Le Bouddhisme et l’Occident

par Catherine Segurane
vendredi 20 août 2010

Le Bouddhisme et l’Occident furent en contact étroit dès l’antiquité, et le bouddhisme porte en lui l’héritage génétique de la philosophie grecque. Il n’est donc pas surprenant que cette grande religion, ou philosophie (chacun la qualifiera comme il voudra) n’ait qu’à paraître pour s’implanter en occident : elle y est chez elle.

Dans ce contexte, nous ne nous étonnerons pas de trouver des convergences entre bouddhisme et philosophie grecque : même objectif de recherche d’un bien-vivre sans vulgarité (ou de suppression de la souffrance, ce qui est la même chose) ; même énergie dans la maîtrise des passions, désir ou colère ; même reconnaissance distanciée de l’existence du monde des dieux (sans majuscule) : on ne nie pas qu’ils existent, mais on n’en attend pas son salut ; même recherche de la tranquillité d’âme et de la sérénité, sous le nom d’ataraxie pour les différentes philosophies grecques (tant disciples d’Epicure que Stoïciens ou Sceptiques) ou sous le nom d’équanimité pour le bouddhisme.

Voici quelques textes qui témoignent de cette influence grecque :

LES INSCRIPTIONS D’ASOKA

L’empereur Asoka, qui régna sur la majeure partie de l’Inde, fut sacré vers 273 avant Jésus-Christ. Les inscriptions sur pierre, qu’il fit graver sur tout le territoire indien pour diffuser le bouddhisme, sont les seuls textes figurant sur un support matériel contemporain du texte qu’il porte, dans ce monde indien au climat tropical, qui se prêtait mal à la conservation matérielle des écrits sauf quand ces derniers étaient sur pierre (les manuscrits disponibles sur papier ou support similaire ne remontent guère au delà du dix-huitoème siècle). Nous voilà donc dans le domaine de l’histoire des débuts du bouddhisme et non de sa légende. Nous leur avons consacré un article sur Agoravox.

Cet empereur Asoka appartient à la dynastie Maurya, elle-même en contact avec le monde grec depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand. Avec lui, nous allons de surprise en surprise, découvrant un empereur qui connaissait fort bien le monde culturel grec, et dont certaines inscriptions sont d’ailleurs en grec et en araméen.
 
Or, les écrits d’Asoka nous montrent une doctrine bouddhique encore extrêmement malléable à l’époque de cet empereur, puisqu’il nous dresse une liste de textes bouddhiques qui ne correspondent à ceux d’aucune école actuelle.
 
Cela ne veut pas dire que le Bouddha Sakyamouni n’est pas antérieur à Asoka. Nous sommes même certains qu’il l’est, puisque Asoka nous relate les pélerinages qu’il fait aux haut-lieux de la vie du Bouddha historique. Pour autant, les inscriptions nous montrent aussi que la doctrine bouddhique ne s’est fixée qu’après le règne de ce grand empereur, à une époque où les dynasties issues des généraux d’Alexandre règnaient sur le nord de l’Inde, qui connaissait une brillante civilisation métisse gréco-indienne.
 
Après Asoka, le Gréco-Bouddhisme se continue jusque vers le cinquième siècle après Jésus-Christ, ce qui fait donc un total de plus de sept cents ans ; voilà qui laisse le temps de quelques interactions ; ce sera le temps des fameuses Questions du Roi Ménandre (Milindapanha), évoquées ci-après, de l’art du Gandhara ... encore toute une histoire.
 

LES QUESTIONS DE MILINDA

Les Questions du Roi Ménandre, ou Milindapanha, sont un texte bouddhique se présentant comme un dialogue entre le moine Nagasena et le roi Ménandre 1er (Milinda en langue indienne), un roi indo-grec descendant des généraux d’Alexandre.

Ménandre 1er régna de 160 à 135 environ avant notre ère ; il établit sa capitale à Sagala (actuelle Sialkot, au Pakistan) et se convertit probablement au bouddhisme. Le récit de ses entretiens avec le moine Nagasena, le Milindapañha, est parfois intégré au Khuddaka Nikaya, un des livres canoniques du Canon Pali. Le règne de Ménandre donna une première impulsion à l’art gréco-bouddhique.
 
Les questions de Milinda est un ouvrage qui se compose de plusieurs livres dont les trois premiers sont considérés par les spécialistes comme les plus authentiques, et les plus agréables à lire. Ces trois livres peuvent être lus en ligne en texte intégral.
 
La date du texte n’est pas connue, mais il est considéré comme très ancien, et peut-être même vraiment écrit dans un contexte indo-grec. En tous cas, le style est facile d’accès pour un occidental, il est coloré, rapide, enlevé, et le dialogue, qui constitue l’essentiel du livre, fait indiscutablement penser à Platon.
 
