Mahomet n’est qu’un homme, Dieu est vivant ! (d’après al-Tabarî)

par Emile Mourey
jeudi 23 avril 2009

Tel est, me semble-t-il, le message central d’un livre du IX ème siècle, publié en français par les éditions Sindbad, en 1981, sous le titre : Mohammed, sceau des prophètes, par Tabari. Encore un article sur la religion, va-t-on encore me reprocher ! Mais oui, car pour moi, il n’y a pas de sujets d’actualité plus importants. Mais auparavant, levons toutes équivoques concernant mes motivations. Je ne suis pas musulman et n’engage donc pas cette communauté par mes écrits. Je ne prêche ni pour une autre religion, ni pour une chapelle, ni même pour une idée de Dieu. Laïc ou athée, je ne sais pas et refuse de me faire enfermer dans un concept. En revanche, j’aime bien lire Luc Ferry, même si je regrette qu’il soit resté en deçà de ce que je lui proposais en ce qui concerne l’interprétation de l’évangile de Jean. Egalement un André Comte-Sponville à la riche pensée, également un Marcel Gauchet aux idées claires. J’aime bien écouter Régis Debray qui a eu le courage d’écrire sur la notion de Dieu. Egalement Finkielkraut mais dont je ne sais toujours pas comment il interprète historiquement les textes de sa Torah ; et même Tarik Ramadan avec lequel j’aimerais bien m’entretenir en conversation privée, en dehors de la pression des médias. Mais ce sont surtout les découvertes scientifiques sur l’univers et sur la nature qui me portent à la réflexion.

Mahomet n’est qu’un homme, Dieu est vivant.
 
Après le concile de Nicée qui avait imposé au monde croyant un credo où il était donné un fils à Dieu - quelle audace ! -, il fallait bien s’attendre à la montée en puissance d’un courant contestataire et, disons-le, refondateur, ce que la phrase de mon titre illustre en quelques mots.
 
Contrairement au Jésus chrétien, Mahomet n’est qu’un homme. Tabari est très clair sur ce point. Voici ce qu’il fait dire à Mahomet : "La mort est une nécessité et aucun homme ne peut y échapper... Si j’ai frappé quelqu’un, qu’il me frappe, si j’ai offensé quelqu’un, qu’il m’offense, si j’ai pris le bien de quelqu’un, qu’il me le reprenne" (page 342). Et Abou Becker conclut : "Musulmans, Mohammed a quitté ce monde. Que ceux qui l’aimaient sachent qu’il est mort ; mais que ceux qui adorent Dieu sachent que Dieu est vivant et qu’Il ne meurt jamais. Dieu a dit que Mohammed n’est qu’un apôtre comme, avant lui, il y eut d’autres apôtres... (d’après page 349). La condamnation du dogme de la résurrection chrétienne, compris dans son sens littéral, ne peut être plus claire. En même temps, se trouvent relativisées caricatures et autres bêtises de ce genre qui ne méritent même pas qu’on y prête attention. L’islam a rompu avec le culte de la personnalité et supprimé, avant que les Lumières le fassent, le crime de lèse-majesté. Succédant à Mahomet, Abou Becker proclame : "Je suis aujourd’hui l’égal de vous tous ; je peux faire le bien ou le mal. Si j’agis bien, rendez grâce à Dieu ; si j’agis mal, redressez-moi et avertissez-moi" (page 352).
 
Questions sur l’homme Mahomet.
 
Concernant la vie de Mahomet, la Sîra, les exégètes musulmans donnent, en général, la préférence à la recension d’Ibn Hishâm. Je donne la primauté à Tabari, un auteur, semble-t-il d’origine persane, qui écrivait deux siècles et demi après la mort du Prophète. Pour écrire sa Sîra, je pense que Tabari a disposé d’un texte ancien, rédigé au plus près de l’évènement, et donc d’une grande fiabilité. Le fait que cet auteur soit connu pour être un compilateur d’un nombre assez impressionnant d’écrits me conforte dans cette idée qu’il n’a fait, bien souvent, que recopier des textes antérieurs ; et cela d’autant plus que certains passages soulèvent des interrogations qui ne peuvent s’expliquer, selon moi, que s’ils sont de première main.
 
Première interrogation.
Nous sommes au début de l’histoire, à la Mecque. C’est l’époque de la naissance du mouvement et de la première prédication... une prédication pacifique, précisons-le. Hélas, après la mort d’Abou-Tâlib qui le protégeait, rien n’allait plus pour Mahomet. On le lapidait à coups de pierres, on l’ensevelissait sous la boue. On l’outrageait, on l’injuriait et son sang coulait. A l’image de Jésus, le Mahomet souffrant vivait un martyre. Ce martyre est-il allé jusqu’à la mort... suivie d’une résurrection ? Tabari ne dit pas cela. Mais à la scène suivante, il nous montre un Mahomet qui semble retrouver un peu de force en recevant une aumône aux abords de Tâif... une aumône d’un grain de raisin (admirons en passant la poésie de cette scène allégorique... et la frugalité fiscale de Mahomet qui se satisfait d’un modeste prélèvement sur les revenus du travail... même pas une grappe de raisin... un grain seulement, et encore qu’on lui offre). Or, son donateur était un immigré originaire de Ninive. Ninive, avez-vous dit ? Ninive, patrie de Jonas, comme le rappelle Mahomet en insistant. Grosse interrogation ! Car Jonas - tout le monde le sait - est le prophète qui a séjourné trois jours dans le ventre de la baleine avant d’être recraché sur la terre ferme. Et il faut savoir que ce mythe de Jonas a été souvent rapproché de la scène de la crucifixion et de la résurrection de Jésus, trois jours après sa mort. Or, il y a entre la Mecque et Tâif trois journées de marche (page 97 du livre de Tabari), étonnante coïncidence et mystère des signes !
 
