Le malentendu laïc à Tunis comme ailleurs...

par Jamel HENI
vendredi 12 septembre 2008

Décidément, le burquini1 qui voile les plages de Tunis avait eu l’effet inverse. Cous tendus et yeux tout ronds ! D’où vient-il, se demande la rue ? Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Y a-t-il malentendu en terre d’islam ? Certainement et pas qu’un seul, à commencer par le quiproquo laïc !
1Nouvelle tenue de mer cachant tout le corps de la femme musulmane.

Nous y allons ici de notre couplet laïc. Nous l’entonnons « tuniso ». « L’islam tunisien est-il en danger » ?1. Nul doute, si les radicaux l’emportent. Si les radicales abattent définitivement leur burqa sur les âmes. Et si de véritables « caricatures » du prophète Muhammad en viennent à l’emmitoufler dans des accoutrements de l’époque... Également portés par ses ennemis de l’époque... à l’époque.
Mais s’en est-il fini. Notre cause est-elle bien perdue ? Nous et ces millions de musulmans paisibles qui courent les rues ? Que non, évidemment. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie intégriste. L’islam de Tunis, qui a donné le code du statut personnel a encore des raisons de se battre. Et de vaincre. Mais alors comment, par ces temps de Burqa ? Voilà une question sérieuse. Par Dieu, comment ?
D’abord en dissipant un malentendu. Le malentendu laïc. Bien lourd malentendu. Ah, le malentendu laïc ! Nous manquions des mots pour le dire. De courage conceptuel surtout. Un courage ordinaire. Alors, alors ? Banalité de départ : laïcité n’est pas athéisme. Ensuite une généralité, laïcité n’est pas scientisme.
 
Laïcité n’est pas athéisme
La première est un système politique fondé sur la sécularisation et l’autonomisation du politique par rapport au religieux. Le second rejette l’existence de Dieu, d’une pièce. La laïcité relève du génie temporel, l’athéisme affronte l’angoisse de la mort ici-bas, sans la moindre illusion métaphysique. Sa foi : un salut terrestre. Pure question ontologique. Alors, pour aller de la laïcité à l’irréligion, ce n’est vraiment pas la porte à côté !
Dans les recettes de grand-mère, la modernité (puisque nous en sommes à la post-modernité, avec les aspirations de la modernité !), la laïcité suppose une multitude de croyances. Qu’est-ce, donc, une laïcité où tout le monde est athée ? Religieux... Quelles différences viendrait-elle organiser, protéger et quel sens y aurait-il à contrôler des antagonismes qui n’existent pas ?!
La foi multiple, la croyance plurielle, les divers degrés d’athéismes ou de théologie sont la raison d’être même de la laïcité. Nous ânonnons des poncifs ! Certes, mais certains, en sont à refaire la même bêtise depuis un siècle : pour être laïc, il faut être athée !... Non seulement ceci n’est pas cela, mais encore, l’ordre laïc est un ordre structuraliste (priorité des formes sur les substances). L’organisation laïque aurait plus pour objet la relation entre identités culturelles, religieuses, etc., que ces identités elles-mêmes. Croyez ce qui vous va de croire, faites seulement en sorte que les autres puissent croire ce qui leur chante. Le politique regarde à la fenêtre vos différences, et veille aux bonnes relations entre elles, il empêchera avec la dernière énergie le choc de leurs expressions conquérantes.
Or, un certain athéisme conquistador admet à mauvais escient la superposition entre les deux concepts et opère un « déplacement » de l’objet laïc. En prêchant le devoir irréligieux de l’homme moderne, ce ne sont plus les relations entre identités respectives que l’ordre laïc aura à contrôler, mais bien plutôt ces identités elles-mêmes. Ce sont alors les substances mêmes qu’il s’attache à reconstituer, uniformiser ! Les substances et pas simplement leurs formes. L’ordre laïc abandonne chichement son structuralisme (dont se prévaut la modernité) et revendique là une posture paganisée, il injecte du devoir jusqu’aux ontologies. Ne croyez en rien, soyez contingences égales, harangue le prosélytisme athée ! Prédication, prédication, religion irréligieuse pour tous, le temple athée s’élève sur les décombres monothéistes, avec un diable (la religion) et le bon dieu (sa négation)… Avec des barbus, salafistes prosélytes du dogme de l’incroyance !
La laïcité est une chose, le prosélytisme athée en est une autre. Son contraire, au même titre que le prosélytisme religieux. L’athéisme est un choix, la propagande athée un fanatisme.
 
