarité » – peu importe que ce soit éventuellement au prisme des vers de Leconte de Lisle : c'était dans les rues du Paris petit bourgeois de Jacques Mesrine...

Cela vous laisse difficilement la liberté d'en vouloir aux (néo)« païens » amalgamant Lug (Celtes) et Wotan (Danes) « sous les néons », et un Per Vari Kerloc'h (côté celte) grand « néo-druide » – non pas « de pacotille » mais – de la Gorsedd de Bretagne, n'a pas à rougir devant vous, non, pas plus que le surnommé Halfdan Rekkirson (côté dane). Ou alors, il faut que vous vous regardiez l'oignon-retour, et osiez les mêmes affirmations à vos endroits : votre Rémi Soulié est certainement un personnage tout à fait appréciable, au relais d'Alain de Benoist pour les Idées à l'Endroit sur TVLibertés, mais on sent bien que – comme de Benoist, au reste – ce sont des binoclards. Comme vous, François, même si on vous présume plus pugnace, je suppose, et quand même l'Action Française fût dans vos gènes.

 

Une infraguerre

Non, personnellement, je ne suis pas grand guerrier, et ce n'est pas ce que je cherche à vous dire (qu'il vous faut de grands guerriers), si vous m'avez suivi. D'ailleurs, dans une société bien ordonnée, nous savons que les grands guerriers honorent les connaisseurs. Je dis simplement que vous avez tous le romantisme des bourgeois ; le romantisme de Rousseau, selon une analyse récente de monsieur de Benoist.

Au reste, on sent bien que vous les vous êtes choisis, les (néo)« païens », dans votre numéro du début d'année. J'ai vu Thaïs d'Escufon regretter avec Papacito, qu'ils aient fait tout le travail culturel que vous prétendez faire métapolitiquement (avec le reste de la droite, tel que Causeur ou l'Incorrect) au niveau du « terrain » réseautique. Eh bien, nous pouvons, de même, regretter votre mépris de classe, côté (néo)« païens » : tout cela parce que vous craignez pour votre chapelle.

Malgré votre heureuse enquête de terrain [7] la métapolitique, le combat culturel, qu'est-ce que c'est, à l'heure où les jeunes sont harcelés de notifs dès le plus jeune âge, et qu'ils sont déconditionnés de tels centres d'intérêt que la culture ? Les promotions de l'Institut Iliade, qui touchent-elles ?

Sans parler des classes populaires, de plus en plus nombreuses, même si encore sonnées par le déclassement que les Français ont du mal à accepter (avec la complicité de médias de grands chemins, comme dirait Jean-Yves Le Gallou) en terme de face, de fierté, d'honneur (comme dirait Erving Goffman). Ont-elles le temps – en dehors d'intellectuels relégués tels que moi (sociologiquement entre Jules Vallès, Léo Malet et Antonin Artaud) de vous suivre ?

Pour être honnête – et je ne dis pas ça par égalitarisme – vous et vos affidés, vous êtes comme tout le monde moderne, certes par la force des choses. Ce n'est donc pas un reproche, mais vous êtes un lifestyle, et cela il n'y a que la gauche pour vous le révéler (ou un très léger patchwork de lifestyles). Certes, le gauchisme se dénie lui-même comme puissance – en vous reprochant de la poursuivre et vous affublant de tout ce qui l'effraie, afin de supercherie [2][3].

 

Mépris de classe ?

Pour votre bien, à l'avenir, il faudrait songer à ne pas trop cracher dans la soupe. Parce qu'il y a une différence, entre croire défendre métapolitiquement le populisme, et connaître la vie populaire – les fragments qui la décomposent aujourd'hui. J'ai bien aimé la manière dont vous avez parlé à « Pascal » (Praud), François. Mais vous n'êtes encore qu'un relais, dans la hiérarchie sociale contemporaine, face à cet homme qui n'existe que dans un bocal (mais qui a le mérite d'y exister, quoi qu'en pensent les ostracistes de gauche). Cela dit, moi-même, de qui suis-je représentatif ?

Nos contemporains s'illusionnent sur leur déclassement et se font toujours partisans, y compris de Praud (et je trouble mes milieux, de leur tendre un relatif miroir). Où aller ? Chacun fait ce qu'il pense croire devoir pouvoir falloir faire, de par ses « significativités »...

