Quand la communauté Sant’Egidio ajoute à l’hypocrisie catholique

par Pierre Régnier
vendredi 16 novembre 2007

C’est décevant, c’est triste, c’est lamentable, c’est révoltant. Dans son "appel de Naples" du 23 octobre 2007 la communauté Sant’Egidio ajoute sa contibution à l’hypocrite double discours de Jean-Paul II et de Benoît XVI sur la violence attribuée à Dieu. Ces deux papes ont très explicitement contribué, dans le catéchisme qu’ils ont promu (pour le premier) et rédigé (pour le second) à cultiver la conception criminogène de Dieu vieille de 3 000 ans. Ils ont même, d’une certaine manière, re-sacralisé cette conception au moment où, compte tenu de la violence effective qui, une fois de plus, en découle, le monde entier attend des institutions religieuses qu’elles la dé-sacralisent, qu’elles l’extirpent une fois pour toutes de la conscience des croyants. C’est en effet sous la direction du pape actuel, lorsqu’il était simplement le cardinal Ratzinger, que fut inscrite cette horreur dans le nouveau catéchisme : "Dieu a inspiré les auteurs humains des livres sacrés. En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi les hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, Lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement." (106, je souligne). Ne trichons pas : cela signifie, en clair, que les massacres de masse attribués à Dieu dans l’Ancien Testament et les appels à commettre de tels massacres ainsi que de nombreuses autres maltraitances de toutes sortes lui sont attribués à juste titre. Cela constitue une réaffirmation, par les plus hautes autorités catholiques, que Dieu a bien commandé aux hommes de pratiquer dans leur vie le mal comme le bien, le pire comme le meilleur. Il faut d’ailleurs souligner, même si cela n’est pas pour moi le plus grave, que c’est en trahissant le prophète juif Jésus dont ils se réclament que les dirigeants chrétiens continuent de cultiver la conception criminogène de Dieu, Jésus ayant en effet passé sa vie - jusqu’à y trouver la mort - à tenter de convaincre ses disciples que seul le bien vient de Dieu.

Or, que fait aujourd’hui la communauté Sant’Egidio ? Elle répète une fois de plus la seule partie édifiante du double discours papal : "Comme nous l’a dit Benoît XVI : ’Jamais, en invoquant le nom de Dieu, on ne peut justifier le mal et la violence’." La communauté Sant’Egidio renforce ainsi l’actuel mensonge dominant de toutes les religions, si lourd de conséquences, selon lequel ce seraient les seuls fidèles qui auraient, dans la lecture de leurs textes sacrés, "une mauvaise interprétation de ces textes" lorsqu’ils sont criminogènes.

Pour n’avoir pas la possibilité de s’exprimer publiquement, la critique et la condamnation de tels mensonges n’en existent pas moins. On trouvera ci-dessous le texte que j’ai tenté de publier - et que j’ai communiqué à la communauté Sant’Egidio - après une précédente Rencontre de cette communauté.

Pierre Régnier, 3 novembre 2007

Les prisonniers de Sant’Egidio (libre opinion proposée au Figaro le 20 sept 2005)

Il faut revenir sur la 19e rencontre organisée par la communauté Sant’Egidio du 11 au 13 septembre 2005 à Lyon. On y a trop facilement vu une nouvelle avancée vers la paix. J’y vois surtout une nouvelle occasion gravement ratée.

Quand, dans un langage imagé, mais peut-être maladroit le prophète des bahaïs déclarait, au XIXe siècle, que « la guerre sainte est effacée du Livre », il rendait plus furieux encore les fanatiques musulmans dont la violence l’avait conduit à la conviction qu’il fallait créer une nouvelle religion. Cent trente ans plus tard les pacifistes les plus concrets de la communauté Sant’Egidio restent enfermés dans la même impasse. Ils ne nient plus, comme on le fait encore presque partout ailleurs, que les textes sacrés des trois grands monothéismes prônant la violence « voulue par Dieu » sont bien à l’origine des violences religieuses effectives. Ils se sont alors posé la question, estimée par certains incontournable, de l’effacement, au sens littéral du terme, de ces textes. Ils ont fort heureusement repoussé tout projet d’une telle amputation.

