Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…

par Sylvain Rakotoarison
dimanche 12 avril 2020

« Nous sommes appelés à ramer ensemble et à nous réconforter mutuellement. » (le pape François, le 27 mars 2020 à Rome).



Drôle de scène, scène très insolite, où l’on voit le pape François seul sur le parvis de la basilique Saint-Pierre de Rome, le vendredi 27 mars 2020, pour faire une bénédiction urbi et orbi. Cette crise d’urgence sanitaire, avec obligation de confinement pour la moitié de l’humanité, est un calvaire pour tout le monde, et en particulier pour les chrétiens. Cette crise est arrivée en plein Carême, et cette Semaine Sainte (du 6 au 12 avril 2020) est assez particulière. Le point le plus important du christianisme réside dans la communion, cela signifie donc d’être ensemble. Or, la distanciation sociale vient mettre à mal ce qui est le point crucial du christianisme.

Fixée ce dimanche 12 avril 2020, Pâques est la fête chrétienne la plus importante du calendrier, bien plus importante que Noël même si, dans la société de consommation, elle est moins "utilisée" comme alibi pour faire acheter. Fêter Pâques seul est d’une tristesse planétaire. Ce que les chrétiens fêtent, c’est le seul vrai acte de foi du christianisme, la foi en la Résurrection du Christ (comme l’a mise en image, par exemple, Raphaël), et plus universellement, la résurrection des humains. L’espérance au bout de l’Apocalypse. On a le droit de douter.

Il est très intéressant d’observer ce que les hommes d’Église pensent ou disent de cette crise sanitaire. Quelques "bouffe-curés" anachroniques pourraient croire que les chrétiens ne seraient pas encore sortis de leur obscurantisme médiéval et qu’ils auraient deux genres de réactions qu’on a pu connaître, hélas, dans l’histoire ancienne : d’une part, que le coronavirus serait l’envoyé du diable, qu’avoir le covid-19 serait une malédiction divine, avec une raison sous-jacente, peut-être un péché que le malade aurait commis ; d’autre part, que si on était pur, sans péché, il n’y aurait aucune raison d’être contaminé ou d’avoir le covid-19, du moins dans sa forme sévère, puisqu’on serait de toute façon protégé par Dieu.

Évidemment, ces deux réflexions sont obscurantistes et je ne les ai jamais lues ni entendues de la part d’hommes d’Église. Peut-être de la part de personnes vaguement superstitieuses, croyantes ou pas, athées ou pas, agnostiques ou pas, mais certainement pas de la part de représentants chrétiens, de ceux qui parlent au nom des chrétiens, et plus particulièrement (puisque nous sommes en France), de l’Église catholique, qui regroupe une large majorité des chrétiens en France.



Le Carême, cette année, a commencé le mercredi des Cendres, le 26 février 2020. Je suis allé à la messe les deux premiers dimanches de Carême, le 1er et 8 mars 2020, dans un petit village rural à moins de 150 kilomètres de Paris. Et le discours du prêtre était loin d’être obscurantiste. D’ailleurs, l’Église de France fut sans doute parmi les collectivités ou communautés humaines qui ont pris conscience très tôt du grand danger que représentait le coronavirus.

D’abord, le prêtre. Un très jeune prêtre, plutôt trentenaire que quadragénaire, venu d’Afrique. Ah oui, cela fait une vingtaine d’années que beaucoup de prêtres qui officient en France viennent d’Afrique. Je me souviens d’un prêtre d’origine africaine à Melun, à la fin des années 1990, qui expliquait devant des fidèles un peu étonnés (c’était sa première messe dans la paroisse) qu’il y a eu une sorte de retournement de l’histoire : les Européens étaient partis en Afrique en mission, pour former les peuples africains. Maintenant, ce sont les Africains qui partent en mission pour officier en Europe. Le manque de vocations est immense. Heureusement que sous d’autres latitudes, il reste des engagés motivés.

Le prêtre de ce village est un jeune prêtre très dynamique et très adapté à notre époque. Il tente de parler comme on parle tous les jours. La parole doit rester compréhensible. Nous ne sommes pas il y a 2000 ans, il faut donc s’adapter à l’humanité d’aujourd’hui, pas à celle d’hier. Petite anecdote qui illustre cet élément : un jour que je visitais une abbaye, j’ai rencontré des religieuses qui vendaient un certain nombre d’objets qu’elles avaient confectionnés. Elles portaient un jeans et pas la longue robe grise. Pourquoi ? Parce que leur ordre avait adopté la robe au moment de sa création parce que c’était le vêtement ordinaire pour ne pas se faire remarquer, aujourd’hui, ce vêtement ordinaire, c’est le jeans. Au contraire, porter la soutane, par exemple, c’est un acte de différenciation et pas de fusion dans la population.

