Le regard de la société sur la pédophilie dans l’Eglise catholique

par Eratosthène
lundi 1er avril 2019

 

Pédophilie : et si l'Eglise pouvait bénéficier des mêmes règles que n'importe qui d'autre ?

Souvenons-nous !

Daniel Cohn-Bendit et ses souvenirs d'enfants qui lui ouvraient sa braguette et le chatouillaient, Le Monde et Libération publiant des pétitions contre la majorité sexuelle pour défendre trois personnes poursuivies pour attentat à la pudeur sur mineur de moins de 15 ans et expliquant que "trois ans pour des baisers et des caresses, ça suffit !". Kouchner, Lang, Beauvoir, etc., y apposent leurs signatures. Tony Duvert, se présentant comme homosexuel et pédophile, publie ses livres et gagne un prix littéraire. Sans que personne n'y vît à redire.

Ou, plus récemment, l'affaire Polanski, ce cinéaste de gauche, poursuivie par la justice pour rapports sexuels illégaux avec une mineur de treize ans. Que n'a-t-on pas entendu de la part de l'intelligentsia ! Frédéric Mitterrand juge l'arrestation en Suisse "absolument épouvantable" tandis que Kouchner demande sa libération. C'était il n'y a même pas 10 ans.

 

Mais, quelques années après, ce sont des prêtres catholiques qui sont englués dans des histoires sordides de pédophilie. Les réactions ne sont pas les mêmes qu'avec Polanski. Histoires scandaleuses, honteuses, condamnables, abominables, qui méritent d'être punies lourdement, mais pas n'importe comment.

On reproche aux évêques d'avoir manqué de vigilance, de fermeté, d'avoir fermé les yeux, etc. Mais comment comprendre la logique ? Que n'a t-on pas entendu sur la méchanceté, la malice, de l'inquisition, accusée d'alimenter d'énormes bûchers avec toutes sortes de gens ! Et voilà que, les tribunaux ecclésiastiques ayant renoncé aux bûchers, à la réclusion perpétuelle à l'eau et au pain sec, on en regretterait l'absence ? Et que faisait la justice civile, pendant ce temps-là ? Que fait surtout la présomption d'innocence, surtout quand on voit que certains n'hésitent pas à diffamer et attaquer à tort, comme ce couple condamné le 27 février 2019 à trois mois de prison avec sursis et 500 euros d'amende ? L'évêque, à l'époque, sans doute traumatisé par les poursuites tant médiatiques que judiciaires contre ses confrères, livre en pâture le nom de celui qui aurait dû être présumé innocent et qui a été traité en présumé coupable, après l'avoir bien sûr écarté de tout ministère public. Quelle réparation pour ce prêtre injustement accusé ? Qui s'en soucie ? Aurait-on déjà oublié l'affaire d'Outreau, et ses conséquences irréparables pour une vie brisée par le suicide et d'autres emprisonnés pendant longtemps ?

 

Le Très Saint Père François a rejeté la démission de Mgr Barbarin, condamné pour n'avoir pas dénoncé les agissements du père Preynat (qui, on le rappellera, n'a pas encore été jugé), invoquant l'appel déposé par Mgr Barbarin et ainsi la nécessaire présomption d'innocence. Scandale ! diront certains. Mais quand il a été révélé par certains hommes politiques la condamnation en première instance de M. Ali Soumaré sur certains faits délictueux, le procureur de la République a précisé (cf. Le Monde, 24 février 2010) que, M. Soumaré ayant fait appel, il est "présumé innocent". C'est le principe qu'a reconnu la CEDH dans l'affaire du 24 mai 2011, 53466/07 : "la présomption d'innocence ne cesse qu'en cas de condamnation légale définitive". Définitive. Comment peut-on reprocher au Pape d'appliquer les principes juridiques qui soutiennent notre société ? Faudrait-il qu'il y ait une justice expéditive et spéciale pour les prêtres, forcément coupables, et une justice pour les autres, présumés innocents ? Il serait curieux que la République qui a mis tant d'acharnement à ne reconnaître aucun culte ne reconnaisse la religion catholique que pour en condamner ses ministres...On a suffisamment reproché à l'Eglise de faire "bande à part", et maintenant on lui reproche d'appliquer les lois républicaines ? Curieux !

 

On notera enfin l'amalgame assez facile avec l'implication systématique de l'Eglise catholique. Mais en quoi est-elle responsable ? Son idéologie est systématiquement décrite par ses adversaires comme moralisatrice et opposée au sexe, et même le plus anticlérical ne va pas jusqu'à soutenir que l'on recommande aux séminaristes de coucher avec des enfants. Par ailleurs les prêtres ne sont pas salariés de l'Eglise. En quoi la faute de quelques membres (signalons que l'Eglise a plus de 600 000 prêtres, diacres permanents, séminaristes, et religieux homme. Malheureusement avec de tels effectifs il n'y a aucune chance statistique pour que tous soient irréprochables) devrait rejaillir sur le troupeau ? L'invocation du "pas d'amalgame", brandie quand il s'agit de ne pas accuser une religion quand un de ses membres se fait exploser ou assassine délibérement des civils à la mitraillette, trouve curieusement ses limites ici.

