Les origines et les frontières incertaines de l’Europe

par Jean Massicot
mardi 18 mars 2008

D’où viennent les Européens ? Chrétiens ou musulmans ?

La question des racines de l’Europe revient de façon récurrente au devant de l’actualité.

Jacques Chirac déclarait, il n’y a pas si longtemps : « Après tout les racines de l’Europe sont autant chrétiennes que musulmanes ». Cette déclaration faite au sujet de la candidature de la Turquie à son entrée dans l’Europe s’accompagnait d’un autre commentaire : « Il est historiquement discutable et politiquement maladroit de vouloir inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne, d’ailleurs c’est un débat clos, les évêques nous rejoignent, seul le Vatican s’y raccroche, c’est absurde. ».

Jacques Chirac aurait pu faire état de racines plus certaines historiquement telles que l’hellénisme, la romanité ou encore la géographie bien qu’elle aussi discutable, mais il avait placé le débat sur la prédominance ou non du judéo-christianisme et plus spécialement du christianisme en le mettant à égalité avec l’islam sur le plan des origines de l’Europe.

Nicolas Sarkozy ne partage pas cette opinion. D’autres pays européens, la Pologne notamment, non plus.

Le nom d’Europe vient, comme chacun le sait, de la mythologie grecque. Dans la constitution qui devrait être effective en 2009 (en 2011 si le président polonais Lech Kaczynski qui a ainsi jugé cette date de 2009 "irréaliste" est suivi, préférant miser sur une entrée en vigueur différée) et plus précisément dans son préambule, la référence à Dieu ou à l’héritage chrétien qui était demandée avec insistance par le Vatican en est écartée, au profit d’une référence plus générale aux "héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, dont les valeurs sont toujours présentes dans son patrimoine, et qui ont ancré dans la vie de la société sa perception du rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables, ainsi que du respect du droit".

Les origines chrétiennes ont été purement et simplement oubliées, pire : rejetées. Certes, la communauté européenne n’est ni raciale ni linguistique ni religieuse ni géographique, mais tout de même ! Après les phases des mégalithes, des celtes et des gréco-romains, le christianisme, qu’on le veuille ou non se développe principalement à l’ouest de l’Empire romain dans sa partie occidentale. Vers la fin du IVe siècle, le catholicisme devient la religion officielle de l’Empire romain, remplaçant ainsi les cultes païens préexistants. Ni les Germains ni les Sarrasins n’enrayeront cette expansion puisque le XIIe et XIIIe siècle verront au contraire l’apogée de la chrétienté en Europe avec notamment la construction des églises, des abbayes et des cathédrales. Les monarques des cours européennes reprendront tous la tradition du sacre avec quelques variantes, mais appartiendront tous aux mêmes familles régnantes chrétiennes. La révolution française portera un coup d’arrêt à cette expansion, mais ce sont surtout les changements et mouvements sociaux des années 60 qui mettront un terme à la prédominance chrétienne pour une grande partie des Européens. Peu à peu la pratique religieuse s’estompera pour se réduire à sa plus simple expression.

Le message de la chrétienté cependant s’est enraciné dans nos valeurs même si ce message s’est fourvoyé quelquefois dans des excès qui ont quelque peu altéré ce que l’Évangile avait d’universel.

Il en va différemment bien entendu de l’islam puisque les trois grands moments de la pénétration musulmane en Europe sont plus tardifs : celle des Arabes et des Berbères par l’Espagne et la Sicile, celle des Turcs ottomans qui pénètrent en Grèce et dans les Balkans avec la volonté de dominer l’Europe et, enfin, celle des Mongols en Russie et qui arrivent jusqu’en Pologne et dans les Pays baltes. Il s’agit dans les trois cas d’invasions.

La rencontre de l’islam et de l’Europe n’a jamais ressemblé à une histoire d’amour. L’islam est entré en Europe par effraction, par la conquête et l’oppression. Il faut toutefois rappeler pour être objectif que ces trois axes ont été aussi, à des degrés divers, des voies de pénétration des différents aspects de la culture des pays d’islam dont "les apports dans des domaines aussi divers que la technologie, l’architecture, les humanités, les mathématiques en particulier l’algèbre, la chimie, l’agriculture, le génie hydraulique et la philosophie ne sauraient être ignorés car ils sont considérables. A bien des égards au VIIIe siècle, les Francs encore Mérovingiens étaient plus barbares que les Arabes qui eux étaient unifiés par cette religion forte qu’est l’islam. Il faut aussi replacer ces incursions dans leur contexte historique.

Les musulmans aujourd’hui sont fortement présents dans les Balkans, autrefois sous l’Empire ottoman jusqu’en 1918 (Albanie, Bosnie, Kosovo, Macédoine) et par suite de l’immigration, en France, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie dans une moindre mesure, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, consécutive aux mouvements de décolonisation de la seconde partie du XXe siècle. La pénétration musulmane en Espagne a laissé des traces certaines bien que la Reconquista y ait mis fin en 1492.

Pour tenter d’être complet, il faut ajouter que l’islam est assez fortement pratiqué cependant que les chrétiens d’Europe sont presque totalement déchristianisés et de plus n’ont aucune ou très peu de culture propre à leur religion. La France premier pays musulman d’Europe pourrait bien, la démographie aidant, devenir un pays à majorité de croyants à dominante musulmane.

Par ailleurs, les limites terrestres de l’Europe ont toujours été mal déterminées dans sa partie orientale. En effet, il n’existe pas de limite clairement définie, de relief, ou de mer séparant l’Europe de l’Asie. Moscou et Saint-Petersbourg sont plus européennes qu’Ankara ou Istanbul. Tout projet fondé sur la géographie est donc à exclure. De plus, il ne faut pas confondre les notions d’Europe géographique et territoriale d’une part, de celle de zone d’influence de la culture occidentale et européenne, ces notions étant surtout politiques (certains pensent d’ailleurs à ce propos qu’à l’instar du Commonwealth britannique, l’Union européenne pourrait être définie selon l’étendue de la culture euro-occidentale à travers le monde). De ce point de vue, Israël aurait parfaitement sa place en Europe. Ceci complique singulièrement les prises de position à la fois sur les racines chrétiennes et sur l’entrée d’un grand pays musulman dans l’Europe : la Turquie. D’où, à la fois la prudence et l’espoir donné aux Turcs par les politiciens ! Il n’est donc pas surprenant qu’ils lancent un appel à l’Union de la Méditerranée comme moyen d’imposer à la Turquie une alternative à l’adhésion en cas de refus.

L’Union européenne se définit par sa volonté de promouvoir "la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples", la création d’un "espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché unique où la concurrence est libre et non faussée".
La Charte des droits fondamentaux se voit conférer une valeur contraignante par son intégration dans la Constitution.
La "citoyenneté de l’Union" est confortée.
Le débat entre fédéralisme ou non aboutit à un compromis : le mot "fédéral" ne figure pas dans le texte, mais celui-ci précise que "l’Union coordonne les politiques des Etats membres visant à atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu’ils lui transfèrent".

L’Europe est certes un projet au périmètre incertain, mais ce qui est certain c’est que la pénétration de l’islam en terre d’Europe qui serait accentuée par l’entrée de la Turquie sera un des enjeux majeurs de notre siècle. Il faudra offrir aux citoyens le débat digne, argumenté et contradictoire qu’ils sont en droit d’attendre sur une question aussi essentielle et stratégique que celle de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.


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