Le racisme des autres

par Michel Koutouzis
samedi 24 juillet 2010

 Je viens de recevoir, va savoir pourquoi, un courriel d’un pope orthodoxe basé à Bordeaux. Qui me dit, grande soit sa magnanimité, que tous les turcs ne sont pas mauvais, et qu’il y en a même qui se sont convertis au christianisme. Les autres, « pratiquent une religion, l’Islam, très inhumaine et farouchement opposée, pour des raisons politiques aussi, au christianisme  ». J’ai mis, entre la Grèce orthodoxe et moi-même quelques milliers de kilomètres et depuis longtemps. J’y retourne cependant pour retrouver mon île, le ouzo, le kéfi c’est à dire, en turc, la joie de vivre (d’ou « je kiffe »), la mer (dont je ne m’éloigne jamais), et quelques potes. Inutile de dire que je visite aussi souvent la Turquie, où je fais exactement la même chose, remplaçant le ouzo par le raki.

Angélique, je ne suis pas. Entre mes cuites, je sens bien, lors de mes instants de lucidité, que les popes en Grèce et les imams en Turquie se sont donné le mot pour me pourrir la vie, limiter mon regard, contrôler mes mains baladeuses, m’obliger souvent à m’habiller « comme à l’église » (ou la mosquée). Si pour entrer dans un lieu considéré comme sacré par les croyants je m’exécute sans façons, je tiens à mettre dans la rue mes bermudas et montrer, impudique comme je suis, mes mollets. Je crois en effet, naïvement peut-être, que les trottoirs et les calderims appartiennent à tout le monde, ce qui, logiquement, inclut les infidèles.

Mais enfin, la mer Egée, les Dardanelles, la mer Noire, l’Anatolie c’est aussi l’orient. Je n’en fais pas une maladie. Après tout, à Patmos, Saint Jean, un pilier de l’église (sous ergot de seigle sans doute) a bien pondu le texte le plus hallucinant de l’histoire, l’Apocalypse et, à voir la multitude de mini tornades à Konya on comprend bien que le fondateur des derviches tourneurs, Mevlana, ai été emballé par le phénomène de la lévitation.

Mais Bordeaux ? Paris ? Bruxelles ? A l’époque où les croyants s’entredéchiraient du côté de l’Alexandrie ou d’Antioche sur la question du monophysisme, à Marseille la provinciale, à Nîmes ou à Toulouse, on était encore à vénérer Isis. Et du côté de Paris on dépeçait les apôtres du dieu unique, qui avaient pourtant fait un long chemin depuis Damas sans une égratignure.

Leurs fidèles, qui mirent un temps fou à installer le christianisme dans l’Europe des elfes et des lutins ne se privèrent pas d’en faire pareil pour les retardataires et les libres penseurs. A peine le travail terminé, survint l’Islam. Mais on n’était pas loin de l’an mille, et, le temps de reprendre l’Andalous, Luther se mit à pointer.

J’arrête là, même si l’histoire continue.

Elle continue à ce point, qu’un pope orthodoxe, en terre des Lumières, au cœur de la Gironde laïque et pas si loin des terres cathares, trouve que les seuls turcs sympa sont les rares a avoir viré chrétiens. L’histoire continue à ce point, que, sous la forme de farce tragi-comique, sous les effets psychédéliques d’une nostalgie conquérante, les musulmans et les chrétiens enfin débarrassés du poids de leurs religions doivent, une fois encore, faire face à des fanatiques qui, comme l’indique le fameux courriel du pope, déclament que si les allothrisques ne sont pas le diable (par pur respect à l’ange déchu) ils sont les responsables d’un enfer recrée sur terre et de celui qui s’en suit dans l’au-delà.

Je m’en vais pêcher le mérou…

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