Quand fleurissent les épines blanches

par C’est Nabum
lundi 10 novembre 2014

La légende Martinienne

Un manteau en partage

Il était une fois, il y a si longtemps de cela, un homme à cheval au début de son histoire .. Puissant guerrier d'une armée triomphante, il n'avait pourtant pas fait le choix de son engagement. Enfant né en Hongrie, adolescent grandi en Italie, il se trouvait, par le hasard des cantonnements, en Gaule au début de ce récit.

Il s'appelait Martin, c'est ainsi que la postérité nous le désigna. Malgré son uniforme, c'est le partage et la charité qui étaient sa ligne de conduite. La belle morale que voilà quand on porte le glaive et le bouclier ! Martin détestait la misère et l'injustice. Le poids de son statut de militaire dans l'armée impériale devait être lourd fardeau pour cette âme noble.

Tout bascula un soir d'hiver. Après dix-sept années au service de l'Empire, il franchit son Rubicon à lui après un signe du destin. Nous étions alors en 354 : à cette date précisément, aux abords de la garnison d'Amiens, se déroula cette scène célèbre entre toutes. Par un froid à ne pas mettre un centurion dehors, il croisa pourtant un pauvre homme à demi-nu, tendant la main devant les soldats pour quémander de quoi manger et se réchauffer un peu.

Martin est touché par son dénuement mais il n'a plus un maiorina dans sa bourse tant il s'est montré généreux depuis sa dernière solde. L'homme grelote ; il faut faire quelque chose au plus vite pour lui éviter une congestion fatale. Martin descend de son destrier, prend son glaive et partage en deux son grand manteau de laine blanche. Il en couvre le mendiant dans un geste qui le fait entrer dans l'histoire des justes.

La nuit suivante, Martin voit en songe le Christ sur sa croix, recouvert de sa moitié de manteau. Voilà le signe qu'il attendait pour fuir sa vie belliqueuse et se consacrer désormais à la charité. Il deviendra soldat d'un dieu de miséricorde, un rôle qui lui convient bien mieux. Il se fait ermite en Poitou, fonde le premier monastère de Gaule à Ligugé.

Ce diable d'homme soigne les corps et surtout les âmes. Comme il a le pouvoir de repousser les démons intérieurs, il commence une carrière d'exorciste qui va lui concilier l'affection et le respect des humbles. Son souci de propagation de la parole le pousse à enseigner les jeunes enfants avant que de se faire prêtre. Le voilà à nouveau le pied à l'étrier pour une carrière fulgurante …

Martin évangélise à tour de bras. Il donne aux humbles, pourchasse les traces des croyances anciennes, guérit les maux de l'âme et du corps. On ne prête qu'aux riches ; Martin est de ceux-là. Sa réputation ne cesse de grandir, son prestige se pare des mille et un miracles qu'on lui attribue tout au long de la Loire. Il devient évêque de Tours dans ce contexte de grande ferveur.

Son passé de soldat revient parfois à la surface. Il pourfend les cultes du paganisme. Il exige qu'on abatte l'arbre sacré dans lequel le prêtre Attis a été enfermé par la déesse Cybèle après avoir enfreint sa promesse de chasteté. Les autochtones s'opposent à ce sacrilège mais Martin se met au pied du pin montrer sa détermination. L'arbre dans sa chute évitera d'écraser le saint homme, sa légende était en marche …

La suite n'est que faits glorieux, miracles multiples et récits mirifiques. Martin est un mage, il est capable de tous les prodiges. Le plus grand sera pourtant attribué à son âne, sa nouvelle monture, bien plus conforme à son statut de soldat de Dieu que son arrogant cheval d'autrefois. C'est l'âne de Martin, en effet, qui aurait inventé la taille de la vigne ; sa gourmandise l'incitant à se gaver des jeunes pousses de lambrusques qui abondaient en bord de Loire. Gloire à l'âne qui fit proliférer la dive bouteille au pays de Rabelais !

Martin poursuivit ainsi son chemin de gloire et de béatitude. C'est à l'âge respectable de 81 ans qu'il pensa mettre un terme à ses exploits en ce monde. Sa mort devait le laisser en paix, du moins en avait-il l'espoir. Mais les hommes de cette époque lointaine n'étaient pas si différents de nos contemporains ; les clercs de Poitiers et de Tours en vinrent à se déchirer autour d'un cadavre tout juste froid. Le commerce des reliques n'en était pourtant qu'à ses balbutiements …

Sentant leur échapper leur Saint Homme, les Ligériens se liguèrent pour enlever de nuit le sarcophage de leur idole. Nous étions à Candes, là où la Vienne se jette dans la Loire. C'est en bateau que l'évêque reviendrait triomphalement dans sa bonne ville de Tours au nez et à la barbe des gens de Poitiers.

La divine providence veillait encore sur Martin au terme de son existence terrestre. Au passage du bateau mortuaire, les épines blanches sur les rives et les îles de Loire se mirent à refleurir. C'était un signe du Très Grand et les prémices de ce qui allait devenir l'été de la Saint Martin bien plus tard. Martin entrait en odeur de sainteté dans sa bonne ville. Il y fut enterré dans un cimetière ordinaire.

Mais la postérité le réclamait déjà. Un de ses successeurs, l'évêque Perpet en 471 voulant lui offrir sépulture plus conforme à sa grandeur, on lui bâtit une collégiale pour l'y ensevelir le 1° juillet. Hélas, mille fois hélas, le sarcophage du saint homme restait mystérieusement planté en terre ordinaire. Malgré les efforts des fidèles, il refusait obstinément de bouger.

Un vieil homme apparut soudain à la foule. Etait-ce Notre Seigneur ou bien l'avatar du mendiant d'Amiens ? Mystère. Celui-ci s'adressa aux autorités. « Vos efforts seront vains aujourd'hui, demain et encore après demain. Ce ne sera que le 4 juillet, jour de l'anniversaire épiscopal, que Saint Martin acceptera de rentrer en pleine gloire dans son église ... » Et l'homme disparut aussi mystérieusement qu'il était venu.

Il en fut fait selon sa parole. Le 4 juillet enfin le sarcophage fut sorti de terre avec une facilité incroyable vu sa résistance antérieure. Depuis ce jour, le tombeau de Saint Martin continue de guérir et de rassembler les croyants. Il se fait encore aujourd'hui même un pèlerinage de quatre jours, de Chinon jusqu'à Tours, en longeant la Vienne puis en remontant la Loire. 114 kilomètres pour voir fleurir peut-être l'épine blanche sur nos rives et la foi dans les cœurs des marcheurs.

Nul besoin d'écrire un conte pour narrer la vie de ce saint homme. Sa légende dorée se suffit à elle-même. J'ai essayé, le plus honnêtement possible, de vous la restituer telle qu'elle est parvenue jusqu'à moi. Pauvre mécréant, je ne retiens de ce récit que le miracle de l'âne. Les croyants se joignant à moi sur ce point pour reconnaître que, sans le brave animal, le vin de messe aurait eu un tout autre goût.

Miraculeusement sien. 


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