Deuxième interrogation.
L’histoire se continue à Médine. Quand Mahomet y arriva, Dieu lui donna la liberté des entreprises guerrières et lui ordonna de prendre l’offensive... En révélant les versets qui ordonnaient la lutte, Dieu abrogea ceux qui avaient recommandé aux croyants la patience (page 125). Une longue guerre s’installe alors entre la Mecque et la ville d’accueil. Victoire de Mahomet contre les Mecquois aux puits de Bader, défaite de Mahomet au combat d’Ohod. D’un coup de sabre, Abdallah frappe le Prophète qui tombe à terre, perdant beaucoup de sang. Abdallah s’écrie : "J’ai tué Mohammed" (page 199). Ce n’est qu’après l’avoir longtemps recherché au milieu des morts que des musulmans fidèles le retrouvent. Tabari dit qu’il n’était que blessé. Mais la rumeur se répandait partout, que le Prophète était mort et personne ne pouvait croire qu’il ne fut pas mort... jusqu’au moment où Abbâs monta au sommet d’une hauteur d’où il s’écria d’une voix forte : "Musulmans, le prophète de Dieu est vivant" (page 202 et précédentes).
 
Quelques jours seulement après ses graves blessures, coiffé de son voile légendaire qui lui cachait le visage, Mahomet repartait en campagne.
 
Troisième interrogation.
 Un certain nombre d’auteurs contemporains prétendent que Mahomet n’a jamais existé. Il est vrai que les témoignages extérieurs concernant l’existence de l’homme sont d’une étonnante rareté ou d’une grande imprécision. Les chroniqueurs non musulmans placent la bataille de Mouta sous Abou Becker alors que les textes musulmans la relatent du temps du Prophète. Les chroniqueurs chrétiens ne sont certes pas ignorants. Thomas le Presbytre parle en 640 des "Arabes" de Mhmt. C’est ce nom abrégé qui prévaut. D’autres chroniqueurs non chrétiens sont un peu plus précis, mais, pour eux, Mahomet n’est qu’un marchand itinérant, habitant de la ville de Médine (cf Alfred-Louis de Prémare, les fondations de l’islam).
 
Qui était vraiment Mahomet ? Tabari écrit que le Prophète avait sept chevaux (page 334), sept sabres (page 335). Il est vrai que le portrait qu’il en dresse (page 337) est tellement riche en détails qu’il ne peut s’appliquer, apparemment, qu’à un individu. Et pourtant, quand on examine une des plus remarquables peintures murales du palais Topkapi d’Istambul - Mahomet s’entretenant avec des moines - que voit-on ? Sept personnages écrits en tailleur, tous semblables à un modèle type, sauf un au visage voilé.
 
Mort d’un prophète, quatrième interrogation.
 
Tabari consacre onze pages pour relater la mort du Prophète, récit ô combien émouvant, riche de péripéties diverses et de rebondissements où les larmes coulent à flot. Mahomet avait la fièvre. On l’aurait à moins en constatant les douloureux prémices d’une fin de règne. Au nord, des troupes romaines se concentraient sur la frontière de Syrie. Au sud, dans le Yémen et chez les Bédouins, des faux prophètes se levaient et des populations entières renonçaient à l’islamisme. On refusait de payer l’impôt et on chassait les collecteurs. L’ordre ayant été momentanément rétabli, la santé de Mahomet s’améliora (page 340). Ce ne fut qu’un répit.
 
Pourquoi Mahomet était-il malade ? Certes, il avait réalisé la mission qu’il s’était fixée "l’unité de l’Arabie", mais à quel prix. L’entrée massive des Juifs dans son ummah, notamment ceux de Khaïbar, avait considérablement affaibli l’autorité des musulmans de la première heure. A cette concurrence, véritable poison de Khaïbar, s’ajoutait celle des disciples de Médine qui en voulaient toujours plus. Mais l’Histoire a une logique. Pour les vieux musulmans, il me semble que la solution était que Mahomet meurt, d’une part pour garder intacte son image de prophète, pour repartir d’autre part sur les bases d’un islam ressourcé repris en mains par les grands disciples.
 
Pourquoi la population rechignait-elle à payer l’impôt ? Comme le disait en d’autres temps le général romain Cérialis à des Gaulois récalcitrants : "On ne peut avoir d’armées sans soldes et de soldes sans impôts". Le problème est que l’armée musulmane était devenue pléthorique et que les populations de l’Arabie n’étaient pas assez riches pour en assurer la subsistance. En outre, la guerre intérieure étant achevée, le butin manquait.
 
On devine la suite. On devine que les grands disciples ont choisi de se lancer à la conquête du monde...
 
Réalité, hypothèses ou simples suppositions ?
 

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