Revenons donc à ce prêtre. Il a un langage clair. Et ce dimanche 1er mars 2020, il y avait beaucoup de monde, beaucoup d’enfants (messe particulière). Au tout début de la messe, le prêtre est venu devant le micro lire un texte particulier. Très particulier. Hors liturgie. C’étaient les consignes de l’évêque à tous les prêtres du diocèse. Les consignes de distanciation sociale et les gestes barrières. Plus d’eau bénite au fond de l’église. Plus de salut (poignée de main) au geste de paix (l’un des moments les plus forts d’une messe), plus de communion du vin, seulement le pain. Distance de 1 mètre entre les participants, priés de s’installer en laissant un banc libre sur deux.

Dans son homélie, le prêtre est revenu sur ces consignes contre le coronavirus. Il disait que nous étions peut-être protégés par Dieu mais qu’il fallait aussi faire attention aux lois de la nature, et qu’il fallait respecter les autres, donc respecter les consignes sanitaires pour le coronavirus. Comme il y avait des enfants, le prêtre a passé son homélie à leur poser des questions, parfois en leur tendant son micro, ce qui n’était pas vraiment pertinent d’un point de vue sanitaire !

Par exemple, il leur a posé la question : comment voyez-vous le diable ? Mais justement, après les réponses des enfants, il leur a dit que non, le diable n’avait pas de cornes, qu’il ne faisait pas peur, sinon, tout le monde s’en méfierait, le fuirait, ce serait facile. Au contraire, le diable est beau, il est tentant. Il est comme une sirène dont on résisterait difficilement aux chants. Ainsi, c’est beaucoup plus difficile de s’en méfier, de s’éloigner de lui.

Ensuite, il a parlé de la tentation, et en ces temps de confinement (le 1er mars 2020, on n’y était pas encore du tout à ce stade), la tentation est grande de reprendre sa liberté et de sortir, et il a rappelé qu’il ne pourrait y avoir tentation que s’il y avait interdiction, que s’il y avait une loi.

En troisième point, il a parlé de faire confiance à Dieu, oui, certes, mais il fallait aussi faire confiance aux autres, et aussi aux lois de la nature. C’est-à-dire qu’il fallait se conformer aux réalités de la nature, et faire confiance, c’était aussi respecter les consignes. Dieu ne peut rien contre les lois de la nature, qu’il a créées ou pas, ce n’est pas le problème.



En clair, le sermon du jeune prêtre était réaliste, bien ancré dans la réalité humaine, sociale et sanitaire, accessible intellectuellement, audible même par les enfants, et néanmoins profond et subtil. Ce prêtre est de la même trempe que Bernard Remy, un homme à la fois humain, totalement plongé dans l’humanité, proche des gens mais sans démagogie, et intellectuellement dense, responsable, réfléchi, nourri par la vérité.

Le message, délivré la semaine suivante, le dimanche 8 mars 2020, restait donc le même : si vous ne faites rien contre la propagation du coronavirus, Dieu ne pourra rien faire pour vous aider. En clair, aide-toi et le Ciel t’aidera.

J’ai cru benoîtement que je le retrouverais la semaine encore suivante, le dimanche 15 mars 2020. Mais entre-temps, le 12 mars 2020, Emmanuel Macron avait pris des mesures de restrictions. Encore loin du confinement, mais par exemple, il était interdit des rassemblements de plus de 100 personnes à partir du 13 mars 2020. Pour une messe de village, 100 personnes, c’était déjà beaucoup. Mais le 1er mars 2020, avec les enfants, je pense qu’il y avait plus de 100 personnes dans l’église. Cela va vite : dix bancs de dix personnes. Les évêques de la région ont donc réfléchi et dès le 13 mars 20220, ont décidé d’aller plus loin que l’État en fermant les églises et en annulant toutes les messes, n’étant pas capables d’empêcher les messes de plus de 100 personnes et d’autoriser celles de moins de 100 personnes. En fait, si, les églises restent ouvertes, mais seulement pour des prières personnelles, et avec peu de monde en même temps (moins de 100).

L’évêque a tenu alors un discours très sanitaire : « La communauté des catholiques est solidaire de la nation et prends sa part aux efforts demandés par les autorités de l’État pour freiner la propagation du coronavirus, protéger les personnes les plus fragiles et permettre ainsi aux services sanitaires de faire face à l’augmentation du nombre de personnes malades. ».

Et voici la décision des évêques de la région : « La messe dominicale est un moment important de la vie chrétienne, nous venons y nourrir notre vie à la Parole du Seigneur et à sa Vie donnée, livrée pour le salut du monde. Compte tenu de l’affluence habituelle des messes dominicales dans nos diocèses et la difficulté d’en limiter l’accès à 100 personnes, il a été décidé avec l’ensemble des évêques (…) que les messes dominicales en présence de fidèles seraient suspendues jusqu’à nouvel ordre. Je dispense donc de l’obligation dominicale les fidèles du diocèse. ». La dernière phrase est une sorte de phrase juridico-religieuse qui peut paraître assez dérisoire, en considération de la désertification des églises depuis un demi-siècle.

