La faute de Madame Berra : « Quand j’entends « cathédrales » je sors ma laïcité... »
par armand
vendredi 25 décembre 2009
La religion c’est l’ensemble de rites, croyances, assortis de lieux de culte, qui permet à l’homme de donner une forme et une intelligibilité au mystère de la vie. Elle emprunte l’idiome particulier et le génie spécifique de chaque peuple. En cela, les cathédrales sont non seulement des édifices de culte, mais des expressions du génie de la France, à la fois chefs d’oeuvres d’art et lieux de mémoire. Les réduire à de simples églises c’est une erreur, d’autant plus choquante qu’elle nous vient d’un ministre de la République. D’autres lieux à la fois cultuels et culturels s’en rapprochent dans leur fonction et leur symbolique, acquis à travers les ans. La Grande Mosquée de Paris, à mon sens, fait aussi partie de l’héritage culturel et artistique de la France.
Mais le plus grave est à chercher dans les commentaires de Madame Berra, parlant de vision passéiste. Or, loin d’être passéiste, la cathédrale est un lieu on l’on conserve non seulement l’héritage architectural du Moyen Age, mais le Grand Temps, qui permet à l’homme de devenir son propre ancêtre, d’éprouver l’immense vertige des générations, vagues roulées et déroulées vers le même rivage. Mais peut-on s’attendre à ce que Madame Berra comprenne l’intemporalité de la cathédrale, elle qui appartient à un gouvernement inscrit dans l’immédiat et non dans la durée, qui semble avoir oublié que les grandes hâtes produisent le plus souvent de médiocres effets ?
Dans son empressement à sortir l’argument éculé de la laïcité pour fustiger M. Clément, elle oublie un fait capital. Tout d’abord, le rôle éminemment culturel et national des cathédrales (mais on peut comprendre qu’elle n’ait pas lu Péguy...grave lacune, néanmoins, chez une Française de sa génération), et surtout, la différenciation entre un Etat qui est, effectivement, laïc depuis 1905, et un pays qui ne saurait l’être. N’en déplaise à un Julien Dray « la France c’est la République » tout guilleret de se trouver miraculeusement blanchi par le parquet, la France ne se confond pas avec son gouvernement, ni même avec la République. En France on est en République, effectivement, et la République est laïque. Là encore, zéro pointé pour cette dame, qui est pourtant cultivée, intelligente, et sait s’exprimer.
Evoquer, comme elle le fait dans son interview, un « socle de valeurs » comme constitutif d’identité nationale, c’est également une erreur. Ce socle peut contribuer à asseoir cet assabiya, le sentiment de groupe cher à Ibn Khaldoun, à mon sens la meilleure définition jamais donnée à l’identité collective. Il n’en est pas le fondement. Les Russes combattirent Hitler pour sauver Matouchka Rossiya, non pour conserver les valeurs de la Patrie des Soviets. Et les Iraniens, toutes tendances confondues, firent face aux Irakiens pour défendre l’Iran éternel, et non le velayat-i-faqih des mollahs.
Qu’un ministre de la République trouve scandaleuse la phrase de M. Clément au point d’en faire une scène laisse perplexe. Suggère-t-elle que France resterait France avec une majorité musulmane ? Que cette hypothèse est froidement envisageable ? Ou au contraire qu’il s’agit d’une projection fantaisiste, de la part de M. Clément, uniquement destinée à exciter les esprits ? Je comprendrais mieux cette troisième hypothèse.
Que l’identité française ait une forte composante chrétienne, que l’Islam (qui n’est deuxième religion de France ,en France métropolitaine, que depuis quelques décennies) soit religion minoritaire et qu’il n’ait pas joué de rôle fondateur dans la création progressive de la France historique, relève du constat. Je n’entends pas les juifs s’en plaindre, ni le contester. De plus, la réaction viscérale de Madame Berra est de nature à renforcer le sentiment communautaire (malgré elle, je veux bien le croire). Sans être croyant, ni pratiquant, ni même chrétien, on peut aimer, chérir ou tout au moins accepter la cathédrale comme une part indissociable de son héritage de Français. Malgré l’antériorité historique du christianisme en Asie Mineure, imaginerait-on une Turquie- pourtant laïque - sans l’Islam et ses mosquées emblématiques ?
L’identité nationale c’est comme l’éléphant et les aveugles de la vieille fable : chacun, en tâtonnant, prend une partie pour le tout. Réduire le France à son identité chrétienne c’est insuffisant. Ecarter cette dernière au profit de la seule République, c’est faire comme les ex-pays de l’Est, faisant démarrer leur histoire moderne à la naissance de leurs partis communistes respectifs, ou comme les états islamiques, qui rejettent tout ce qui est antérieur à l’Islam dans les ténèbres de la Jahiliya.
Est-ce pervers de ma part que de rappeler que Madame Berra, qui fustige l’opinion d’une « fraction de la population » et parle de « passéisme » est chargée des « Aînés » - ceux qui détiennent la mémoire de la Nation ? N’est-ce pas fâcheux qu’une personnalité, pas même élue, mais siégeant au gouvernement par le seul fait du Prince, s’en prenne à un élu du peuple au sujet de l’identité. Une faute, ou tout au moins un manque de tact, qui risque d’être récupérée tant la caricature semble grossière. Mais peut-être que Madame Berra, comme le suggère malicieusement M. Clément, a-t-elle besoin à des fins électorales de son "quart d’heure de célébrité".
Bon Noël à toutes et à tous.