Le Christ mythologique est un dieu païen comme les autres

par Catherine Segurane
lundi 30 janvier 2012

C'est un des aspects les plus mystérieux de la figure du Christ : au départ, nous avons un prédicateur juif qui sillonne les routes de Galilée et de Judée en dispensant un message empreint d'une compassion nettement plus grande que chez les autres religieux de son temps.

A-t-il existé réellement ? Pourquoi pas ? Il n'y a rien de surnaturel dans le fait de voyager, d'enseigner, de réunir des disciples autour de soi.

Mais la figure de Jésus prend une dimension mythologique avec le récit de la résurrection.

Et là, mystérieusement, le mythe se paganise fortement. On se croirait complètement sorti du milieu culturel juif. Le récit devient une des nombreuses variantes sur un thème omniprésent à cette époque dans les cultes à mystères tout autour du bassin méditarréen : un dieu subit une passion et ressuscite pour le salut des hommes.

Comment cette acculturation a-t-elle été possible ? Deux remarques :

D'abord, le judaïsme n'était pas un système clos. Il comprenait en particulier tout un courant fortement hellénisé, comme en témoigne, par exemple, la Bible des Septante (en grec) ; dans la "Galilée des nations", pays de Jésus, le milieu était fortement multiculturel. Lui-même, en tant que charpentier, a bien du connaître ces grands chantiers de l'époque qu'étaient les villes nouvellement construites de Sepphoris et Tibériade.

Ensuite, ses disciples prêchent dans les synagogues et se voient entourés de toute une population de sympathisants, de nouveaux convertis, de personnes en recherche qui devaient passer d'un culte oriental à l'autre et les faire déteindre l'un sur l'autre.

Le culte du Jésus mythologique, celui qui eu le pouvoir de ressusciter, nous offre un récit construit sur le même modèle que les cultes à mystères qui fleurissaient autour de la figure d'un dieu martyrisé, mort, et ressuscité pour le salut des hommes. De tels cultes étaient nombreux. 

Contrairement aux religions civiques, juive ou païennes, qui rendent hommage aux dieux pour en obtenir une protection politique pour la cité, les cultes à mystère s'intéressent à l'individu et à son salut. Le secret dont ils sont entouré empêche de les connaître avec tous les détails qu'on souhaiterait avoir, mais des constantes se retrouvent.

Osiris

Nous commencerons par parler d'Osiris, le dieu égyptien des morts. A l'époque du Christ, son culte a conquis tout l'Empire romain. Il est vénéré sous son nom ou assimilé à Hadès, parfois à Dionysos, sous le nom de Sérapis. Son épouse Isis est également très vénérée.

Osiris, dieu des morts égyptiens, est le premier et le modèle de ces dieux morts et ressuscités auxquels les contemporains des premiers chrétiens aimaient confier leur salut. Victime d’un assassinat, démembré, reconstitué par son épouse Isis mais pas complètement, ressuscité par elle mais pour un temps seulement, il vit dans les Champs d'Ialou, le domaine bienheureux qu'il a su créer de l'autre côté, de même que, sur cette terre, il avait su apporter la fertilité à l'Egypte. Il y accueille, après jugement, les défunts qu'il juge dignes de l'y rejoindre.

On comprend ce que la figure d'Osiris pouvait avoir de rassurant : c’est un dieu qui connait la souffrance, qui conserve une fragilité. C’est le roi des morts, mais c’est aussi un mort lui-même (il est d'ailleurs souvent représenté avec ses bandelettes de momie). On pourrait presque dire qu’il est sur pied d’égalité avec ceux qui comparaîtront devant lui ; en tous cas, il n’a pas, sur eux, cette supériorité infranchissable que le vivant a sur le mort. 

 Aucun sadisme chez lui : après une pesée de l’âme et un jugement, celui qui le mérite gagne un séjour heureux. Les âmes mauvaises sont dévorées et leur seul châtiment est la privation d’éternité.

Les « confession négatives » des Livres des Morts nous décrivent une morale dans laquelle l’humaniste moderne se reconnaît parfaitement : « Je n’ai pas affligé. Je n’ai pas affamé. Je n’ai pas fait pleurer. Je n’ai pas tué. Je n’ai pas ordonné de tuer. Je n’ai fait de peine à personne."

L'étude du mythe d'Osiris nous aide à comprendre celui de Jésus.

Avant de m'y interesser, je ne comprenais pas du tout pourquoi la passion du Christ pouvant racheter les pêchés des hommes. Je ne voyais pas le rapport. En quoi les souffrances du Christ devraient-elles inciter son Père à nous juger moins sévèrement ?

Je comprends mieux la logique de ce grand archétype quand, à la place tout à la fois du Père qui nous juge et du Fils qui a souffert, je place Osiris : je comprends alors aisément qu'il soit disposé à la compassion car il a sévèrement souffert lui-même.

Dionysos

C'est sous le nom de Zagreus que Dionysos est un de ces dieux morts et ressuscités pour le salut des hommes.

C'est une probable variante grecque du mythe d'Osiris, dont il est très proche.

Zagreus est né des amours de Zeus et de Perséphone avant que celle-ci épouse Hadès. Héra, jalouse, fait rechercher l'enfant par les Titans, qui le retrouvent, le démembrent et le dévorent, à l'exception du coeur.

Zeus avale le cœur de l'enfant et parvient ainsi à lui donner naissance une seconde fois, sous le nom de Iacchos — d'où une étymologie proposée pour le nom de Dionysos : « deux fois né ». 

Naître deux fois, c'est aussi une façon de ressusciter.

Zeus foudroya les Titans, et de leurs cendres naquirent les hommes marqués par cette double ascendance. La matière des Titans, dont ils sont constitués, ont donné aux hommes une propension à faire le mal, mais l'amour du bien est aussi présent en eux, puisque Dionysos est partie constitutive de la chair des Titans après qu'ils l'eurent dévoré, ces mêmes Titans dont la matière compose les hommes.

Ici encore, il y a un lien logique entre le martyre du dieu et le salut des hommes. Ce n'est pas tout à fait le même type de lien que dans le mythe d'Osiris. Ici, la problématique n'est pas celle du jugement et du pardon. Ce n'est pas ainsi que le problème se pose. Dionysos ne juge pas les hommes, pas plus qu'il ne leur pardonne ni ne leur refuse son pardon. Mais, puisque les hommes (par l'intermédiaire des Titans) l'ont dévoré, Dionysos est maintenant une partie de ceux qui l'ont absorbé. Il le confère par le fait même une étincelle divine, qu'il ne tient qu'à eux de faire croitre.

Les autres cultes à mystères sont nombreux (Orphisme, Mystères d'Eleusis ...) , généralement en lien avec les divinités chtoniennes : Hadès, Perséphone.

Esprits de la végétation

Les dieux dont le martyre apporte a l'homme son salut ont aussi pour point commun d'être à la fois des dieux funéraires et des dieux de la végétation, et ceci aussi bien dans le contexte égyptien (Osiris) que dans le contexte grec (Perséphone).

Osiris est comme le grain enterré lors des semailles qui ressuscite lors de la moisson suivante. Le grain est fécondé par l'eau dans le sol. Lors des récoltes il est démembré par les faucilles des faucheurs. Perséphone elle aussi est une déesse de la végétation, supposée descendre aux Enfers en hiver et revenir sur terre avec le printemps.

On comprend mieux, dans ce contexte, un rituel comme celui de l'eucharistie, où les fidèles sont invités à manger le corps du Christ sous la forme du pain, et à boire son sang sous la forme du vin.


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