L’évêque a ajouté : « Cette décision est une épreuve que nous vivons personnellement et communautairement. Cette impossibilité de nous rassembler ne nous empêche pas de communier spirituellement et d’être unis par la prière aux messes qui seront célébrées en l’absence de peuple par les prêtres aux intentions de tout le peuple de Dieu. Je vous invite à vous unir en famille à la prière de l’Église et aux célébrations par les moyens audiovisuels. ». L’Église s’est rapidement adaptée à l’Internet.

Donc, c’est clair que parmi les autorités catholiques, il n’y a pas eu un seul soupçon d’obscurantisme à propos de la pandémie au coronavirus et de la crise sanitaire qui en est la conséquence. Et j’ajouterai : au contraire de nombreux complotistes qui, nombrilistes dans leur petite planète, élaborent des théories foireuses sans se douter que le confinement a été adopté par la moitié de l’humanité pour éviter des morts par centaines de milliers (je pense que j’y reviendrai plus tard). L’argument Emmanuel Macron, graine de dictateur, a bon dos quand on voit que le confinement est la mesure universellement reconnue comme la plus efficace pour réduire drastiquement la circulation du coronavirus. Ici, on ne parle pas politique, encore moins d’économie, on parle de sauver des vies humaines.

Néanmoins, je terminerai (rapidement) sur ce qui semblerait une équation impossible pour les non-croyants. À savoir, que si Dieu est tout-puissant, et si Dieu est bon, pourquoi laisserait-il le coronavirus tuer plus de 105 000 personnes à ce jour (et hélas, bien plus au total dans les prochaines semaines et mois) ? À moins d’imaginer un Dieu pervers (titre avant-gardiste d’un bouquin de Maurice Bellet), ou, du moins, un Dieu maso ou sadique (selon le point de vue où on se place).

La réponse est hélas d’une rude simplicité : Dieu est tout-puissant, Dieu est bon, mais (et on l’oublie), Dieu a laissé aux humains une totale liberté. Cette liberté est donc le fait que c’est l’humain lui-même qui écrit les pages de son destin (c’est la version surtout catholique du christianisme), avec sa liberté et donc, avec ses imperfections. Une liberté telle que Dieu a justement laissé à l’humain la possibilité de ne pas croire en Lui.

Cela fait que si on saute du haut de la tour Eiffel, aussi protecteur Dieu soit-il, les lois de la nature s’appliqueront quand même et l’on sera écrabouillé sur le sol quelques secondes plus tard (en espérant de ne pas avoir écrabouillé un malheureux passant, comme cela a pu se passer avant le confinement). Encore une fois, je précise que le débat n’est pas de savoir si les lois de la nature ont été fabriquées par Dieu ou pas (la logique voudrait que oui, mais qu’importe, ce qui est sûr, c’est que les lois de la nature existent, c’est un fait).

Refuser d’appliquer les consignes pour éviter la circulation du coronavirus (rester chez soi, adopter les gestes barrières, etc.), c’est comme sauter du haut de la tour Eiffel, mais avec une conséquence collective et pas seulement individuelle : Dieu ne pourra pas arrêter la circulation du coronavirus par un geste de magie divine. Les lois de la nature s’appliqueront quand même. Si l’humain est trop stupide, soit par une foi du charbonnier (de toute façon, Dieu me protégera), soit par négligence et individualisme (je ne suis pas une personne à risque, en oubliant que des adolescents en bonne santé y ont laissé leur vie), Dieu n’y pourra rien : la pandémie avancera et les dizaines de milliers de morts s’accumuleront au fil des jours (au rythme cauchemardesque de 6 500 décès par jour dans le monde).

En revanche, aucune victime du covid-19 n’a mérité de l’être, en ce sens que lorsque Dieu laisse aux humains la liberté, c’est plus une question de responsabilité que de volonté. Prendre une mauvaise décision peut avoir des conséquences désastreuses en ce domaine. Presque mécaniquement. C’est pourquoi cette liberté est une responsabilité : Dieu ne considère pas les humains comme ses enfants, mais comme des adultes responsables et raisonnables. Oui, jamais la raison n’a été aussi associée à la foi qu’aujourd’hui : ce n’est pas pour rien qu’a été publiée cette excellente encyclique "Fides et Ratio" (que j’ai déjà citée à propos du père Teilhard de Chardin, plus grand scientifique que religieux). Cette liberté est non seulement une responsabilité, mais aussi une solidarité entre humains.

Alors, Dieu dans ce cauchemar pandémique ? Oui, bien sûr, on peut prier, mais franchement, agir avec détermination contre la circulation du coronavirus, c’est beaucoup plus efficace, et peut-être plus à la portée de tout le monde. En clair, protégez-vous et les vôtres, et restez chez vous. La guerre est loin d’être terminée. Joyeux Pâques à tous !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 avril 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Pierre Teilhard de Chardin.
L’encyclique "Fides et ratio" du 14 septembre 1998.
Le pape François.
L’abbé Bernard Remy.
Mgr Roger Etchegaray.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Jean-Marie Vianney.
Abbé Pierre.
La "peur" de saint Jean-Paul II.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
Réflexions postpascales.


 


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