Laïcité n’est pas scientisme
Sans aucune présomption de vérité, la laïcité est une modalité pratique d’organisation de la cité. La science, elle, a cette prétention. Ou plutôt elle l’avait, avant la théorie de la relativité avant Heisenberg et avant les grandes désillusions de l’organisation scientifique de l’humanité. Dans ses formes les plus radicales, le scientisme est une foi en l’œuvre d’explication et de compréhension de l’univers et de l’homme. Il prêche les commandes rationnelles de l’histoire. Seules les connaissances scientifiques peuvent apporter une réponse satisfaisante dans tous les domaines. La science seule et bien seule peut apporter le bonheur et l’élévation de l’homme. La science au sens positiviste, presque naturaliste. Ce comptisme (Auguste Compte) écarte tout savoir métaphysique, ravalé aux ères pré-scientifiques. Bien que le scientisme ne soit une théorie établie comme telle, certains principes annoncent sans ambiguïté son empire définitif sur la connaissance. La science de la nature s’impose comme paradigme de toute connaissance objective, une science qui ne tolère aucune considération métaphysique, aucune réponse qui n’apporte ses preuves répétables, falsifiables et communicables...
Cela est-il sérieux ? Montaigne opposait déjà un scepticisme subjectif face à cet absolu positiviste, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». La théorie de la relativité, l’incertitude comme paradigme physique, les horreurs et non le bonheur apportées par certaines applications scientifiques, remettront plus tard cette suffisance scientifique en cause. Un relativisme méthodologique et théorique apportera de l’eau au vin positiviste. La science ne produit guère plus du vrai, pas plus que n’importe quel autre système de connaissance. Tout au plus propose-t-elle une explication efficace et démontrée, avec des espérances pragmatiques objectivement limitées, dépassables. Le principe pragmatique plus « matériel » a supplanté le concept du vrai paradoxalement « métaphysique » !
Alors quoi ? La laïcité plus pragmatique n’a aucune tentation du vrai, aucune prétention scientiste ? Les barbus de la science n’en ont simplement pas le monopole. Elle appartient à tous, car elle parle au nom de tous. AllaYkïa (laïcité) n’est absolument pas al Ilmania (le scientisme)... Mais pas du tout. Certains viendront ergoter sur l’inflexion du mot, nous diront qu’il dérive du substantif alam (univers) et non Ilm (Science) mais c’est tiré par les cheveux !
 
La voilà plus modeste la laïcité. Plus abordable, évidente. Alors y a-t-il mérite à être laïc ? Aucun. Aucun. Aucun. C’est une nécessité, la laïcité. Un corollaire aux principes de liberté et d’égalité. Tout être libre et égal à son semblable est un être laïc. Sa liberté et son égalité en dépendent. Tous laïcs ou tous tyrans. J’ai bien dit laïc, pas athée, pas scientiste... Encore moins jihadiste de la matière ! Or, le plus jeune monothéisme, l’islam de Muhammad, s’y prête fort. Exempt de clergé, en paix avec la vie et ses voluptés, il ne peut décliner l’invitation laïque...
 
Jamel HENI
jamelheni@netcourrier.com
 
 
1Titre du dossier du magazine tunisien L’Expression dans sa livraison du 08/08/2008.


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