Quel avenir pour nos croyances ?

par Loup Rebel
samedi 16 février 2013

La croyance constitue le terreau du pouvoir politique, aujourd’hui pas moins qu’à l’aube des civilisations. Depuis la nuit des temps, croire a été le propre de l’homme.

Ainsi, l’humanité s’est fondée sur des croyances. De la caverne de Platon jusqu'à nos jours, « Le réel, c’est ce que nous ne connaissons pas »(1). La science nous permet seulement de remplacer nos croyances par d’autres : nos illusions changent, mais ne meurent jamais.

Dans l’œuvre de Platon, l’opposition entre la raison et les émotions est omniprésente. La suprématie des émotions, de la sensualité, et de l’illusion y est largement repérée et reconnue. Pour autant, le renoncement à une connaissance absolue du réel n'est pas à l'ordre du jour. C'est justement l'épilogue de l'allégorie de la caverne : la science, vérité pure issue du « monde des idées », finira par l'emporter sur l'imaginaire, les émotions, les illusions, et les croyances, issues du « monde sensible ».

Pas moins au XXIe siècle qu’à l’aube des civilisations, la vérité constitue la quête perpétuelle de l’homme, preuve qu’il ne l’a pas encore trouvé. Pour contourner ce problème de « l'improbable vérité », Platon avait inventé la « théorie des Formes », fondée sur ses convictions et croyances : Le monde des idées, contesté par Aristote, devait permettre d'accéder à la connaissance pure.

Les philosophes de l’époque des lumières ont tous donné leur définition de la vérité. Nietzsche, lui, a posé la vérité comme croyance première de la science. S’il a mis dans la bouche d'un fou son célèbre « Dieu est mort », c’est parce qu'il savait son destin de n'être pas cru, considéré comme fou par la pieuse foule Allemande de la fin du XIXe siècle.

Fort heureusement, disent les sages, le propre de l’homme est aussi de raisonner. Certes, mais il raisonne à partir de ses croyances ; ce qui devrait – logiquement – lui permettre de les remettre en cause. Or, si les dialogues de Socrate ont eu le mérite de mettre en lumière la dichotomie entre la raison et les émotions, ils n’ont pas réussi pour autant à sortir l’humanité de la caverne aux illusions. Chaque tentative pour y parvenir ne fait que nous projeter dans un nouveau nymphée, non moins peuplé d’ombres et de reflets, rien d’autre que de nouvelles hallucinations.

Concept d'un réel consensuel

S’il n’y a que des réels subjectifs, le philosophe ne va pas manquer de poser les questions suivantes :

Comment sera-t-il possible, dans ces conditions, que la science construise des théories – même reconnues comme sans portée ontologique, à la manière de Pierre Duhem – susceptibles de faire l’accord des esprits ?

Faut-il admettre que le réel donne lieu à une traduction psychique commune, autrement dit à une illusion collective ?

Qu'en est-il alors de la définition philosophique de la vérité ?

Après Jung et son inconscient collectif, Freud dans Avenir d’une illusion (1927) et Malaise dans la civilisation (1927), dans le sillage de l’École de Palo Alto (ici et ), Didier Anzieu, Jean-Bertrand Pontalis, René Kaës … et quelques autres se sont penchés sur ces questions :

Ils ont introduit l’existence d’un inconscient de groupe, et un inconscient dans le groupe. Le fonctionnement groupal (et son recours à l'autoréférence) serait une défense contre l'acceptation des processus inconscients qui y sont à l'œuvre. Ils en arrivent à poser l'existence d'une « illusion groupale » : tout groupe se réfère à son insu à une illusion, un imaginaire, une croyance (ou un ensemble de croyances) qui fondent sa cohésion (apparente).

Pour Didier Anzieu, l'illusion groupale est un sentiment de folie que les groupes en général éprouvent à un certain moment. C'est un état psychique collectif que les membres d’un groupe formulent ainsi : « Nous sommes bien ensemble, nous construisons un bon groupe, avec un bon leader qui partage nos convictions ».

