Le christianisme en question : un devoir de vérité

par Emile Mourey
lundi 18 octobre 2010

 Je suis très étonné de la vacuité de certains ouvrages considérés pourtant comme des best-sellers. Je suis encore plus étonné de l’engouement qu’ils suscitent. Malgré son intérêt romanesque, le Da Vinci Code, qui invente des secrets absurdes que le Vatican chercherait à cacher, est un triste exemple d’égarement de la pensée - ou de diversion - ce qui fait passer à l’arrière plan les réflexions nouvelles que, d’ailleurs, le magistère de l’Eglise ignore ou fait semblant d’ignorer.

Je ne citerai pour mémoire que deux grands savants, aujourd’hui disparus, qui m’ont beaucoup influencé et dont je ne fais que poursuivre la pensée. Il s’agit d’André Dupont-Sommer qui eut la franchise d’écrire que les nouveaux textes révèlent que l’Église chrétienne primitive s’enracine, à un degré que nul n’aurait pu soupçonner, dans la secte juive essénienne et de Claude Tresmontant, auteur du « Christ hébreu », qu’on laissa mourir sans même lui donner la possibilité d’un débat.

  Nous sommes en l’an 61, neuf ans avant la guerre de Jérusalem de 70 que j’ai évoquée dans mon précédent article. Admettons que Paul - saint Paul - soit arrivé à Rome vers cette date après un voyage par mer passablement mouvementé (Actes des Apôtres 27 et 28). Confortablement installé dans un logement de location, il y enseigne sans entrave pendant deux ans la parole de Dieu : ceci nous porte au moins jusqu’en 63. Puis plus rien : le journal de marche des Apôtres s’arrête brusquement sans transition ni conclusion. C’est l’époque où des troubles commencent à éclater en Judée, signes annonciateurs de la guerre prochaine.

 En ce temps-là, l’empereur Néron régnait encore. L’Histoire en a fait le persécuteur par excellence des chrétiens. Et tout naturellement, on a pensé que si les Actes des Apôtres s’arrêtaient brusquement après l’an 63, c’est parce que Paul et ses compagnons avaient disparu dans la tourmente de la répression néronienne, après l’incendie de Rome de juillet 64. Tout cela est faux, archi-faux ; il n’y a aucune preuve.
 Non ! Paul n’est pas mort en 64 ; et le malheureux Néron n’est en aucune façon son meurtrier. Au moment où l’Apôtre disparaît des Actes, nous le voyons avec surprise ressurgir d’une manière, ô combien remarquable, sur la grande scène de l’Histoire, à Jérusalem même, lorsque la guerre éclate, mais sous son vrai nom de Saul.

En 63, Paul était à Rome, libre. En 66, Saul est à Jérusalem, libre. Dans son ouvrage sur la guerre des Juifs, Flavius Josèphe le cite en premier parmi les notables de la ville.

 Débordés par les révolutionnaires, les notables se rendent compte que la répression romaine va s’abattre sur Jérusalem, et beaucoup d’entre eux prévoient déjà le désastre.
 Ils envoient Simon, fils d’Ananias, auprès du gouverneur Florus et Saul auprès du roi Agrippa, pour lui demander d’intervenir rapidement afin d’étouffer dans l’œuf la révolution.
 Saul (c’est-à-dire Paul) arrive devant le roi Agrippa. Il ne l’a pas vu depuis son entretien de Césarée, mais cette fois, c’est en ambassadeur qu’il se présente et non en prisonnier. Il persuade le roi, et celui-ci, aussitôt, envoie à Jérusalem 2 000 cavaliers recrutés dans l’arrière-pays de Gamala sous le commandement de Philippe... Philippe ? Mais oui, l’Apôtre Philippe des évangiles  !!! Philippe est lieutenant du roi, fils de Joachim, lui-même ancien commandant en chef de l’Armée.
 Le légat de Syrie, Gallus Cestius, engage de son côté ses légions, mais à la suite de manœuvres malheureuses, il est mis en déroute devant Jérusalem.
 Les notables se rassemblent autour de Saul et de Philippe dans l’oppidum de Jérusalem (Sion). Les révoltés les assiègent. S’étant rendu compte de l’échec de l’intervention romaine, Saul et Philippe s’échappent de la ville et se présentent au légat de Syrie qui fait retraite.
 Saul lui demande instamment de l’envoyer, lui et ses compagnons, en Grèce où Néron se trouve en visite. Il veut attirer l’attention de l’empereur sur l’extrême gravité de la situation (cela signifie que saint Paul a prévu de s’agenouiller devant l’empereur romain).

