Strasbourg : condamnation requise pour avoir brűlé le Coran

par Catherine Segurane
mardi 19 avril 2011

Caliméro, l'internaute qui s'était filmé en train de brûler le Coran et d'uriner dessus, est passé en correctionnelle le 11 avril au matin. Le procureur a requis trois mois de prison avec sursis et mille euros d'amende. La Licra et la Grande mosquée de Strasbourg se sont contituées parties civiles. Une affaire inquiétante par ce qu'elle montre du recul de la liberté d'expression, et de l'oubli d'importants principes juridiques comme celui qui veut que le droit pénal soit d'interprétation stricte. Le délit de blasphème, absent de notre code pénal, revient en fraude sous l'appellation d'incitation à la haine raciale, qui elle-même devient extensible à l'infini.

Au départ, c'est un défi débile : Caliméro (c'est un pseudonyme) s'ennuyait à l'automne dernier et avait lancé une sorte de web-télé sur laquelle il faisait l'idiot. Un correspondant le met au défi de brûler le Coran (idée qui était "dans l'air" à l'époque : le pasteur fondamentaliste Terry Jones en parlait aux Etats-Unis). Caliméro se prête au jeu, et le voilà maintenant devant les juges.

Ceux-ci ont du s'y reprendre à deux fois. Une première convocation au tribunal avait été annulée pour des raisons présentées comme de pure forme : elle ne visait pas les bons alinéas des bons articles du Code pénal. Ce qui veut dire que le problème était en réalité de fond et non de forme. On ne trouvait pas les bons articles parce que les faits n'y entraient pas. Le code pénal est en principe d'interprétation stricte. On ne "tire" pas sur les articles comme sur du caoutchouc pour y faire entrer ce qu'on veut. C'est une garantie essentielle pour le justiciable. Le juge n'a pas le droit de dire : "Je vous traîne au tribunal selon le code pénal ... euh ... pour choisir un article j'ai un peu de mal." Quand des faits n'entrent pas dans un article du code pénal (et dans des alinéas quand celui-ci est subdivisé), c'est parce que le législateur n'en a pas fait un délit.

Au cas d'espèce, il s'agissait d'une affaire de blasphème (pisser sur le Coran et le brûler). Or, le blasphème n'est pas incrit au code pénal français. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. La dernière tentative pour créer un délit de blasphème a pris la forme d'une proposition de loi de M. Eric Raoult, toujours disponible pour relayer des revendications islamiques. Ces dernières s'inscrivent dans une stratégie suivie depuis dix à à l'ONU par les Etats de l'OCI pour faire criminaliser ce qu'ils appellent la "diffamation des religions", en clair pour interdire de critiquer l'islam. Cette stratégie connait quelques succès. Des résolutions "anti-diffamation" sont votées chaque année à l'ONU, rendant la liberté religieuse totalement méconnaissable. On en est arrivé au point où même l'Etat du Vatican refuse de voter ces résolutions anti-blasphème, car elles servent entre autres à persécuter les chrétiens. Il y a même un projet de demander une peine de mort au plan mondial pour blasphème. Au Pakistan, la loi anti-blasphème donne lieu à des persécutions de masse qui ont conduit à une pétition d'Aide à l'Eglise en détresse.

Dans un tel contexte, on attendrait, de nos pouvoirs publics, en particulier judiciaires, une ferme résistance à ces tentatives de judiciariser le blasphème. Or, c'est tout le contraire que nous avons vu se produire à l'occasion du procès Caliméro.

L'audience du 11 avril nous est relatée par les Dernières Nouvelles d'Alsace, qui étaient sur place. Nous apprenons, en lisant leur article, que Caliméro est jugé pour incitation à la haine raciale. Quel rapport entre l'incitation à la haine raciale et le blasphème ? Ben ... nous n'en savons trop rien, si ce n'est que le délit d'incitation à la haine raciale est si élastique qu'on se demande bien ce qui n'y entrerait pas.

A cette occasion, le procureur inventa la notion d' acte provocateur « à double détente ».

« Il incite à la haine à l’égard des musulmans, car tout le monde sait que le Word Trade Center a été attaqué par des extrémistes musulmans (...). Et en urinant sur le Coran (...) c’est une incitation à la haine des musulmans contre les non-musulmans ».

