Quand l’église s’invite à l’école

par olivier cabanel
mercredi 17 mars 2010

Jules Ferry doit se retourner dans sa tombe.

Une nouvelle idée vient de germer dans la tête fertile présidentielle : la religion sera étudiée dans l’école publique.

En décembre 2001, Régis Debray rédigeait à la demande de Jack Lang, un rapport « l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », (paru aux éditions Odile Jacob). lien

Déjà, depuis la rentrée 1997, l’étude du fait religieux est insérée dans le programme d’histoire du bac pro.

(Étudier le fait religieux en 1ère bac pro)

Une table ronde s’est tenue les 5, 6,7 septembre 2002 sur le thème « l’enseignement du fait religieux ».

On peut lire l’essentiel du débat, avec les questions de la salle sur ce lien.

Dans son discours (vidéo) de février 2008 devant le CRIF, Sarkozy a évoqué le « retour du catéchisme » dans l’école. lien

Suite logique, début mars 2010, un projet de loi visant à « instituer un enseignement du fait religieux » à été déposé par des députés UMP.

(Rappelons que ce projet était déjà programmé en 2005 dans le cadre de la loi Fillon).

Faisons un peu d’histoire :

Le 26 aout 1789, l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens proclame la liberté religieuse : « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».

En 1791 la constitution instaure la liberté des cultes.

En 1881 Jules Ferry institue l’école publique gratuite, laïque et obligatoire.

En 1905, une loi (art.2) définit la séparation des églises et de l’état : « la république ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ».

En 1946 : le principe de laïcité est inscrit dans le préambule de la constitution.

Et pourtant, en 1959 la loi Debré accorde des subventions aux écoles privées. lien

Çà concerne plus de 2 millions d’élèves, et coûte au contribuable 900 millions d’euros annuels.

Le 15 mars 2004 une loi interdit dans les établissements scolaires le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse.

N’y a-t-il pas beaucoup de contradictions dans toutes ces décisions, et lois en vigueur aujourd’hui ?

On se souvient de la grande manifestation pour la défense de l’école privée de 1984.

Les tenants de l’école privée, (qu’ils qualifiaient improprement « d’école libre ») craignaient d’être privés de subventions d’état.

En tout cas, la communication sur le mot « libre » a permis la réussite de cette manifestation, et l’abandon du projet socialiste.

La religion est porteuse de croyance, mais est-elle une discipline que l’on puisse enseigner dans le cadre de l’école laïque et républicaine ?

C’est ce que pense le gouvernement.

Alors si l’on veut enseigner l’histoire des religions dans l’école laïque, il faudrait enseigner aussi bien l’islamisme, que le bouddhisme, le tantrisme, le protestantisme, le judaïsme et toutes les religions représentées dans nos communautés en France, y compris les témoins de Jéhovah.

On ne pourrait pas écarter les chrétientés historiques (église orthodoxe, copte, syriaque, chaldéenne, maronite etc.) ce qui représente 750 000 personnes en France. lien

Si l’on va jusqu’au bout de cette logique, afin de ne privilégier personne, il faudrait donc aussi enseigner l’histoire de l’athéisme.

Ne court-on pas aussi le risque de diviser encore un peu plus les élèves ? De générer des polémiques ? Des conflits ?

Une fois de plus, n’est-ce pas ouvrir de nouveau la « boite de pandore » qui vient à peine d’être refermée suite au débat malsain sur « l’identité nationale  » ?

Rappelons qu’Eric Besson demandait lors de ce débat que soit respecté « le principe de neutralité, et non principe d’indifférence envers les religions et demandait fermement aux musulmans de respecter le pacte social et civique français ». lien

D’ailleurs il existe déjà des lieux pour apprendre les religions : les églises, les mosquées, les temples…

L’étude de la religion, quelle qu’elle soit, est complexe.

Prenons par exemple le Coran : il en existe (tout comme pour la Bible) des versions et des traductions différentes. lien

On sait que la traduction actuelle est rejetée par certains courants conservateurs. lien

Laquelle pourrait être considérée comme incontestable par l’enseignant ?

Sur le sujet de la « guerre sainte », du voile, de la consommation du porc, (lien) les textes du coran se contredisent suivant les versions, et les traductions.

Comment expliquer la religion catholique aux Juifs, qui attendent encore le Messie, et pour qui le « Jésus Christ » des chrétiens n’est pas « l’authentique » ?

Mais quelles sont les preuves historiques de l’existence de Bouddha, de Dieu, du Christ, de Mahomet ?

Un manuscrit religieux peut être daté au carbone 14 assez précisément, mais comment confirmer la véracité des écrits ?

Quelle crédibilité apporter à la fable de Mathusalem qui aurait, d’après la Bible, vécu plus de 900 ans ?, de la Mer Rouge s’ouvrant pour laisser fuir le peuple juif ? De la force monstrueuse d’un Samson, capable d’écrouler un palais à la force de ses bras ?

Ces textes anciens sont-ils des témoignages, ou des œuvres de fiction ?

Les arguments défendant l’étude des religions dans l’école laïques sont fragiles. lien

Certains sont convaincus que le rôle de l’école est d’instruire et non d’éduquer et à ce titre pensent que l’histoire des religions est un domaine de la connaissance, à condition de s’en tenir aux faits historiques. lien

Mais ceux là même qui s’attachent à cette conviction ont voté à près de 64% dans un sondage (Figaro/février 2010) contre l’éducation sexuelle à l’école. lien

Même dans les rangs des églises, des contestations voient le jour. Les croyants craignant un « aplatissement et un relativisme ».

Pour les laïques c’est bien évidemment un « cheval de Troie » qu’utiliseraient les églises pour se forger de nouveaux fidèles, et ramener les « brebis égarées » dans les églises aujourd’hui de plus en plus désertées.

Le débat est donc ouvert, car comme disait mon vieil ami africain : « ce n’est pas parce que le lièvre ressemble à l’âne qu’il en est son fils ».


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