Les invariants des religions

par Bernard Pinon
lundi 10 janvier 2011

Y a-t-il quelque chose de commun entre ce que disent toutes les religions ? Réflexion d’un explorateur des mondes spirituels.

Depuis ma jeunesse, j’ai été pris entre le marteau de la religion et l’enclume de la foi. La foi, je l’avais, une foi innée, animale, intuitive et empathique, qui se révélait surtout au contact de la nature. Mais les religions, à commencer par celle dans laquelle j’ai été élevé, la religion Catholique, m’inspiraient plus que de la méfiance. De la répulsion plutôt.

Je me suis donc détourné très tôt de l’église, mais sans perdre la foi même si j’ai souvent mis un mouchoir dessus. Cela m’a conduit à m’intéresser aux autres religions et systèmes de croyances, l’ésotérisme tout d’abord, le chamanisme ensuite, puis le Bouddhisme, l’Islam, le Judaïsme, l’Indouisme, le Taoïsme, ainsi que des systèmes dits « premiers », de l’animisme au culte du soleil en passant par l’Egypte, Sumer, la Perse…

Et en bon scientifique, j’ai essayé de dégager ce que toutes ces religions disaient de semblable, ce qu’on appelle les invariants. Je suis donc parti du principe qu’elles parlaient toutes de la même chose mais avec des points de vue différents, un peu comme si on avait deux observateurs décrivant un cylindre, l’un le voyant de bout et disant « c’est un cercle ! », l’autre le voyant de côté et disant « c’est un rectangle ! » (j’emprunte cette métaphore à l’excellent « Cantique des Quantiques » de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod qui l’utilisent dans un contexte différent)  Si aucun invariant n’existe, cela aurait invalidé mon principe de départ. Or, ce n’est pas du tout le cas. Il existe au moins cinq invariants, et je suis sûr qu’on peut en trouver d’autres.

Les principaux invariants qui apparaissent sont :

Nous faisons tous partie de quelque chose de plus grand

La mort n’est pas la fin de l’existence

Il faut laisser des bons souvenirs

Il faut se recueillir

Les Mystères

Notez que j’exclue du champ religieux :

- les fausses religions, sur un critère très simple : lorsque les texte « sacrés » de ces groupes ont un copyright qui vous en interdit la reproduction (Scientologie, Raëliens… même si je reconnais à ces derniers le mérite de bien me faire rire), vous savez, « l’allégorie si sincère du pognon qui t’évite l’enfer » comme chantait Philippe Val du temps où il était drôle.

- les systèmes de croyances qui se sont construits en opposition aux religions : athéisme, agnosticisme, scientisme… voire le communisme mais ceci est une autre histoire.

Nous faisons tous partie de quelque chose de plus grand

Certaines religions affirment l’existence d’un dieu unique, qui selon les cas sera bienveillant ou vengeur, d’autres parlent de dieux ou d’esprits multiples, d’autres disent que l’on ne saura jamais exactement et que tout ceci restera un mystère. Mais toutes affirment qu’on fait partie de quelque chose de plus grand, que Philip K. Dick avait résumé par l’acronyme SIVA : Système Intelligent, Vivant et Agissant. Pour certains, nous faisons partie intégrante de ce système, c’est le cas du panthéisme de Spinoza mais on retrouve cela aussi dans l’Hypothèse Gaïa de James Lovelock. Pour d’autres, il s’agit d’entités subtiles et extérieures, mais qui semblent avoir une interaction avec nous.

Il est probable que la topologie du divin soit indécidable, mais son existence est admise universellement par toutes les religions et constitue leur fondement.

La mort n’est pas la fin de l’existence

Après votre mort, vous continuerez à exister, au minimum dans les souvenir que vous laisserez, d’où l’importance de laisser des bons souvenirs. Certains sont même persuadés qu’Elvis est toujours vivant… De plus, avant votre conception, vous avez probablement commencé à exister sous forme de projet dans la tête de vos parents.

Pour toutes les religions, la vie terrestre n’est qu’une étape de l’existence. Ce qui se passe avant et après la vie est sujet à controverses mais même les athées peuvent reconnaître que la vie est un sous-ensemble strict de l’existence.