Ils n’ont pas pour autant réfléchi au vrai problème, systématiquement évité ou déformé partout depuis que ces vraies causes de la violence ne peuvent plus être efficacement cachées, celui de l’interprétation par les institutions religieuses de ces textes. Celles-ci continuent de prétendre qu’il n’y a qu’un problème d’interprétation de lecteur. C’est là que réside la plus manifeste tricherie. C’est très explicitement que des terroristes tuent au nom de Dieu. C’est très explicitement que des textes sacralisés par leur religion font dire à Dieu qu’il commande de tuer. C’est très explicitement que les plus hauts responsables de ces religions maintiennent qu’il s’agit bien là de la parole de Dieu. Il faut donc obtenir d’eux qu’ils changent leur interprétation de présentateurs et d’enseignants, de transmetteurs, et qu’ils affirment désormais très explicitement le contraire : « quand il y a appel au meurtre dans nos textes sacrés ça n’est pas la parole de Dieu ». Notre époque, qui affronte incontestablement des problèmes de violences nouvelles - par leur forme, leur intensité, leur complexité - a au moins le clair devoir de transmettre aux générations futures - enfin ! - cette radicale réforme.

Parce qu’elle est la plus hiérarchisée, parce qu’elle a un magistère, parce que, dans son plus véridique combat, le prophète Jésus dont elle se réclame fut parfaitement clair contre la prétendue violence « voulue par Dieu », c’est dans la religion catholique que le rejet de la théologie criminogène paraît le plus facile. Mais les pesanteurs dogmatiques y sont peut-être plus importantes qu’ailleurs. D’autre part il y a maintenant, très probablement, une vulgaire affaire de gros sous. La nécessité du rejet n’a pas été ressentie avant la dernière édition, pour très grande diffusion sur toute la planète et qualifiée sur sa couverture de définitive, du Catéchisme de l’église catholique présenté par Jean-Paul II. On peut comprendre la difficulté de faire apparaître maintenant combien fut grave l’erreur qui a consisté à y maintenir la très vieille conception criminogène de la « parole de Dieu ». Il y a surtout la conception de la papauté elle-même, de sa prétention à représenter Dieu lui-même sur la terre, de sa prétention à l’infaillibilité qui en découle. Il y a peu, Jean-Paul II consentait à exprimer une repentance réclamée avec insistance, pendant des années, par de nombreux chrétiens, pour la responsabilité catholique dans le génocide des juifs par les nazis. Mais ce ne fut qu’une « repentance » pour la complicité « de chrétiens », pas pour le silence coupable du pape Pie XII quand son impérieux devoir était de condamner très publiquement l’horreur en cours (préparée, au demeurant, par des siècles de culture chrétienne de la judéophobie). Le mauvais conseiller, à l’époque, du pape Jean-Paul II, fut aussi celui qui présida la commission de rédaction du catéchisme. Devenu pape à son tour il n’est évidemment pas enclin à modifier l’Institution et à l’amener à se consacrer à la tâche prioritaire de tous les responsables religieux du moment. Les grandes opérations médiatiques, devenues coutumières, pour l’obtention d’un unanimisme papiste de façade ne l’y aideront pas.

Les authentiques pacifistes de la communauté Sant’Egidio restent apparemment prisonniers, comme le plus grand nombre des croyants, d’un sentiment intime, informulable, mais tout-puissant, qui réduit à néant les meilleures intentions engendrées par la pratique de la foi : ce qui est le plus sacré, dans la religion, c’est l’Institution. Elle ne fut pas mise en cause à la rencontre de Lyon. La théologie criminogène en est donc sortie intacte. Et la violence religieuse effective a toujours de beaux siècles devant elle. Pierre Régnier, 20 septembre 2005


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