 Informé par le citoyen romain Saul sur les revers subis en Judée par ses armées, Néron est inquiet. Depuis la Grèce, il désigne Vespasien pour rétablir l’ordre.
 En 67, Philippe se rend à Rome auprès de l’empereur. Mais celui-ci se trouvait dans une situation désespérée à cause des troubles. Il ne le reçut pas et Philippe revint aussitôt.

 Après la chute de Gamala, Flavius Josèphe ne parlera plus ni de Saul ni de Philippe, mais Juste de Tibériade, parent par alliance de Philippe, écrivit un livre introuvable sur ces événements.

 On voit que c’est une grave erreur d’avoir pensé que Saul, après sa conversion, aurait abandonné son nom pour prendre celui de Paul. Flavius Josèphe nous prouve dans le passage que je viens de rappeler que Saul, au début de la guerre de Jérusalem, s’appelait toujours Saul. Il faut comprendre que Paul n’était qu’un nom-code, un pseudonyme ou un autre nom pour parler au nom de Dieu. Philippe, en revanche, n’a pas senti la nécessité d’user de deux noms différents. Mais il faut remarquer, en ce qui concerne le Pierre/Simon des évangiles, que Flavius Josèphe, comme je l’ai montré par ailleurs, ne le connaissait que sous son vrai nom de Simon.
 
 Il s’ensuit que si les évangiles, les actes des Apôtres et les épîtres désignent ces notables sous des noms-codes (Pierre, Paul), Flavius Josèphe, en revanche, ne les met en scène que sous leurs véritables noms (Simon, Saul)

 Deux épîtres de Pierre nous sont parvenues, deux épîtres au style bien différent, l’une étant très proche du style des lettres de saint Paul. Mais oui, lecteur, tu as deviné. Après la mort de Simon/Pierre, c’est Saul qui a pris la tête de l’Eglise, mais non pas sous son nom-code de Paul mais sous celui de Pierre, autrement dit un Pierre II.
 Cette lettre de Pierre II/Saul est une véritable proclamation adressée aux jeunes églises d’Asie Mineure... On se rappelle que notre Paul avait passé beaucoup de temps à sillonner la contrée pour y fonder des communautés. J’ai expliqué comment Jean de Gischala, cité rivale de Gamala, y avait proclamé son Apocalypse. Manifestement, c’est l’Asie Mineure qui offre à l’Eglise de Gamala la zone d’expansion la plus favorable. C’est sur l’Asie Mineure que Pierre II/Saul doit faire porter son effort ; c’est en Asie Mineure qu’il envoie cette épître, et cela, de toute évidence, avant la guerre de Jérusalem.

 En voici le résumé :

  « Pierre (c’est-à-dire Saul), apôtre de Jésus-Christ, aux élus et aux voyageurs de la diaspora. Vous sur qui la main de Dieu s’est posée pour que vous obéissiez à Jésus-Christ et pour que vous soyez aspergés de son sang, soyez bénis ! Car Dieu vous a gardés pour le salut qui doit se révéler dans le dernier moment.
 Exultez ! car voici le temps des épreuves et voici qu’ensuite viendra la révélation de Jésus-Christ en gloire.
 C’est pour vous que les prophètes ont annoncé les souffrances du Christ (dans le corps des communautés) et les gloires qui le suivirent (les quatre évangiles).
 Ceignez les reins de votre intelligence ! Soyez saints comme le Père est saint pendant tout le temps que durera encore votre exil. N’oubliez pas que vous avez été rachetés par un agneau sans tache : Christ que Dieu a relevé des morts, en lui donnant la gloire (le conseil essénien martyr... la gloire du martyre... conseil essénien martyr... et ressuscité).
 Vous qui avez goûté que le Seigneur est bon (dans vos rapports avec la nouvelle Eglise), venez vers lui comme des pierres vivantes. La pierre (essénienne et baptiste) que le bâtisseur (Hérode le Grand) a rejetée, voici qu’elle est devenue la pierre d’angle. Vous qui n’étiez pas un peuple, vous êtes aujourd’hui le peuple de Dieu...