De plus, depuis une vingtaine d’année, on a vu apparaître une nouvelle science, la thanatologie http://fr.wikipedia.org/wiki/Thanatologie  (à ne pas confondre avec la thanatopraxie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Thanatopraxie) qui étudie la mort notamment à travers des expériences de mort imminentes. L’état des connaissances ne permet pas d’affirmer qu’il existe une « vie après la mort » contrairement à ce que certaines couvertures à sensations voudraient nous faire croire, mais affirment simplement qu’il est possible à la conscience d’acquérir de l’information même si le corps est en état de mort clinique (cœur arrêté, électro-encéphalogramme plat). Voir à ce sujet les publication de l’International Association for Near-Death Studies. On est loin de la réfutation scientifique d’une vie après la mort… ni d’une preuve qu’elle existe, on est juste face à une montagne d’interrogations auxquelles les religions semblent toutes avoir répondu depuis la nuit des temps, et que la science commence tout juste à explorer, au grand dam de certaines églises, y compris cette fois ci les scientistes et les agnostiques, mais aussi l’église catholique et bien d’autres, car on bouleverse ici le traité de paix entre science et religion proposé par Descartes : la science s’occupe de la matière mais ne touche pas au spirituel, ce qui a quand même depuis évité aux scientifiques de connaître le sort de Giordano Bruno…

(Certes, les psychanalystes avait déjà écorné cet accord, il faut dire qu’il est très difficile de faire de la psychanalyse sans admettre que le corps et l’esprit sont intimement imbriqués)

Il faut laisser des bons souvenirs

Je ne sais plus quel était ce penseur de l’antiquité qui disait qu’il valait mieux laisser de bons souvenirs que de vénérer Dieu ; en effet, si Dieu n’existe pas, pourquoi le vénérer, mais vous aurez au moins laissé de bons souvenirs ; et si Dieu existe et qu’il est juste, il vous jugera avec bienveillance au vu de ce que vous avez fait, même si vous n’avez guère été assidu aux offices ; enfin, si Dieu existe et qu’il est injuste, quel intérêt y a-t-il à le vénérer ?

En tout cas, toutes les religions enseignent une morale qui peut se résumer à ce simple précepte : efforcez-vous de laisser des bons souvenirs. Que ce soit pour améliorer votre Karma, pour faire plaisirs aux anges ou juste par simple bon sens. François Truffaut aimait dire « pour être aimé, il faut être aimable ». Ca s’étudie, ça se vérifie.

Il faut se recueillir

Toutes les religions enseignent l’importance du recueillement. Que ce soit avec la prière, la méditation, ou la transe. Même les non-croyants se recueillent, comme les sportifs avant un match important. Ce que les religions disent, c’est que le recueillement est une des voies d’accès au divin, avec l’empathie et l’intuition.

On a étudié l’influence de la prière sur la guérison. Elle existe, mais ne serait guère plus efficace qu’un placebo. Sauf que l’effet placebo… ça marche. Et les sportifs, encore eux, sont les premiers à vous dire que le mental compte au moins autant que le physique, et que le recueillement dans les vestiaires participe à la victoire. Même si vous n’êtes pas croyant, essayez de vous recueillir avant de faire quelque chose d’important ou quand vous êtes déboussolé. Ca aide vraiment.

A propos de transe, la prière ou la méditation induisent un état d’autohypnose, qui est une transe légère ; il s’agit donc bien d’une même forme de phénomène. Les transes collectives auxquelles on assiste dans certains cultes, y compris dans certaines églises baptistes américaines, utilisent des forces infiniment moins douces qui peuvent parfois confiner à l’hystérie. Entre les mains de fous de dieu, elles peuvent conduire aux pires des violences, comme on peut malheureusement le constater en suivant l’actualité…

Les Mystères

Bien avant Gödel les mystiques avaient compris qu’il existait des questions sans réponses. Au début du XXème siècle, les scientifiques étaient persuadés qu’ils avaient percés tous les secrets de l’univers. Il y avait bien encore quelques détails à régler, comme par exemple la luminescence de certains corps comme l’Uranium, mais c’était plus une curiosité de cabinets scientifiques qu’un problème fondamental. Et puis madame Curie a découvert la radioactivité, Plank et Einstein la mécanique quantique… et ces belles certitudes ont pris un sacré coup dans l’aile. Mais quand même on trouve encore des intégristes scientifiques (la science a aussi son clergé, ses ayatollah, ses mythes … ) pour affirmer qu’on sait déjà « presque » tout. Pourquoi dès lors s’intéresser à ces « phénomènes » marginaux et folkloriques que sont les expériences de mort imminente ?

Les religions et les philosophes (Socrate) le disent : le monde conservera toujours une part de mystère. L’univers est trop grand pour tenir dans une tête, ni même dans une collection immense de têtes. Ce que nous connaissons, ou pensons connaître du monde, n’est peut être pas plus grand qu’un grain de sable sur une plage immense. Et c’est une bonne nouvelle pour les chercheurs, qui ne seront jamais à court de travail !

Et le reste ?

Eh bien, difficile de considérer comme invariant des dogmes aussi forts dans certaines religions que le péché originel peut l’être dans les religions judéo-chrétienne. Pratiquement tous les autres dogmes se trouvent contredits par d’autres. On peut par contre citer deux autres invariants : la force de structuration sociale des religions et leurs racines ancestrales qui remontent à l’aube de l’humanité.

A se demander si le plus vieux métier du monde ne serait pas … prêtre ?

 

Crédit photo : Passage Dieu, dans le XXème arrondissement de Paris, photo Bernard Pinon.

 


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