Les Benoît, longue lignée d’antipapes

par F C Bachellerie
jeudi 21 septembre 2006

Le pape Jean-Paul II savait nous faire imaginer le futur. Son successeur, Benoît XVI, essaie de nous faire imaginer le passé. Hélas pour lui, dans le cas du passé, il est aisé pour les gens informés de vérifier la réalité de ses dires.

Lors de son allocution du 12 septembre 2006, le pape avait un objectif : montrer que c’est dans son camp que se trouve l’équilibre le plus harmonieux entre la raison et la foi. Face à un parterre d’universitaires, représentants de la raison, sa "leçon" (terme universitaire qu’il utilisa lui-même pour qualifier son discours) voulut montrer que la tradition catholique intègre et transcende l’héritage de la raison grecque (le logos), et qu’elle lui ajoute la richesse de la foi.
Benoît XVI, ignorant un moment que le monde attend de son nouveau statut de pape d’autres choses que des dissertations théologiques de cardinal, peina tellement à prouver son opinion, qu’il lui fallut pas moins de quatre mensonges pour construire une argumentation.

Premier mensonge : les signes de la culture grecque (l’utilisation de la langue, la localisation géographique) suffisent à s’identifier à la philosophie platonicienne.

Parce que le Nouveau Testament a été écrit en grec, parce que l’Ancien Testament fut traduit en grec à Alexandrie au IIIe siècle avant J-C, parce que Saint-Paul fut invité par les Macédoniens, alors l’Eglise de Rome est détentrice de liens fondamentaux avec la raison platonicienne d’Athènes. Voilà un raccourci qui ne manque de surprendre quiconque a appris un tant soit peu l’histoire de la Renaissance et du mouvement humaniste du XVe siècle. Le martyre de Giordano Bruno, supplicié par l’Eglise catholique en 1600 pour avoir laissé la raison lui dicter ses croyances, est l’exemple extrême de cette opposition systématique de l’Eglise catholique contre la philosophie de la raison et contre ceux qui osèrent exercer la critique de la vision du monde et des dogmes dominants. Mais bien d’autres humanistes redécouvreurs de la sagesse grecque se sont opposés à l’Eglise et à ses dogmes irrationnels : Voir ici l’article de Wikipedia sur la Renaissance humaniste (en Anglais).

Deuxième mensonge : le Dieu des catholiques ne saurait être irrationnel.

Le pape aurait-il oublié que ce qui fonde la foi catholique consiste en la croyance en ce mystère, fort peu rationnel, que "3 = 1" ? On ne demande pas à Dieu d’être aussi rationnel qu’un ordinateur, et la physique quantique prouve qu’en matière de rationalité il faut savoir garder l’esprit ouvert, donc, outre qu’elle est un mensonge, cette affirmation est très largement hors-sujet.


L’allusion à l’idôlatrie comme comble de l’irrationnel duquel la foi catholique est protégée prête aussi à sourire. Peut-être le pape n’a-t-il pas remarqué dans ses églises le spectacle affligeant des fidèles qui baisent les pieds des statues ? Peut-être lui-même devrait-il se débarrasser des idoles qui encombrent Saint-Pierre avant que de jeter des soupçons injustifiés sur les autres croyants qui, eux, respectent les deuxième et troisième commandements  ?

Troisième mensonge : l’Eglise catholique s’impose à son concurrent - l’islam - à la fois sur le terrain de la raison et sur celui de la paix.