 

Un mot sur le Père Vignon. Le Père Vignon, juge au tribunal ecclésiastique, s'est fortement rapprochée de l'association militante La Parole libérée, se faisant l'avocat et le conseil des victimes, envoyant des lettres ouvertes aux responsables catholiques, et allant jusqu'à signer une pétition pour réclamer la démission de l'évêque (Mgr Barbarin) dont pourtant il dépendait. Est-ce un juge, un procureur ou un accusateur public ? Le Père Vignon a-t-il été destitué, sanctionné ? Non, il n'a simplement pas été reconduit dans ses fonctions au moment du changement de mandat. Est-ce si choquant ? Dans quel système démocratique laisserait-on un juge s'en prendre aussi ouvertement à son supérieur et manquant autant d'impartialité ? C'est l'article 6 de la CEDH qui garantit l'équité de la procédure.

 

Par ailleurs, le problème est-il la pédophilie ou la pédophilie dans l'Eglise catholique ? Quand l'ensemble des groupes parlementaires (à l'exception notable de LR) décide de demander la création d'une commission sur la pédophilie dans l'Eglise catholique, le but est-il de lutter contre la pédophilie ou de lutter contre l'Eglise catholique ? La pédophilie perpétrée par un père de famille, un professeur ou un pope orthodoxe serait-elle moins grave ?

En effet, la pédophilie ne concerne malheureusement pas que l'Eglise catholique, mais également le monde de l'éducation, le sport, etc., où d'ailleurs les autorités civiles, si promptes à donner des leçons à l'Eglise catholique, sont tout aussi si ce n'est davantage incompétentes. Le scandale de la pédophilie à Telford (Grande-Bretagne) est à cet égard révélateur : la police n'a pas bougé pendant 10 ans, les victimes étaient déconsidérées.

On se demandera d'ailleurs s'il n'y a pas une surmédiatisation au regard d'autres faits de pédophilie. Hélas il convient de constater que la pédophilie ecclésiale est largement plus dénoncée et soulignée. C'est ce que soulignait un rapport pour le département américain de l'éducation (https://www2.ed.gov/rschstat/research/pubs/misconductreview/report.pdf). Plus récemment, Tom Robinson (militant nationaliste britannique) avait tenté de filmer le procès des accusés de Telford pour le diffuser et se vit condamné à une peine de prison ferme. Il y a des affaires de pédophilie dont on doit parler et d'autres dont on ne doit pas.

 

Sans tomber dans le reductio ad hitlerum un peu trop facile, signalons quand même que Goebbels, en Allemagne, voulant discréditer l'Eglise qui s'opposait en grande partie au nazisme, chercha toutes les affaires de pédophilie concernant des prêtres pour en diffuser le résultat le plus largement possible (la moisson fut d'ailleurs assez maigre). Certains veulent-ils refaire la même chose ?

 

Les solutions préconisées par certains laissent songeur. On recommande ici que les prêtres abandonnent le célibat, là que le secret de la confession soit aboli...Bref il apparaît qu'il s'agit non de protéger les enfants d'éventuels futurs abus mais de réglementer l'administration des sacrements par l'Eglise catholique. L'Etat avait souhaité la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est plutôt l'Eglise qui devrait maintenant la demander ! Ces propositions sont d'ailleurs ridicules quand on sait que le fléau de la pédophilie touche également des domaines où les gens peuvent se marier (e.g. l'éducation) et même des religions où le célibat n'est pas exigé (protestantisme, judaïsme, islam). Elles ont pourtant un petit parfum révolutionnaire, puisque les dirigeants français de l'époque avaient très fortement poussé les prêtres à se marier, sous peine d'être persécuté. Va-t-on en arriver là ?

 

Certains indiquent que, quand il y a des faits divers de violences et d'agressions, il ne faudrait pas parler de l'origine ethnique ou de l'appartenance religieuse des coupables pour ne pas donner prise à une récupération politique et éviter les incidents en retour visant cette ethnie ou religion. Il est dommage que ce principe ne s'applique pas là-dessus ; doit-on considérer les incendies criminels de la cathédrale de Saint-Alain à Lavaur (Tarn) et l'église Saint-Sulpice à Paris comme la conséquence de ces accusations parfois formulées hâtivement et à l'emporte-pièces ?

 

Certes on ne peut rester impassible devant ces affaires de pédophilie, réelles, graves, condamnables. Sans doute certains dans l'Eglise n'ont pas agi avec suffisamment de doigté. Mais l'indignation légitime devant des faits aussi honteux ne doit pas entraîner un double discours ou des mesures spéciales.


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