Laïque, mais pas trop !

par Voris : compte fermé
jeudi 28 septembre 2006

La laïcité ne peut se concevoir comme une hostilité de principe à la religion. Pas davantage comme un dogme républicain érigé, défendu par des fanatiques du concept. Elle doit être une affirmation d’une liberté de conscience, une affirmation d’égalité des options spirituelles et religieuses, une affirmation de neutralité du pouvoir politique. A en croire certains, l’ennemi de la laïcité a aujourd’hui un nom : Machelon  !

Jean-Pierre Machelon est professeur de droit et surtout président de la commission à laquelle il a donné son nom. Cette commission propose le financement des lieux de culte par les communes. Mais comment ne pas voir que les ennemis de la laïcité sont ailleurs que dans ce bouc émissaire tout désigné ?

1 - Les ennemis de la laïcité :

-Le premier ennemi du principe de laïcité est sa définition insuffisante

Le concept de laïcité a profondément et durablement marqué la culture française. Pourtant, ses contours sont imprécis.
L’article 2 de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat dit ceci : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Et aussi : « La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. »
Le principe de laïcité est ensuite passé dans la constitution de 1946, puis dans celle de 1958, qui dit dans son article 2 que la France est laïque et qu’elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, qu’elle respecte toutes les croyances.
Il existe néanmoins aujourd’hui des conceptions divergentes du principe de laïcité, qui font que la jurisprudence parfois hésite. La commission Machelon, profitant de cette faiblesse, s’arroge le droit de contester la portée constitutionnelle du principe.



-Le deuxième ennemi de la laïcité est son incomplétude 

La séparation de l’Eglise et de l’Etat ne s’applique pas à la région Alsace-Moselle qui était, à l’époque de la loi de 1905, encore en territoire allemand. Aucune loi n’étant venue par la suite mettre les choses en conformité, la situation aujourd’hui est dite concordataire (le chef de l’Etat désigne l’évêque, comme du temps de l’empereur Napoléon 1er après le Concordat de 1801). Cela en violation flagrante du principe constitutionnel de laïcité !

-Le troisième ennemi de la laïcité est le ministre actuellement chargé des cultes

Nicolas Sarkozy s’affirmait, le 19 septembre 2005, "le ministre de l’Intérieur qui s’est le plus senti ministre des cultes " au risque de confondre sa mission publique de ministre chargé des cultes avec la fonction de « ministre du culte », qui est une fonction du clergé. En novembre 2004, il avait ouvert une polémique en suggérant de « faire évoluer » la loi de 1905 dans son livre La République, les religions, l’espérance (Editions Le Cerf). Jacques Chirac l’avait tancé, se refusant à modifier un texte qui a « si profondément contribué à la paix civile dans notre pays ». Dominique de Villepin avait souligné le risque d’« ouvrir la boîte de Pandore ». Qu’à cela ne tienne, notre ministre des cultes persévère et, comme toujours pour aborder une question délicate, choisit l’attaque frontale, réveillant les anciennes querelles, avivant les passions, dressant sur sa route de nouveaux opposants. On est loin de l’idéal de paix civile évoquée par le chef de l’Etat.

2 -Retrouver la voie d’une « laïcité apaisée »

L’exemple historique de la loi de 1905 ne peut être reproduit : il s’agissait alors de prononcer un divorce entre l’Eglise catholique et l’Etat. Aujourd’hui, l’Etat étant indépendant de toute religion, c’est au contraire un rapprochement qui est suggéré, avec l’islam en particulier.

La laïcité que l’on a qualifiée d’apaisée ne se fit pas en un jour. Elle a été le résultat d’un long processus parsemé de violents débats idéologiques entre l’Etat et l’Eglise catholique, pour n’aboutir au compromis qu’en 1921. Et l’on voudrait aujourd’hui relever le nouvel enjeu dans un délai très court !

L’approche méthodologique n’est pas la bonne : c’est une commission composée de seize membres, tous dévoués à la cause religieuse, qui a été chargée de redéfinir le principe de laïcité. Et cette commission, si peu représentative, se permet de contester la portée constitutionnelle de l’article 2 de la loi de 1905.

Après l’échec relatif de la commission Bernard Stasi (le voile islamique a monopolisé les débats dans le champ médiatique), fallait-il charger encore une commission de ce dossier explosif à seulement deux ans d’intervalle ? La première commission, mandatée par le chef de l’Etat au nom du principe national de laïcité, se composait de membres de divers horizons et elle était présidée par un médiateur. La seconde était désignée par Sarkozy au nom de ses propres idées et n’avait pas la même objectivité.

C’est tout le processus qui est à reprendre sur la base, cette fois, de débats ouverts, et autrement que par la méthode violente de la «  rupture » historique et de l’attaque frontale des états d’esprit. Ce n’est que par cette autre voie que l’on pourra utilement faire progresser par ajustements successifs et discutés l’idée de Laïcité, que l’on pourra la rénover tout en préservant la paix civile, en la consolidant même. L’Etat, bien que garant de la neutralité, ne peut ignorer le fait religieux comme fait social facteur de cohésion et d’harmonie. Encore faut-il que ce fait social soit pris en compte correctement.


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