L’Apocalypse selon Arte

par Emile Mourey
mardi 9 décembre 2008

Dans la série "L’Apocalypse" diffusée actuellement sur Arte, MM Mordillat et Prieur auraient mis, dit-on, un point final à une question fondamentale : « Comment une petite secte juive a pu devenir la religion de l’Empire romain ? » Si j’en crois la polémique qui a suivi, force est de constater que l’affaire n’est pas aussi simple qu’il paraît. 

Quand a été rédigé le texte de l’Apocalypse ?

Car c’est bien là la question importante, la première qu’il faut se poser. Les auteurs de la série, de même que les intervenants d’ailleurs, datent le document d’après l’an 70, après la guerre de Jérusalem. Quels sont les arguments qui leur permettent d’émettre une telle affirmation ? Pour ma part, je n’en ai entendu aucun. Le seul auteur, spécialiste et exégète reconnu, qui a présenté toute une argumentation concernant la date de rédaction des textes du nouveau testament est le professeur Claude Tresmontant dont je défends la mémoire. Il situe ces textes avant la chute du temple, avant la guerre de Jérusalem ; une thèse qui n’a jamais été contre-argumentée. Il est vrai que, comme moi, il n’est pas dans les "bien-pensants".

Il ne faut vraiment pas avoir lu les ouvrages de l’historien juif Flavius Josèphe ou ne les avoir lus qu’en diagonales pour s’imaginer qu’un texte aussi apocalyptique ait pu être rédigé après la chute de Jérusalem où "la nation juive a failli disparaître". Je cite Monseigneur Jean-Charles Thomas, évêque d’Ajaccio : « Pourquoi ce style typiquement prophétique d’annonce globale d’un événement futur si ce texte a été écrit après les faits ? » On est en pleine absurdité.

Pris d’un véritable délire prophétique dans l’attente d’un sauveur qui serait venu du ciel ou d’ailleurs, le peuple juif était entré en transes. Flavius Josèphe est d’une telle richesse d’informations qu’il faut vraiment être aveugle pour ne pas se rendre compte de cette effervescence qui régnait avant le conflit mais qui s’éteignit avec la chute de la ville et la destruction du temple.


Enfin, argument incontestable, c’est encore l’historien juif qui nous renseigne : « Mais ce qui les porta principalement à s’engager dans cette malheureuse guerre fut l’ambiguïté d’un autre passage de cette Ecriture qui disait que l’on verrait en ce temps-là un quelqu’un de leur pays devenir le maître du monde. » Quelle est cette "Ecriture" qui poussa toute la nation juive à se dresser contre Néron, contre Rome et son empire ? De toute évidence, c’est ce texte auquel on a donné le nom d’Apocalypse de Jean mais qui est, en réalité, une vision prophétique que son auteur, ou ses auteurs, ont "lue" dans un ciel "dévoilé" et qu’ils demandaient à leurs concitoyens d’accomplir sur terre. Mais oui, avant de traiter d’un tel sujet, il aurait fallu s’intéresser au style prophétique des textes juifs antérieurs pour comprendre le fil de l’histoire.

Quels sont les auteurs de l’Apocalypse ?


Le choix est assez vite fait dès lors que l’on élimine les Simon, les Jésus et autres noms dans l’air du temps. Entre le doux Jean de l’évangile et le Jean de Gischala que fustige Flavius Josèphe, il n’y a pas à hésiter. L’historien juif le présente comme le personnage le plus important de l’insurrection, illuminé, voire fanatique. Venu de Gischala, importante cité du nord de la Palestine, ce Jean a investi la ville de Jérusalem dès le début du conflit à la tête d’une troupe de sicaires. Il occupe un quartier de la ville et, détail important, le temple. On devine dans cette affaire un complot soigneusement préparé. On constate que Vindex, gouverneur de province en Gaule, a prononcé un véritable réquisitoire contre Néron au moment où Jean de Gischala cherchait à se rendre maître de Jérusalem. Flavius Josèphe déclare que les pélerins, venus de toutes parts, se trouvèrent enfermés dans la ville en grand nombre parce que c’était la fête de la Pâques, mais il a oublié de nous préciser -peut-être l’ignorait-il - que c’était aussi la date que les conjurés s’étaient probablement fixée. Enfin, qu’on ne nous raconte pas d’histoires ; Vindex n’est pas un nom d’origine gauloise. Il se traduit par "justicier". C’est un nom cousin de Juste de Tibériade.

Quel sauveur ?

Jésus de Nazareth ? Celui des évangiles ? Allons donc, soyons sérieux ! Flavius Josèphe est très clair sur ce point. Soulignant le rôle de Jean de Gischala, il écrit : « De tous les pays, de toutes les nations, ils sont venus chercher le Yahvé des armées sur la place de Jérusalem ». Et il précise dans un autre passage au sujet de cette Ecriture que les Juifs l’interprêtaient en leur faveur et plusieurs même des plus habiles y furent trompés. Car cet oracle désignait en réalité Vespasien qui fut créé empereur alors qu’il était en judée. Mais ils expliquaient toutes ces prédictions à leur fantaisie et ne connurent leur erreur que lorsqu’ils en furent convaincus par leur entière ruine.

Ce texte de l’apocalypse, je l’ai étudié ligne par ligne dans quelques chapitres de mes ouvrages publiés en 1996. Ces ouvrages ont fait l’objet d’un dépôt réglementaire à la bibliothèque nationale. Le web en fait mention. Si les auteurs et chercheurs préfèrent les ignorer, c’est de leur responsabilité. Quant à Arte, j’ai prévenu son directeur par lettre en date du 12/4/98, bien sûr sans avoir de réponse.

Le Yeshoua de l’apocalypse - Yahvé qui vient - est un Jésus né dans le ciel du sang des martyrs, martyrs combattants ou non combattants qui se sont rebellés contre l’ordre romain. Ce Jésus "transpercé", et non crucifié, s’apprête à descendre dans un sauveur terrestre. Il n’y a là rien d’extraordinaire. L’empereur romain, lui-même, recevait en lui l’esprit divin le jour de son intronisation.

En revanche - que cela leur soit au moins compté - les auteurs de la série ont raison de dire que le texte de l’Apocalypse est dirigé contre Paul (parce qu’il tolère que l’on mange de la viande sacrifiée aux idoles) mais aussi contre les autres apôtres (les faux apôtres), mais aussi contre les Nicolaïtes (disciples du chrétien Nicolas d’Antioche). Mais le plus étonnant est qu’en vitupérant contre leur seigneur qui a été crucifié, l’auteur de l’Apocalypse nous apporte un témoignage inattendu sur Jésus de Nazareth, sur l’importance de son mouvement et sur la réalité de sa mise à mort.

L’église qui est venue n’est pas celle de l’Apocalypse mais celle des évangiles.



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