L’Univers a engendré « Dieu » pour permettre à l’homme de se comprendre

par Bernard Dugué
vendredi 15 novembre 2013

Je me lance avec une « sérieuse désinvolture » dans la théologie afin de dépoussiérer cette discipline qui a souffert autant des attaques infondées de l’athéisme et des rationalistes sectaires que des malversations perpétrées par les religieux plus préoccupés d’asservir et dresser les fidèles que de rechercher la vérité. Comment penser Dieu en ce 21ème siècle ? Ma thèse, c’est que :

Dieu n’a pas créé l’univers ; c’est l’Univers qui a engendré Dieu pour permettre à l’homme de se comprendre.

Cette thèse est puissante et relève sans doute de la téléo-théologie, nouvelle conception qui fait suite aux anciennes théologies ainsi qu’aux métaphysiques inscrites dans ce qu’Heidegger nommait onto-théologie. Le Dieu partiellement révélé dans les Ecritures n’est pas aux origines de l’univers ni de la nature mais advient à la fin des temps. Cela me paraît être une vérité avec laquelle je ne chercherai pas un aménagement pour sauver la création, même avec la subtile idée du tsimtsoum qu’on trouve dans la kabbale et encore moins dans la version mythologique scientifique du big bang. Il y a un ordre dans l’univers (information et énergie) qui n’a pas d’explication théologique. Dieu arrive à la fin des temps, quand l’homme commence à comprendre la nature et l’univers, un homme issu de la longue évolution du vivant, pendant des centaines de millions d’années. Cette idée mérite d’être associée celle énoncée par le mathématicien et philosophe Whitehead selon lequel Dieu ne crée pas le monde mais le sauve. Ce qui inscrit l’efficace divine à la fin des temps. Bergson avait également anticipé la téléo-théologie en énonçant une fameuse formule sur l’univers comme machine dont la « fonction » essentielle est de fabriquer des dieux. Je serais plutôt tenté par une autre formule sur l’univers comme machine à générer des messages divins. Ces messages apparaissent alors dès qu’il y a une créature capable de les entendre. Cette créature, c’est l’homme après le néolithique et à partir de l’époque de l’écriture. Les sages védiques étaient capables d’entendre l’univers et de formuler des paroles divines. De plus, ce sont les hommes qui sont allés « chercher » Dieu pour l’interroger et non l’inverse.

L’erreur de la théologie classique fut d’attribuer la création du monde et des espèces au Dieu qui parle à travers les prophètes. Dieu ne parle pas de l’univers, il ne parle que de l’homme et à l’homme. Et pourquoi ? Eh bien pour répondre à des questions que se pose l’homme, soit ouvertement, soit inconsciemment ou même à des questions que l’homme ne se serait jamais posé. Dieu n’impose rien, il n’est qu’une réponse permettant à l’homme de comprendre son existence. Il suffit de lire attentivement les Ecritures pour comprendre que derrières ces textes se trouvent des questions. La plupart étant des questions que se sont posées les philosophes de l’Antiquité et auxquelles ils ont répondu avec leur ressources cognitives disponibles. Mais on trouve dans les Ecritures quelques réponses à des questions étrangères à la philosophie antique, par exemple sur l’eschatologie et la parousie.

Cette manière de comprendre « Dieu » et sa parole permet de prendre quelques distances avec les pratiques religieuses instituées et d’établir une alliance nouvelle avec le divin. Il est très probable que les religieux n’aient pas compris Dieu en le personnalisant mais c’était en quelque sorte un mal nécessaire pour rendre crédible la religion auprès de fidèles. Dieu n’existe pas comme entité indépendante. Les paroles divines sont des réponses distinctes posées par des questions différentes spécifiques de lieux et d’époque avec les trois grands ensembles que constituent les deux Testaments et le Coran, livres fondamentaux pour les trois monothéismes d’Occident. Ces textes supposent deux préalables. D’abord il faut savoir les entendre, puis convenir qu’ils ne sont pas les dernières réponses données par « Dieu » à l’homme. Les dignitaires religieux sont en ce sens d’affreux conservateurs. Et les prophètes des révolutionnaires ! Et les hommes des abrutis qui, au lieu de se comprendre grâce à Dieu, se foutent sur la gueule en se réclamant de Dieu.

« Dieu » parle en infusant la révélation et la création à travers les prophètes sans que ceux-ci ne se réclament de Dieu. Ni Mozart, Hugo, Einstein ou Darwin ne se sont réclamés de Dieu bien que leurs œuvres aient été divinement inspirées, comme des centaines d’autres. S’il est légitime de nier la participation de Dieu il est tout aussi légitime de l’inclure dans un dispositif théologique compatible avec la connaissance de l’homme et susceptible de donner un sens transcendantal à l’existence. Dieu comme dispositif de paroles proposant des réponses. Et l’homme libre de s’en remettre à ses réponses ou de tenter d’en apporter des meilleures lorsque le moment est advenu. Ce que fit l’Europe post-chrétienne mais aussi ce que ratèrent les sociétés islamiques. Vaste sujet qu’on n’abordera pas malgré son importance décisive pour le 21ème siècle.

L’aventure de la vie sur terre a abouti après des centaines de millions d’années à l’espèce humaine, dont l’évolution est elle aussi longue, comparé à son histoire récente depuis la période néolithique avec la conscience capable de combiner savoir et savoir faire, puis l’écriture et enfin, la période axiale (- 500 à 600) lorsque commence l’histoire des hommes ayant choisi comme partenaire celui qu’ils appellent Dieu ou à défaut désignent comme divin sans vraiment le comprendre. L’essentiel étant que l’homme se soit compris, au moins pour avancer dans l’histoire. La pensée du 21ème siècle verra plusieurs basculements. J’ai déjà évoqué les sciences de la nature. Cette fois, on peut prophétiser une inversion onto-théologique. La connaissance de l’universel aux philosophes et la théologie comme une branche parmi d’autres au sein de l’ontologie universelle. Ce qui est cohérent avec la thèse d’un Dieu engendré par l’univers ou plus exactement la rencontre de l’humain et de l’énergie universelle. Dieu est efficace comme une « infusion » dans la pensée humaine. Une infusion qui transforme l’homme en espèce divinement inspirée. Une espèce qui alors sort du cadre darwinien. Le récit universel de notre terre commence avec le monde prébiotique et s’achève avec l’espèce humaine consciente d’un monde divin. Nous ne sommes en fait qu’une petite partie de l’univers.


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