Les premiers bouddhistes : des disciples d’Epicure ?

par Catherine Segurane
jeudi 24 février 2011

Une ancienne communication à l'Académie des inscriptions et belles-lettres ressort aujourd'hui par le miracle d'Internet. L'auteur y remarque les profondes connexions entre bouddhisme et philosophie grecque (peu étonnantes puisque le bouddhisme fut en contact pendant près de 900 ans avec les soldats amenés par Alexandre le Grand et leurs descendants). Mais il va plus loin et il apporte des arguments précis pour relier le bouddhisme, au delà de la pensée grecque en général, à celle du philosophe Epicure.

La communication fut prononcée en 1972 par Daniel Schlumberger, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, devant ses pairs, et certains de ceux-ci lui apportèrent la contradiction. J'avais moi aussi, dans ces colonnes, signalé les interconnexions entre bouddhisme et philosophie grecque, et je suis heureuse que mes modestes remarques aient rencontré celles de ces brillants chercheurs.

L'auteur commence par signaler une difficulté de date : la mise en contact de l'Inde et de l'armée d'Alexandre se produit à la fin du IVème siècle avant Jésus-Christ. Voilà qui est bien difficile à concilier avec la vie du Bouddha. Cette dernière est située différemment dans le temps par les diverses chronologies héritées de la tradition, mais, de toutes façons, et quelle que soit la chronologie retenue, elle est antérieure d'au moins 200 ans à l'arrivée d'Alexandre.

 L'auteur souligne toutefois que ces chronologies sont largement invérifiables. Deplus, il est utopique de chercher à deviner ce que fut l'enseignement exact du Bouddha historique, qui n'a pas laissé de traces écrites. L'auteur ne risque pas et, comme tous les chercheurs sérieux, il démarre sa recherche avec les inscriptions d'Açoka, c'est à dire des textes inscrits sur piliers ou sur pierres à l'initiative de cet empereur. Ces inscriptions constituent le premier texte bouddhique que l'on puisse dater par des méthodes scientifiques, car elles sont contemporaines de leur support physique qui peut, lui, être daté au carbone 14.

 L'auteur note la ressemblance entre la recherce bouddhique de la quiétude de l'esprit, et ce que la philosophie grecques appelait ataraxie. Il souligne aussi combien nombreux étaient les contacts entre le monde grec et la dynastie indienne des Maurya, à laquelle appartenait Açoka.

Les points communus qu'il relève entre les deux doctrines sont nombreux.

L'universalité de la souffrance soulignée par le Bouddha fait pendant à des remarques d'Epicure ("La terre entière vit dans la peine, et c'est pour la peine qu'elle a le plus de capacités.").

Tout comme le Bouddha, Epicure cherche le bonheur dans une voie moyenne, entre ces deux extrèmes que sont la vie de plaisir des ignorants et les excès de l'ascétisme.

Tout comme le Bouddha, il voit dans le désir la racine de la douleur, car, par construction, on désire ce qu'on n'a pas.

 L'attitude à l'égard des dieux est la même dans les deux cas : ni Epicure ni le Bouddha ne nient leur existence, mais ni l'in ni l'autre n'en attendent leur salut. Les dieux vivent leur vie sans s'occuper de nous. Epicure préconise de leur rendre les honneurs fixés par l'usage. Il respecte leur supériorité, qu'ils ont acquise grâce à leurs efforts dans l'acquisition de la sagesse, et il préconise de l'imiter. De son côté, le bouddhiste Açoka se dit l'ami des dieux. Pour autant, les dieux ne jouent aucun rôle dans l'atteinte de l'Eveil.

On peut aussi mettre le parallèle le refus bouddhique des sacrifices d'animaux, et la remarque d'Epicure selon laquelle tous les sacrifices du monde ne rachètereont jamais une mauvaise action.

Une bienveillance étendue aux femmes et aux esclaves est aussi un point commun aux deux doctrines, de même que le peu d'intérêt pour les affaires de l'Etat. La grande affaire est, dans les deux cas, le salut individuel. Dans les deux cas, l'égoïsme pourrait en découler, mais, dans les deux cas, le sage choisit d'enseigner, ce qui est une façon de pratiquer l'altruisme.

 Après toutes ces ressemblances, l'auteur note deux différences, dont l'une au moins est plus apparente que réelle. Ces différences tiennent au plaisir et au nirvana.

Alors que la Bouddha prêche l'abolition du désir, Epicure recherche le plaisir. En réalité, la différence est moindre qu'il y parait, puisque le sage grec se borne à rechercher la satisfaction des plaisirs naturels et nécessaires et, dans une mesure limitée, des plaisirs naturels non nécessaires. Comme l'absence de douleur ne peut être obtenue qu'en sachant maîtriser ses désirs, la différence avec le bouddhisme n'est finalement pas si grande.

La différence qui reste est qu'Epicure n'enseignait que la façon de bien vivre cette vie-ci. Il niait l'outre tombe et préconisait de ne pas se laisser terrifier par cette perspective.


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