Le groupe est érigé en objet-groupe massivement investi, objet-idéal (objet petit a, dirait Lacan) dont l'appareil psychique a comme fonction de maintenir les liens et la cohésion du groupe. Son homéostasie est pérenne tant que l’illusion groupale n’est pas remise en cause.

Pour Anzieu, le consensus groupal relève clairement de la psychose collective. Sigmund Freud disait la même chose dans son analyse de deux grands objets-groupes : l’armée et la Religion (Psychologie collective et analyse du moi, 1921).

Nous devons donc bien admettre l'idée d'une réalité consensuelle, dans laquelle les illusions individuelles se structurent pour former une illusion groupale, sans laquelle aucune cohésion n'est possible dans aucun groupe.

Au vingt et unième siècle encore, même en dehors des dogmes religieux, les croyances fondatrices de notre civilisation (le christianisme) sont profondément ancrées dans l’inconscient collectif des peuples concernés (dont la France, ça va de soi). Ce qui pose problème c’est l’appropriation de ces croyances par les chefs religieux qui cherchent à les imposer comme étant LA vérité absolue, LE savoir « vrai », LA connaissance révélée par Dieu, donc incontestable. L’être humain, en perpétuel questionnement sur ses origines, croit trouver là les réponses. Cette illusion collective pousse les peuples à se soumettre à ce qui leur est proposé comme étant la loi de Dieu.

Cette imposture apporte aux tyrans l’assurance de leur pouvoir absolu.

Le dogme religieux remplit alors deux fonctions complémentaires :

Il serait faux de croire que la science peut changer ce système, car elle n’est qu’une nouvelle croyance en rivalité avec Dieu. Le dogme de la science se substitue tout simplement à celui du religieux. Aujourd’hui, la « communauté scientifique » devient la référence absolue de la « connaissance ». Religieuses ou scientifiques, ces communautés prétendent toutes les deux détenir le copyright de LA connaissance. Deux vérités – ou plutôt prétendues vérités – s’affrontent : celle proposée par les leaders de la science, et celle des chefs religieux. Chacun avance ses preuves, et chaque preuve ne fait que contredire les croyances qui s’opposent.

Ainsi, par exemple :

Dans les deux cas, aucune preuve n’est recevable, ni de l’existence de Dieu, ni de sa non-existence. Ce sont simplement deux croyances opposées, ce qui apporte la preuve du dogme scientifique. Que les miracles n’existent pas ne prouve pas plus que Dieu n’existe pas ni qu’il existe.

L'humanité est en passe de remplacer la supercherie religieuse par l’imposture scientifique. Les mots croyance et connaissance seraient synonymes, si le second n’avait pas la prétention de faire croire qu’il désigne LA vérité.

Mon pari était de parler de ce qui est au cœur de toute les « religions », sans que ce mot ne soit prononcé plus d’une seule fois. Pari tenu. Désolé pour les nombreux liens, mais la synthèse d’un sujet aussi vaste en quelque 1200 mots est forcément réductrice. Les liens ouvrent des portails d’informations vers les concepts fondamentaux à l’œuvre dans les mécanismes des croyances.

(1)« Le réel, c’est ce que nous ne connaissons pas » est une phrase récurrente de Jacques Lacan dans ses séminaires, en particulier lorsqu'il a établi le concept de l'inconscient structuré comme un langage, résultat de l'intrication de trois fonctions : le Réel, l'Imaginaire, et le Symbolique.

 

Crédit images :

- illustration d’une chronique de Didier Norton dans la revue Pour la Science (2007)

- La caverne de Platon revisitée par Lacan (illustration page intérieure)

 

Sources :

Totem et tabou (Sigmund Freud, 1912)

La caverne de Platon revisitée par Lacan (Édit Auteur 2012)

 


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