Examinons de plus près ce double mécanisme.

Caliméro avait fait une allusion gestuelle à l'attentat du World Trade Center en manipulant un avion en papier.

Cette allusion est-elle jugée mensongère ? Monsieur le Procureur se range-t-il au nombre de ceux (il y en a) qui estiment que les auteurs de l'attentat n'étaient pas musulmans, et que celui-ci résultait d'un complot américano-sioniste ?

Non, pas du tout. Monsieur le Procureur pense au contraire que "tout le monde sait que le Word Trade Center a été attaqué par des extrémistes musulmans". Le message gestuel de Caliméro n'était donc pas mensonger. Il a imputé le Wall Trade Center à l'islam, et celui-ci avait bien des musulmans pour auteurs.

Caliméro a dit (par gestes) la vérité. Il doit être exécuté !

Aurons-nous encore le droit, demain, de parler du Wall Trade Center, et aussi de la charia, des lapidations, des amputations, des condamnations pour adultère de femmes violées ? Toutes ces choses sont vraies mais justement : c'est parce qu'elles sont vraies qu'elles mettent en colère ; et, de la colère à la haine, il n'y a parfois qu'un pas.

Garde-t-on le droit de dénoncer le mal à propos de faits parfaitement établis ?

On dirait que, pour Monsieur le Procureur, ce ne soit pas évident !

 Voyons maintenant l'autre branche de cet acte provocateur "à double détente" :

" Et en urinant sur le Coran (...) c’est une incitation à la haine des musulmans contre les non-musulmans"

Nous sommes là en pleine inversion accusatoire. Nous savons que la foule musulmane est inflammable, en particulier à propos de blasphèmes vrais ou supposés. Pour autant, les musulmans sont responsables de leurs émotions et de leurs réactions. Il n'y a aucune raison de faire droit à une revendication souvent entendue de ne pas les offenser.

Personne n'aime être offensé, ni eux ni les autres. Pour autant, il n'existe pas de droit à ne pas être offensé. Un tel droit, s'il existait, serait incompatible avec la liberté d'expression. En contrepartie de cette liberté, nous devons, tous et toutes accepter d'entendre des choses qui nous offensent, et prendre sur nous pour ne pas exploser. Nous mêmes, les femmes, on nous demande de montrer beaucoup de tolérance vis à vis des expressions de "liberté religieuse" islamique, comme le voile, qui sont aussi bien peu respectueuses de l'égalité homme/femme.

Pour vivre en société, chacun prend sur lui. Il n'y a pas de raison que les dévots des différentes religions aient, plus que d'autres, le droit de n'être jamais offensés. Et il n'y a aucune raison que ce "droit" soit reconnu plus aux musulmans qu'aux chrétiens ou aux athées.

Le blasphème fait partie des traditions françaises. Nous connaissons tous des histoires d'enfants de choeur qui urinaient dans le bénitier.

Récemment, une "oeuvre d'art" nommée Christpiss, représentant le Christ plongé dans de l'urine, a été exposée en Avignon avec subventions publiques s'il vous plait !

L'Eglise a osé protester, et elle s'est attiré les foudres de Libération, qui traite les protestataires de pisse-vinaigre.

Puisque Libération est si attaché à la liberté de blasphémer en utilisant de l'urine, on espère voir ce journal au nombre de ceux qui défendront Caliméro.

 Le procès Caliméro a ce point commun avec le procès Sabaditsch-Wolff : l'acharnement à condamner, quitte à opérer des figures acrobatiques entre des incriminations qui n'ont rien à voir avec les faits. On rappellera d'Elisabeth Sabaditsch-Wolff est une conférencière qui avait, elle aussi, été inculpée en Autriche d'incitation à la haine raciale, mais sans qu'il soit possible de la condamner de ce chef, car ses critiques de l'islam étaient parfaitement étayées. Elle fut donc condamée pour blasphème pour avoir osé dire que Mahomet était pédophile. Le tribunal lui reprocha d'avoir menti sur ce point. Il reconnut que Mahommet avait bien épousé Aïcha à six ans et l'avait bien déflorée à neuf, mais, étant donné qu'il couchait AUSSI avec des femmes adultes, Madame la Juge considéra qu'il n'était pas pédophile.

On en rirait, si ce n'était tragique.


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