Le suaire de Turin : la preuve de la fraude ?
par Cazab
vendredi 19 octobre 2012
Un documentaire, La nuit du suaire, vient de sortir en DVD en Italie. Grâce à des documents et des témoignages inédits, la réalisatrice Francesca Saracino remet en cause la validité scientifique de la datation au radiocarbone, qui en 1988 avait donné un âge médiéval, entre 1260 et 1390, à ce tissu qui porte l’image d’un homme crucifié.
- Le visage sur le Turin
Les ténèbres de la science
Ne cherchez surtout pas la clarté et la rigueur scientifiques. Votre quête serait vaine. Avec la radiodatation du suaire de Turin, tout n’est qu’ombres, faux-semblants, mensonges, par omission ou non, bévues statistiques, protocole scientifique jeté aux orties, luttes de pouvoir et d’argent, et même un suicide douteux. C’est une bataille homérique mais secrète que Francesca Saracino nous révèle. Elle a lieu dans les coulisses de la science et du Vatican. Elle commence au début des années 1980 et, aujourd’hui encore, le combat continue. Un vainqueur se dessine. Des scientifiques prestigieux semblent pris à leur propre piège. En avant pour les ténèbres de la science !
La plus grande fraude scientifique de tous les temps ?
« C’est la plus grande fraude scientifique de tous les temps ». Franco Faia, qui participa au prélèvement de l’échantillon du suaire en tant que technicien expérimental dans la cathédrale de Turin, ne mâche pas ses mots. En 1988, et après d’innombrables luttes d’influence et des années de double jeu, quelques centimètres carrés sont prélevés sur un l’objet le plus controversé au monde : le suaire de Turin, dont la tradition rapporte qu’il enveloppa le corps de Jésus. On confie ces échantillons à ce qu’on suppose être les trois meilleurs laboratoires spécialisés dans l’analyse au radiocarbone. Et vogue la galère…
Un protocole scientifique jeté aux orties
Des « mafieux »
Le résultat de tout ceci est évidemment catastrophique : le processus entier devient contestable, des données aussi essentielles que le poids des échantillons sont incohérentes. On en vient à se demander s’il n’y a pas derrière cela une réelle volonté de dissimulation. Et pour couronner le tout, Michael Tite, directeur du laboratoire d’Oxford, se voit accorder par de mystérieux donateurs la somme d’un millions de livres sterling pour fonder une chaire d’université. Luigi Gonella, professeur d’université et conseiller scientifique du cardinal en charge du dossier, s’emporte : « Les laboratoires se sont conduits comme des chiens… Ce sont des mafieux ! » Gonella aura le sentiment d’avoir été berné, d’avoir péché par excès de naïveté. Bref, le documentaire n’écarte pas d’emblée la thèse du complot. Au vu de tous ces éléments, on ne peut logiquement pas rejeter cette hypothèse. La faute à qui ?
La bévue statistique
S’essuyer les pieds sur le protocole et la déontologie pourrait à l’extrême limite être pardonné si les résultats ne prêtaient pas à controverse. Mais ils ne sont pas impeccables, et loin de là. Un des laboratoires, celui d’Arizona, présente des données qui clairement ne sont pas cohérentes avec les deux autres. L’article publié dans Nature comporte ce qu’on appelle une erreur. Mais attention ! Pas une petite faute de frappe ou un mot à la place d’un autre. Non, une erreur qui change tout. Une bévue. Pier Luigi Conti, professeur de statistiques à l’université de Rome, la résume ainsi : il s’agit d’une erreur de calcul qui si elle n’avait pas été opportunément présente aurait amené à une conclusion opposée à celle de l’article : à savoir que les résultats des trois laboratoires étaient incohérents entre eux, et donc non valides.
Pour se défendre, Timothy Jull, directeur du laboratoire d’Arizona, a publié en 2010, dans la revue qu’il dirige, un papier qui laissa perplexes même les partisans du faux médiéval. Jull révéla après plus de 20 ans qu’il détenait encore un échantillon du suaire, ce qui contredit l’article de Nature…
Une autre radiodatation
Le documentaire révèle aussi, grâce à des témoignages inédits, qu’une autre radiodatation a eu lieu quelques années avant l’officielle. Ses résultats furent eux aussi incohérents puisque sur un même fil, deux dates furent trouvées : l’une fut l’an 1000 et l’autre l’an 200 après J.-C. Cet échantillon se situe juste à côté du morceau prélevé en 1988. Il est fort probable que le tissu a fait l’objet, dans le coin des prélèvements, d’un rapiéçage au XVIème siècle qui rend les résultats incohérents.
"Aveuglés par la passion"
Au sortir de ce voyage dans les ténèbres de la science, on ne peut s’empêcher de se désoler de l’immense gâchis qui entoure cette affaire de radiodatation. Plus généralement, le suaire est aujourd’hui un des objets anciens les plus étudiés au monde par les scientifiques de tous bords. Malgré cela, il n’est pas encore sorti de cette « nuit du tombeau » à laquelle le documentaire de Francesca Saracino fait allusion par son titre. C’est aux chercheurs d’introduire grâce à leur méthodologie et à leur technologie de la clarté dans la nuit du suaire de Turin. Mais pour cela, ils devront apprendre, avant tout, à ne pas être aveuglés par la passion.