Pour appuyer son affirmation, Benoît XVI cite Ibn Hazm, un théologien perse du XIe siècle, qui a dit que Dieu peut - s’il le veut - se montrer irrationnel. Or, ce théologien fait partie d’une école de pensée - le zahirisme - qui a disparu aujourd’hui. En associant islam et violence, et en particulier en risquant l’allusion que cette violence est enracinée dans les pratiques mêmes de son prophète, Mohamed (PSSL), le pape passe sous silence une tradition de violence divine véhiculée par l’histoire sacrée : 1) l’engloutissement de Pharaon et de ses troupes dans la Mer Rouge 2) la destruction de Jericho et le massacre de ses habitants par Josué 3) les guerres de conquête de la Palestine menées par David 4) les meurtres barbares de Samson, etc. Le pape oublie aussi de citer les plus récentes violences inexcusables de sa propre institution contre d’autres croyants : les croisades cathares, l’Inquisition espagnole, les massacres de la Saint-Barthélémy, les violences sectaires.
Les violences des uns n’excusant pas les violences des autres, il s’agit juste de rétablir la vérité historique qui veut que la violence ait toujours fait partie de l’humain, et que les religions - entre autres activités humaines - ont dû, hélas, se confronter à l’utilisation de la force comme facteur d’équilibre. Benoît XVI, ex-soldat nazi, est bien placé pour comprendre cette facette universelle de l’activité humaine.

Quatrième mensonge : dès le XIVe siècle l’Europe chrétienne constituait le phare du monde et éclairait les autres civilisations de sa sagesse.

Les Turcs d’aujourd’hui seront, en tout cas, ravis d’apprendre que, pour le pape, l’Europe comprenait Ankara, lieu d’où le "très sage" empereur byzantin Manuel II le Paléologue conversait en 1391. Grâce au pape, nous savons déjà qu’au XIVe siècle, Byzantins et musulmans étaient des hommes de dialogue, mais qu’en était-il de ces peuples d’Europe latine, deux fois bénis par la raison grecque et la foi chrétienne, et soutenus par l’héritage de la richesse de l’Empire romain ?
L’histoire est cruelle dans sa vérité, car, à l’aube du XVe siècle, dans l’Europe latine, coexistaient ... deux papes !
En effet, Urbain VII avait été élu à Rome par ses cardinaux en 1378, avant que ces derniers ne reviennent sur leur vote, et n’élisent, cinq mois plus tard, un nouveau pape, Clément VII, qui s’en alla siéger en Avignon. Il s’ensuivit une période de confusion, qui dura plus d’un demi-siècle, et pendant laquelle on vit coexister jusqu’à trois papes (un à Rome, un en Avignon, et un à Pise) et qui vit aussi se suivre deux papes appelés chacun Benoît... XIV. La multiplication de ces papes contestés amena à créer le terme d’antipape pour les définir. Wikipedia dénombre pas moins de 48 antipapes depuis la création de l’Eglise par Saint-Pierre. Le premier fut Hippolyte en 217, le dernier fut Felix V en 1439.
Cette étonnante succession de papes et antipapes est certainement un bel exemple de l’extrême "sagesse" avec laquelle l’Europe latine exerçait, à l’époque, sa raison et appliquait, avec discernement, l’universalité de sa transcendance...

Péchés d’orgueil, les mensonges du pape sont pratiquement avoués par le pape lui-même dans sa leçon.
En effet, celui-ci expliqua, sans ironie, que, dans sa traduction en grec par les Alexandrins du IIIe siècle avant J-C, le texte du Nouveau Testament hébraïque originel avait été modifié, et, ajouta-t-il, cela constitue "une importante étape dans l’histoire de la révélation". Bref  : protéger la vérité, maintenir l’authenticité de la révélation de la parole de Dieu, tout cela n’est guère important pour ce pape-ci, surtout en comparaison de la promotion sans remords de l’institution qu’il représente.

Les chrétiens et les catholiques sincères et honnêtes de ce monde méritent, pour les représenter, quelqu’un qui se retienne de ne sombrer ni dans le reniement des dix commandements, ni dans le péché d’orgueil.
Ce n’est pas un hasard si les références de Ratzinger se trouvent dans le monde du XVe siècle, ni s’il a choisi Benoît comme nom de pape : on compte pas moins de cinq Benoîts dans la liste des antipapes !
Espérons que, tout comme pour Urbain VI en son temps, les cardinaux catholiques (ou mieux encore les fidèles catholiques eux-mêmes) se rendent compte de leur erreur et relèvent vite ce pape menteur et dangereux de ses fonctions, et le remplacent par un nouveau pape qui regarde vers l’avenir et la vérité.

L’intégralité de la leçon du pape le 12 septembre 2006 à l’Université de Ratisbonne.


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