Minarets : la peur, mais pas seulement

par Michel Koutouzis
vendredi 11 décembre 2009

 Il est vrai que le débat interne au monde musulman, dans lequel les croyants « laïcs » ou tout simplement indifférents au fait religieux restent muets ou inaudibles au profit d’un islam politique et militant qui tient le monopole du discours et surtout des caisses, fait peur, comme on lit dans « Marianne ». Il est vrai aussi que les droites extrêmes ont trouvé là un cheval de bataille, et que la gauche reste, elle aussi, inaudible répétant incessamment les mêmes platitudes. Il est vrai aussi que le communautarisme, fustigé dans les discours politiques, se nourrit de la pratique des Etats qui en font souvent leur unique interlocuteur. Il est vrai enfin, qu’un vieux fond catholique, aussi intégriste que l’islam militant, mais minoritaire et quasi muet, trouve là un espace d’expression identitaire auquel on l’avait privé. Tout cela est vrai. Mais il n’y a pas que cela. La votation suisse, massive et impertinente par rapport aux directives des partis et des cultes, devient, par ricochet, un cri d’alarme contre le retour du fait religieux en soit. Pendant des siècles, laïques, libres penseurs, athées et agnostiques, se sont battus pour mettre l’Eglise à ce qu’ils pensaient être sa place, c’est à dire dans les églises et loin des écoles. Et surtout pas dans la place publique. Le prix citoyen payé pour que l’Eglise cesse de s’occuper de la chose publique a été élevé. Et pour certains pays il a continué à l’être jusqu’à nos jours. Les républicains espagnols, les torturés portugais, les exilés grecs, les brésiliens et autres philippins, ne sont pas de la génération de Jules Ferry. Ils ont senti dans leur chair l’intolérance des églises, ses alliances avec les secteurs les plus réactionnaires de la société, et hier encore ils vivaient dans l’étau ecclésiastique, sa censure et ses autodafés. Combien de fois, dans combien de pays, le film de Scorsese « La dernière tentation du Christ » a été interdit et privé d’écran ?  Ils ont conscience, que les églises, dès lors qu’elles ont la possibilité, elles revendiquent (et pratiquent) ce qu’elles ont du abandonner dans un rapport de forces toujours à recommencer avec la cité. Demandez aux agnostiques Irlandais ou Polonais à quel point ils continuent à subir le poids d’une église dominante et autoritaire. Demandez aux laïcs israéliens s’ils sont contents de se voir interdire toute activité pendant le shabbat, et qu’ils doivent employer des non juifs pour faire tourner la boutique.

Ainsi, tandis que toutes les églises officielles exhibent leur solidarité avec l’Islam, le citoyen ne peut pas se priver de penser que le fait religieux, remis à sa place après tant de combats revient par la petite porte, avec ses règles, ses pudibonderies, son intransigeance, par le fait d’une religion.

Ces citoyens ne sont ni d’extrême droite, ni des cathos fanatiques, bien au contraire. Ils croient à l’universalité des droits de l’homme, s’offusquent des pratiques religieuses importées qu’ils pensaient obsolètes à jamais, se révoltent de la condescendance de leurs pays vis-à-vis des théocraties pétrolières, exigent la parité des règles et des lois au sein d’un monde globalisé ou, du moins, le respect de leurs propres us et coutumes.  Ils sont, comme Salman Rushdie, prêts à en découdre pour la mini-jupe, les droits des femmes, celui de la critique, de la libre circulation des idées et de la parole, de la citoyenneté sans entraves ni pressions. Pour eux, c’est aux laïcs musulmans de faire leur aggiornamento, à se manifester, à joindre leurs combats séculiers. Si la diversité et la pluralité s’installent au sein du monde musulman, alors les choses deviendront différentes. Mais pour l’instant, ils considèrent les minarets non pas comme des baïonnettes mais comme un cheval de Troie au service de toutes les religions.

Et le font savoir.

Ce n’est pas une raison des les stigmatiser en leur disant que ce qu’ils viennent de faire en Suisse est un coup de couteau sur le dos de la laïcité. Ils n’en croient pas un mot. Ce à quoi ils croient c’est que leur vote, multiple et contradictoire dans son ensemble, a du sens pour chacun d’eux. Et comme disait Aristide l’ostracisé : C’est cela la démocratie. 


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