 La fin des choses est proche. Ne vous effrayez pas du feu qui éprouve les cœurs. Car le moment du jugement arrive, et c’est par la maison de Dieu (Jérusalem) qu’il va commencer.
 Et vous les Anciens, je vous exhorte à faire paître avec ardeur le troupeau de Dieu qui est chez vous, afin de mériter la couronne de gloire que le souverain Berger vous donnera quand il viendra.
 Soyez humbles, sobres, solides dans la foi ! Veillez et souffrez s’il le faut. Car les souffrances ne dureront que peu de temps, puis Dieu viendra pour vous rétablir, vous affermir et vous fortifier. Amen. »

 Que le lecteur replace cette lettre juste avant la guerre de Jérusalem. Et qu’il se mette à la place des communautés qui recevaient de telles directives. Oui ! c’était une ambiance de fin du monde !...

 Bref, c’est à Rome, ou à son retour, que Paul a pris la succession de Simon/Pierre. C’est à Rome ou à son retour que Paul s’est revêtu, comme d’un habit, du nom illustre auquel Jésus avait confié les clefs de son Eglise.
 
Première conclusion : je ne peux que reprendre le commentaire que j’ai fait à la suite de mon article du 15 octobre dernier http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/a-jerusalem-il-y-a-presque-2000-8281 :

En l’an 70, Jean-Baptiste et Simon/Pierre, en tant que personnes chefs de courants, avaient disparu, le premier décapité, le second crucifié. L’évangile de Matthieu, en l’an 48, est le compromis sur lequel ces deux courants se sont mis d’accord, à savoir un Jésus plus ou moins anonyme descendu dans le grand conseil essénien souffrant et martyr, ce qui n’exclut pas un retour en gloire dans le ciel avec un cortège d’anges (avant que la génération vivante disparaisse). Ce Jésus, c’est le Jésus de Nazareth des évangiles. Mais en l’an 70, il ne s’agit pas de Jésus de Nazareth qui, en manquant à la promesse des Ecritures, n’a pas rétabli Israël dans ses prérogatives de peuple souverain élu de Dieu. Il s’agit d’un Jésus du ciel dont on attend la venue ; une venue annoncée par le texte de l’Apocalypse de Jean de Gischala (à ne pas confondre avec le Jean de l’évangile) à Jérusalem ; et non du Jésus des évangiles qui est déjà venu.

En revanche, ma présente étude montre que saint Paul y espérait aussi, à Jérusalem, le retour en gloire de son Jésus, celui qui était déjà venu dans le corps des communautés saintes des évangiles.

Je rappelle également cet autre commentaire de mon dernier article : Il est probable que parmi les notables juifs, une bonne partie d’entre eux ont soutenu, voire encouragé, voire déclenché le mouvement - et parmi ceux-là saint Paul - mon étude en est la preuve. Peut-être ont-ils cru à une révolution pacifique ? Il aurait suffi pour cela que le Néron soi disant impie, ou son successeur, soit renversé et remplacé par un empereur pieux conforme à leurs croyances. Le problème est que ces notables ont été débordés par leur base populaire et que la plupart d’entre eux y ont perdu la vie.
 
Merci à l’historien Flavius Josèphe qui nous permet de comprendre un peu mieux ces tragiques événements ! Merci à lui d’être le juge de paix qui nous permet d’affirmer, contrairement aux avis des exégètes, que les textes du Nouveau Testament n’ont pu être écrits qu’avant la guerre de Jérusalem et que la chute de la ville marqua pour les Juifs assiégés la fin de leur incroyable espoir.
 
Josèphe écrit que, comme les pierres des catapultes étaient blanches, les Juifs les voyaient arriver, et ils donnaient l’alerte en criant : « le Fils arrive ! ». Mais le Fils n’est pas descendu du ciel.
 
Deuxième conclusion : cela fait 27 ans que le "Christ hébreu" de Claude Tresmontant est paru, 14 ans que mes deux "Histoire du Christ" ont été publiés. Par Jupiter tout puissant, quand est-ce que nos intellectuels et exégètes de France s’arrêteront-ils de bafouiller sur ce sujet et d’écrire n’importe quoi !
 
E. Mourey

Extraits de mes ouvrages
http://www.bibracte.com
 

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