Une voix musulmane pour la raison

par Michel Monette
lundi 13 novembre 2006

Le 24 octobre dernier, l’Université de Montréal accueillait l’avocate iranienne et prix Nobel de la paix Shirin Ebadi. Le message qu’elle a alors livré est clair : le choc des civilisations est une pure invention de ceux qui ont intérêt, de part et d’autre, à instrumentaliser l’islam.

Ebadi a d’abord rappelé qu’avant la chute du régime soviétique, il n’y avait pas de débat sur la compatibilité entre démocratie et islam. Les groupes islamistes étaient amis de l’Occident. Les femmes voilées étaient tout au plus vues comme l’équivalent des soeurs chrétiennes. Après la chute, la démocratie, les droits de l’homme et la modernité, soi-disant nés en Occident, sont soudain devenus incompatibles avec l’islam.

Il est vrai que pour une partie des musulmans, il faut s’en remettre à Dieu. Seule la charria est acceptable. Ceux-ci ne reconnaissent pas la légitimité des représentants du peuple, sauf s’ils s’en remettent à la charria, source de toutes les lois. Tout opposant est ennemi de Dieu et de l’islam.

Il y a cependant, insiste Ebadi, un courant de penseurs modernes de l’islam. Ce courant mène le combat contre les régimes religieux. Ce courant n’a pas de nom, pas de dirigeants, pas d’organisme central, mais un objectif commun : concilier foi et démocratie.

En vérité, l’islam est une religion d’égalité, soutient Ebadi. Le Prophète Mohamad est un prophète de tolérance. Il avait un très grand respect envers sa fille. Comment alors accepter la place inférieure que l’islam des islamistes assigne à la femme ? Comment parler d’incompatibilité culturelle entre l’islam et la démocratie ?

Le vrai problème n’est pas au coeur de l’islam. C’est que les régimes ne veulent pas donner l’image d’un islam compatible avec les droits de l’homme, la démocratie et les libertés.

Contre cette attitude, le nouveau courant intellectuel prône un islam dynamique. L’objectif est de mettre en place des législations qui respectent l’islam tout en s’accordant avec les enjeux contemporains. Le moyen est d’enseigner que l’on peut être musulman tout en respectant les droits de l’homme et la démocratie.

Ebadi est convaincue que grâce à cet apprentissage progressif les régimes autoritaires ne pourront plus imposer leurs vues ni justifier les injustices qu’ils commettent au nom de la religion.

Ne nous y trompons pas, insiste-t-elle. L’instrumentalisation de la religion n’est pas propre aux musulmans. L’histoire est marquée par de nombreuses injustices et atrocités commises au nom d’une idéologie religieuse ou laïque, par exemple l’Église au Moyen Âge, ou plus récemment le marxisme.

La solution rationnelle, face à l’islamisme, est l’utilisation de l’éclairage de la science et du savoir pour mettre en évidence les abus de la religion. C’est une tâche énorme que doivent accomplir les défenseurs de la religion et de la liberté. Il faut que les intellectuels musulmans se lèvent et expliquent que l’islam peut être dynamique plutôt que de demeurer figé.

Pour Ebadi, s’en tenir à la critique des régimes en place ne sert à rien et ne suscite pas la mobilisation de la population. Il faut plutôt montrer sans relâche que la foi n’est pas incompatible avec l’amélioration des conditions de vie.

Shirin Ebadi renvoie dos à dos les groupes opposés aux intellectuels éclairés : d’une part les fanatiques et les régimes dictatoriaux, d’autre part ceux qui promeuvent l’islamophobisme, réduisant l’islam au terrorisme et à la violence.

Les deux côtés contribuent à freiner la mise en place d’un islam dynamique.

Les fanatiques posent sur leurs visages dictatoriaux un masque culturel. En revanche, on ne peut pas non plus piétiner les droits de l’homme comme le font ceux qui luttent contre le terrorisme.

Il ne faut pas seulement condamner le terrorisme, mais s’attaquer à la racine du problème : l’ignorance et l’injustice.

Contre l’ignorance, il faut la connaissance des différentes cultures. La vérité se trouve en chacun de nous.

Contre l’injustice, il faut la reconnaître et la corriger.

Quand un peuple sans voie vit sous le seuil de la pauvreté depuis plusieurs générations, qu’il est dominé par des régimes dictatoriaux avec la passivité de la communauté internationale, il n’est pas étonnant qu’il se tourne vers la violence et la terreur.

L’harmonie est impossible tant que 80 % des richesses du monde seront entre les mains de 1% de la population.

Comment combattre le terrorisme alors que des millions de personnes meurent chaque année, faute d’eau potable et d’hygiène ? Il faut d’abord combattre l’injustice pour que diminuent la violence et la terreur.

La mondialisation sera positive si elle apporte une diminution de la pauvreté et des inégalités.

L’écoute téléphonique et l’espionnage des courriels des citoyens, la maltraitance et l’expulsion des immigrés, le mépris de la religion et des races non occidentales ne feront pas non plus diminuer la violence et la terreur.

Ni l’Occident, ni les régimes islamistes non démocratiques n’ont le droit d’instrumentaliser l’islam.

Les pays occidentaux n’ont surtout pas le droit d’instrumentaliser et d’exploiter la démocratie et les droits de l’homme comme justificatifs pour attaquer un pays. La démocratie n’est pas une marchandise exportable. Elle n’est pas un cadeau qu’on peut offrir. On ne peut pas apporter la démocratie avec des bombardements.

Chaque action violente a été suivie de réactions encore plus violentes après le 11 septembre 2001. Les États-Unis ont fait de la lutte contre le terrorisme l’enjeu majeur. Or celui-ci n’a pas diminué. Pour vivre dans un monde de paix et de sérénité, il faut être contre toute forme de violence.

Shirin Ebadi sait qu’elle cultive une utopie dans un monde en crise, mais elle croit que l’utopie fait avancer l’immunité. Il faut être utopiste dans nos pensées, mais réalistes dans nos actes.

À une remarque de l’auditoire concernant la place des femmes dans l’islam, Ebadi a répliqué qu’il y a différents points de vue et différentes interprétations possibles, tout comme dans la chrétienté. Une interprétation plus égalitaire est tout à fait compatible avec l’islam.

À une autre question portant sur la lapidation des femmes en Iran, elle a parlé du mouvement qui cherche en ce moment à recueillir, en Iran même, plus d’un million de signatures de femmes (we-change.org). Le but est de prouver que les femmes iraniennes sont contre les lois discriminatoires et pour l’amélioration de la condition féminine.

Pour Ebadi, la victoire du mouvement féministe ouvre la voie à la démocratie.

Pour visionner en ligne la conférence : Franchir les frontières : l’islam, les droits de la personne et l’Occident. Le lien vidéo est dans le bas de la page.

In the name of the God of Creation and Wisdom.( Nobel prize 2003. Shirin Ebadi.)


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