Les députés québécois se cramponnent à leur crucifix
par Voris : compte fermé
vendredi 30 mai 2008
Tandis qu’une affaire d’annulation de mariage par le tribunal de Lille, pour cause de non-virginité de l’épouse, émeut la France entière, le journal La Croix évoque la question du crucifix de l’Assemblée nationale qui divise en deux le Québec. Le quotidien commente également l’affaire de Lille avec assez de pertinence et de sérénité, ce qui n’est pas forcément le cas des journaux et de personnalités politiques qui ont exprimé bruyamment leur indignation.
Au Québec, existe une doctrine dite des "accommodements raisonnables" qui vise à rechercher le meilleur compromis entre le respect des religions et l’impératif de laïcité dans la vie publique. Dans ce cadre, le gouvernement a créé une commission de consultation pour étudier les habitudes d’accommodement reliées aux pratiques culturelles. Le rapport de cette commission vient d’être rendu public et, loin de calmer les esprits, jette de l’huile sur le feu à propos du crucifix qui trône au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale !
La commission d’étude s’est prononcée contre le maintien de ce crucifix et du port de signes religieux pour les fonctionnaires qui incarnent l’autorité de l’État. Elle s’oppose également à la prière au début des séances des conseils municipaux. En France ces questions peuvent sembler très curieuses et cela montre que d’un pays à un autre la notion d’accommodements peut revêtir des réalités diverses. Ce crucifix a été installé par Maurice Duplessis, en 1936, pour illustrer la proximité entre le pouvoir législatif et la religion catholique de la majorité québécoise, il ne signifie plus rien aujourd’hui et devrait être retiré, disent les auteurs du rapport.
Nous autres, Français, serions unanimes à décider qu’il devrait être retiré de notre Assemblée au nom de la séparation des pouvoirs temporel et spirituel et de la laïcité constitutionnelle. Mais les députés québécois ne voient pas les choses sous cet angle et, sitôt dévoilé le rapport de la commission, ils défendirent à l’unanimité une motion visant au maintien de cette croix dans l’enceinte du Parlement. "Il n’est pas question d’écrire l’histoire à l’envers, de préciser le Premier ministre Jean Charest. L’Église a joué un très grand rôle depuis trois cent cinquante ans, le crucifix est un symbole de cette histoire et n’est pas seulement religieux."
C’est donc au nom de l’Histoire que le symbole religieux sera sans doute préservé ! On voit, à cette occasion, où l’alibi historique peut mener en matière d’équilibre à trouver entre religion et laïcité.
Le journal La Croix analyse aussi l’affaire de Lille, sans passion, sous l’angle privilégié du droit. Le quotidien rappelle que jusqu’à la loi de 1975, la possibilité d’annulation de mariage ne tenait qu’à une erreur sur l’identité même de la personne. Mais, explique Pascal Labbée, professeur à l’Institut du droit et de l’éthique de Lille 2, cette loi a "contractualisé le lien matrimonial ’en instaurant le divorce par consentement mutuel’ et en alignant la définition de l’erreur dans le mariage ’sur celle que l’on connaît en droit commun des contrats"’.
Depuis des annulations de mariage ont été prononcées sur le fondement de la notion très subjective de "qualité essentielle de la personne". C’est cette même notion qui a justifié la récente décision du TGI de Lille. Mais les actions en justice pour annulation du mariage sur l’argument de la non-virginité de l’épouse échouent le plus souvent devant la difficulté du conjoint à apporter la preuve. Dans l’affaire de Lille, c’est l’honnêteté de l’épouse qui a été sanctionnée : celle-ci a avoué et donné son consentement à l’annulation du mariage. Comme quoi, la malhonnêteté est parfois payante en droit.
Les cas d’annulations des trente années écoulées concernent des dissimulations d’un passé de divorcé ou de prostitué, d’erreur sur la santé mentale du conjoint ou son aptitude à avoir des relations sexuelles normales. La notion de "qualité essentielle de la personne" peut en fait s’entendre très largement et c’est la faute du législateur qui l’a voulu ainsi. Serait-il mal venu de prendre le juge comme bouc émissaire alors qu’il n’aurait fait qu’appliquer la loi ? Pas si simple, son pouvoir d’interprétation lui permettait de dire que la perte de la virginité de constitue pas un vice du contrat de mariage parce que ce n’est pas une "qualité essentielle de la personne".