Certes, c'est peut-être un méchant procès que je vous adresse néanmoins, à l'heure où seul vraiment l'extrême-centrisme nous court sur le haricot. Mais vos procès, que sont-ils ? Votre puissance, qu'en fait vous, au juste ? Ne tombez-vous pas dans le même confort que les militants gauchistes ? Dans le mépris de classe que vous prétendez ne pas porter ?

On n'a jamais été un saint, de prétendre en être un. (Et d'ailleurs, à quoi bon la sainteté !)

 

Conclusion

Vous avez raison de dire, que l'animisme/polythéisme (ce qu'il est convenu de nommer « paganisme » de façon post-chrétienne, sur la base d'un vocable lui-même méprisant pour les coutumes des antiques ethnies européennes...) n'est jamais mort. Evitez donc de l'étouffer dans l'oeuf quand il n'est des vôtres.

C'est notre travail, à nous autres, « plébéiens », de faire le ménage critique entre nous. Nous seuls avons le droit de décréter ce qui est bon et mauvais, dans nos mouvances (et clairement, il y a beaucoup de mauvais, plus ou moins New Age et mercantile : j'ai à coeur de partager ce diagnostic avec Christopher M. Gérard). Quant à vous autres, « patriciens », faîtes le vôtre sans écraser vos fleurs, bande de païens en déroute que vous êtes.

Le monde que vous voulez construire, il est aussi nôtre. Y compris de gauche, quoi qu'on pense de la pertinence de cette catégorie, elle dit parfaitement ce que j'ai dit. Car c'est le propre du peuple que d'être gauchi, de ployer sous le poids du monde, d'être amalgamé au Tartare, de devoir tirer une partie de sa puissance d'Atlas.

 

 

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[1] Je suis de « Nouvelle Gauche » : je veux dire que je suis « progressiste » ce qui seul peut être désigné pour un progrès, de nos jours : refaire la Renaissance, en mobilisant tous les héritages européens, non seulement gréco-romains. En réintroduisant du temps d'antenne pour les oppositions. En mettant fin aux ostracisations, y compris de l'extrême-droite, puisque ce n'est qu'une supercherie du populisme d'extrême-centre. En mettant fin à l'évidente ostracisation – inhérente au même populisme d'extrême-centre manipulant la gauche – des autochtones d'Europe, à l'heure où les séries ne mettent plus en valeur un seul homme vaillant issu de ses ethnies (à l'Europe) si seulement elles sont reconnues sans extrême-droitisation (mais... si c'est être d'extrême-droite que de dire tout cela, alea jacta est ! – je suis garé à la Gare de l'Est), etc.

[2] Supercherie : de l'italien pour oppression. Vous ne rêvez pas : je dis que l'extrême-droite est opprimée, évidemment sur la base de mensonges.

[3] Superchérir : «  opprimer sur la base de mensonges » [2] avec l'évident jeu de mot avec « super-chérir, trop-chérir ». C'est qu'on a trop besoin de l'extrême-droite, pour servir d'épouvantail simili-républicain, maintenant qu'on l'a accablé des nazisme/fascisme/autoritarisme caricaturés (alors que l'Histoire est inextricablement plus complexe – le « complexe de Vichy » n'étant qu'une manière d'entrer dans la supercherie). Que quelqu'un puisse croire, de nos jours, découper l'Histoire en deux ou trois, est évidemment le signe de son inutilité.

[4] Bizarre, il n'a même pas (à cette heure) de fiche-auteur personnalisée à la Nouvelle Librairie, malgré sa fourchette de livres !

[5] Identitarisme : avec extrême-droite auquel il fait automatiquement penser, encore une ostracisation contemporaine ; mais même un Cheikh Anta Diop, fut identitariste ; ou les Viet Congs, ou le FLN, dans leurs nationalismes. Les égalitaristes contemporains qui conspuent l'identitarisme, n'ont pas de traitement égalitaire là. Comme savent les psychologues : nos raisons sont motivées par des passions... à vous rendre à l'égoïsme d'Ayn Rand ou la thymologie de Ludwig von Mises sur ce point, pourtant (et justement) objectivistes sur la question. Mais c'est que Nietzsche l'avait déjà observé.

[6] Danes : nom des Anciens Danois, cœur historique du monde germano-scandinave, toujours employé durant la féodalité pour désigner les vikings.

[7] Bizarre, elle n'apparaît pas (à cette heure) sous votre profil la Nouvelle Librairie. Des relais manquent.

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