Voici comment l’ouvrage commence :
 
"Il y avait chez les Yonakas une cité nommée Sâgalâ , riche en centres de commerce de toute sorte, ornée de rivières et de montagnes, avec des coins charmants : parcs, jardins, bosquets, lacs, étangs de lotus, avec toute la séduction des eaux, des monts et des bois. De savants géomanciens en avaient dressé le plan. Ses adversaires et ses ennemis, domptés, avaient renoncé à lui nuire. Elle avait des tours de garde et des forts nombreux et solides, des portes monumentales et des arcades élégantes, une citadelle entourée de fossés profonds et de murs blancs. Rues, carrefours, places y étaient bien distribués.
 
On y admirait des boutiques pleines d’objets de choix, variés et bien exposés, des centaines de halles à aumônes, et un nombre infini de belles demeures pareilles aux cimes de l’Himalaya. Les quatre corps de l’armée : éléphants, chevaux, chars, gens de pied, y étaient réunis. Un flot de beaux hommes et de femmes gracieuses y passait. Dans les foules pressées, on distinguait les nobles, les brahmanes, les bourgeois et les gens du peuple. Ascètes et brahmanes s’y coudoyaient avec courtoisie, et on y rencontrait les savants les plus éminents."
 
Nous voilà transportés en plein contexte gréco-bouddhique, dans un monde où les Grecs s’appellent des Yonakas (Ioniens) et où Ménandre se dit Milinda.
 
Le dialogue avec Nagasena va traiter, sous forme de questions et réponses, les points les plus complexes de la doctrine bouddhique, en particulier celles tenant à l’inexistence du moi.
 
Ce sont en effet ces questions qui furent probablement la partie la plus discutée quand furent mis en contact des bouddhistes ne croyant pas en l’existence du moi et des Grecs dont la philosophie faisait de l’homme la mesure de toutes choses. On imagine les débats passionnés qui durent avoir lieu à la cour de ces souverains grecs déjà friands de discussions.
 
Peut-être certains ressemblèrent-ils à celui entre Ménandre et Nagasena.
 
LES SUTTAS DU CANON PALI
 
Les textes canoniques (le canon) de l’école bouddhique du sud (parfois appelée Petit véhicule, ou encore Théravada) sont écrits dans une langue appelée le pâli. Ils constituent donc le Canon pâli. Parmi ces textes, ceux que l’on appelle les Suttas sont des sermons attribués au Bouddha historique. D’après la légende, ils remontent au Bouddha lui-même et ont été transmis oralement de moine en moine avec une parfaite exactitude. La recherche moderne ne prend évidemment pas ces revendications au pied de la lettre, comme le montre cette étude intitulée Le Canon pâli, toute une histoire. Il reste qu’il s’agit d’un texte très ancien.
 
Le Canon Pali nous impressionne par le rationalisme et la modernité de nombre de ses sermons.
 
Ainsi, nous apprend le Bouddha, l’inférieur social n’est pas celui qui est né dans la mauvaise caste, mais celui qui se conduit mal. Les questions inutiles sont celles qui portent sur des points de métaphysique invérifiables. Les actions et leur résultat, le karma, ne déterminent pas la totalité de notre expérience, il y a des quantités d’autres causes bien plus banales qui expliquent notre vie sans remonter toujours aux existences antérieures. Les sacrifices d’animaux sont des meurtres qui ne nous procurent aucun mérite, bien au contraire.
 
On fera une mention particulière du Kalama Sutta, sur l’esprit de libre examen, que l’on croirait écrit à l’époque moderne :
 
" Nous ne devrions pas croire à une chose uniquement parce qu’elle a été dite, ni croire aux traditions parce qu’elles ont été transmises depuis l’Antiquité ; ni aux "on dit" en tant que tels, ni aux écrits des sages parce que ce sont des sages qui les ont écrits ; ni aux imaginations que nous supposons nous avoir été inspirées par un être spirituel ; ni aux déductions tirées de quelque hypothèse hasardeuse que nous aurions pu faire ; ni à ce qui paraît être une nécessité analogique ; ni croire sur la simple autorité de nos maîtres ou instructeurs.

Mais nous devons croire à un écrit, à une doctrine ou à une affirmation lorsque notre raison et notre expérience intime les confirment.

C’est pourquoi je vous ai enseigné à ne pas croire simplement d’après ce qui vous a été dit, mais conformément à votre expérience personnelle et puis agir en conséquence et généreusement.

En conclusion :

Ne vous fiez pas à l’enseignant, mais à l’enseignement qu’il donne. Ne vous fiez pas à de simples paroles, mais à leur sens au-delà. Ne vous fiez pas au sens littéral, mais au sens définitif. Ne vous fiez pas à la conscience grossière, mais à la sagesse ultime qui réalise la véritable signification.

Par contre :

Fiez-vous au message du maître, non à sa personnalité. Fiez-vous au sens, non aux mots seuls. Fiez-vous au sens ultime, non au sens relatif. Fiez-vous à votre esprit de sagesse, non à votre esprit ordinaire qui juge."

 

 
 
 
 

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