La mécanique quantique comme source pour une nouvelle religion ?

par Bernard Dugué
vendredi 10 août 2018

 

Il est vain de poser une question si l’on n’a pas la réponse ou du moins quelques pistes pour y répondre. Avant de réfléchir à une religion nourrie par la mécanique quantique, quelques brefs rappels sont indispensables. Nous Occidentaux connaissons deux catégories de religion, fondées sur la révélation ou l’étude de la nature.

 

 

1. Les religions révélées sont basées sur les Ecritures et sont ainsi désignées comme religions du Livre.

 

Le principe est simple. Dieu a révélé aux hommes les signes de sa présence et quelques indices pouvant être utiles à la foi et à la conduite de l’existence en communauté. Les prophètes sont les médiateurs de la Parole de Dieu, les messagers. Ces paroles sont consignées dans l’Ancien Testament pour la religion juive ou le Coran pour les musulmans. La religion chrétienne est aussi une religion du Livre consignée dans le Nouveau Testament dont la spécificité est de décrire la vie d’un homme fait Dieu, ou d’un Dieu fait homme. Ce qui est inacceptable pour les fidèles des deux autres religions du Livre.

 

La religion a toujours été accompagnée et appuyée par des réflexions théologiques. Les Pères de l’Eglise chrétienne ont élaboré et interpréter le dogme central du christianisme, la Trinité, définie comme unité consubstantielle de trois Personnes qui ne sont pas confondues mais unies. Origène et Orient et saint Augustin en Occident ont contribués à l’élaboration de ce dogme qui est resté un mystère et du reste, doit le rester. On doit aux orientaux la formulation progressive de cette Trinité en utilisant un terme grec, la périchorèse, qui signifie une rotation d’un genre particulier. Grégoire de Nazianze l’introduisit au IVe siècle, puis Maxime le Confesseur. Cette notion fut employée pour établir le lien entre la nature humaine et la divinité du Christ. Il a été étendu à la Trinité.

 

En latin, périchorèse a été traduit par circumincession. Ces deux notions ont été oubliées entre-temps. Dans un dictionnaire de théologie de 1850, on ne trouve pas ces notions parmi les quelque 2500 de cet ouvrage en cinq volumes. La théologie a quelque peu été tétanisée après les découvertes de la science et la révolution française. Ces notions ont été retrouvée et retravaillée par les théologiens contemporains ayant œuvré à la renaissance de la théologie après 1930. Ces remarques indiquent qu’une religion doit être assortie d’une théologie, sinon elle reste une fantaisie de la pensée humaine.

 

 

2. La religion naturelle repose sur un syncrétisme entre le principe d’un régisseur de l’univers et les effets pouvant résulter de l’action de ce régisseur.

 

Pour être complet, il faudrait évoquer Platon et Plotin et leur philosophie théiste. Je passe directement à l’époque moderne.

 

Suite aux travaux de Newton sur une force de gravité transmise instantanément et réglant le mouvement des planètes avec une précision mathématique, quelques penseurs des Lumières ont forgé la thèse déiste du grand Architecte de l’univers. Il en résultat l’élaboration d’un nouveau culte dédié à l’Architecte de l’univers. Un culte souvent pratiqué dans des temples. Mais n’entrait pas qui voulait dans cette confrérie. Si pour les chrétiens, chaque personne est invitée à entrer dans la communauté des fidèles moyennant le baptême, les fidèles du grand Architecte doivent accepter les règles d’une initiation effectuée au sein du temple. La Franc-Maçonnerie a perpétué ce culte encore pratiqué dans les loges dites régulières.

 

La religion déiste diffère de son homologue chrétienne. C’est une religion naturelle dont la foi repose sur la science mais dont l’espérance et le salut, du moins sur terre, ne reposent que sur l’homme, sa bonne volonté et l’usage de la raison. Le déiste ne prie pas, le chrétien prie afin que Dieu lui accorde quelques bienfaits.

 

 

3 Le principe anthropique, la mécanique quantique et les lois de la nature.

 

De quelle nature s’agit-il, du cosmos autour de nous ? Non, de la matière. Une matière décrite par des formules étrangères à celles employées dans la physique classique mais aussi étrangère aux champs. Certes, le champ EM déborde sur la physique quantique avec l’effet photoélectrique, certes, l’électrodynamique quantique incorpore les tenseurs de l’EM dans son lagrangien mais la mécanique quantique va au-delà des masses et des champs. Elle scinde les physiciens en deux camps, ceux pour qui il faut redonner à cette physique une image classique et ceux qui pensent que le voyage vers l’univers quantique est sans retour. Einstein croyait à une représentation utilisant le champ. Heisenberg et Bohr savaient qu’on ne pouvait revenir en arrière. La physique quantique dit autre chose, des choses inédites et cachées.

 

Quelle ouverture religieuse la mécanique quantique dessine-t-elle ? Nul ne sait. Les conservateurs ont tenté de revenir à l’image du grand Architecte qui est devenu le grand Concepteur de Lego. Cette fois le Dieu naturel ne règle pas uniquement les astres, il règle la chimie et les réactions moléculaires compatibles avec l’apparition des atomes, molécules et vie. Cette idée est à la base du principe anthropique formulé par Carter en 1974. Dans sa version forte, ce principe énonce que les constantes réglant les processus de l’univers sont fixées de telle manière qu’elles permettent l’émergence de la vie puis de la conscience. Notamment la constante de structure fine qui intervient dans la « force électrique ». Si cette constante était trop faible ou trop forte, la genèse des atomes nécessaire à l’émergence des molécules et de la vie serait impossible.

 

On comprend que le principe du Concepteur réglant l’assemblage des briques de la vie est similaire au principe du grand Architecte. Si une religion se base sur le principe anthropique, elle ne diffère en rien du déisme, sauf qu’elle introduit une finalité dont le résultat abouti est l’apparition des observateurs de l’univers. Elle nourrit une fois dans la « nature physique » mais ne propose ni ne conditionne aucun salut. Le principe anthropique n’utilise pas les propriétés les plus énigmatiques de la physique quantique. Il reste pour l’essentiel basé sur une ontologie mécaniste héritée de Newton et dont la science peine à se défaire.

 

4. Pourquoi la mécanique quantique dans la genèse d’une nouvelle religion ?

 

Si la physique quantique devait appuyer une religion, ce ne sera pas une religion basée sur le Livre mais sur la nature. Une religion basée sur les résultats de la science mais qui doit se distinguer radicalement du déiste des Lumières car la nature quantique contient un ensemble de descriptions incompatibles avec la conception en termes d’objets, de champs, de mécanismes. Mais peut-être que cette religion existe déjà, reposant sur l’expérience des hommes et la philosophie. Une religion qui n’offre pas nécessairement le salut mais un accès vers la vérité, l’ouverture d’un monde, une résonance avec l’Etre et les essences de l’univers. Une religion dont les contours s’accordent avec Platon ou Heidegger et la pensée de l’Ereignis (clairvoyance). Qui sait si cette religion non révélée mais vécue n’incite pas à modifier la mécanique quantique. Après tout, Heisenberg avait déjà envisagé cette possibilité ; modifier la physique quantique pour inclure la vie, la conscience et j’ajoute pour ma part, l’expérience religieuse. Enfin, rien ne s’oppose à ce que la Trinité soit partie prenante dans cette nouvelle doctrine reliant le cosmos et la matière à travers la conscience, le Dasein et l’Etre. Si des secondes Lumières émergent en ce trouble XXIe siècle, ce sera avec la physique quantique et une nouvelle théologie.

 

Remarquons qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à la mécanique quantique, ni de la comprendre, pour croire en quelque chose qui nous dépasse et élève notre âme. Il n’est pas besoin non plus de développer plus en avant la mécanique quantique qui est d’une redoutable efficacité, même si elle reste énigmatique. Développer la physique quantique vers la métaphysique reste un luxe réservé à quelques savants aussi décalés des choses communes que les moines qui se consacrent à Dieu et prient dès six heures du matin.

 

Ces notes éparses et parfois brouillonnes offrent matière à méditer en cet été secoué par la météo. La religion comme question n’intéresse pas beaucoup de monde. Les fidèles vont à l’Eglise ou ailleurs selon le culte pratiqué. Les non croyants « matérialistes » pensent à dévorer le monde le plus rapidement avant la mort. Et quelques âmes sont sur le chemin, sur un chemin. Portez-vous bien !

 


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