Les pommes et leurs trognons

par C’est Nabum
mercredi 15 mai 2024

 

Le pommier rancunier

 

Il advint qu'un pommier couvert de fruits écarlates eut la curieuse idée de convier belettes, hermines et fouines à venir rejoindre les merles pour se rassasier de ses pommes. L'arbre avait un contentieux avec le propriétaire du terrain sur lequel il fructifiait tout à loisir. L'homme, d'une rare prétention, prétendait être aussi possesseur de l'arbre et cela coulait sous le sens, selon ce personnage, de ses fruits.

Le pommier était là bien avant lui, ne lui devait rien et n'avait nuls remerciements à devoir à ce jean-foutre qui enfant avait osé mettre une balançoire sur l'une de ses branches. Il en gardait une profonde blessure et un ressentiment irréfragable contre ce personnage. C'est pourquoi, cette année-là, alors que jamais il n'avait produit tant de fruits et d'une si belle qualité, il entendait ne rien laisser à ce cuistre.

Mais faire venir en son ramage des animaux qui pour gourmands qu'ils soient n'ont pas le pied arboricole, ne fut pas une mince affaire. Le poids de ses fruits faisait bien pencher dangereusement ses grosses branches mais pas au point de servir d'escalator pour ses futurs convives. Son sens de l'hospitalité réclamait une solution pratique pour leur permettre de se mettre à table.

L'échelle qu'empruntait le méchant homme était bien posée contre son tronc sans pour autant offrir une rampe d'accès acceptable pour ses petits mammifères. L'espace entre les barreaux était un obstacle infranchissable pour eux. Il fallait envisager une solution ad-hoc comme aurait prétendu un capitaine bien connu.

C'est justement la lecture de « On a marché sur la Lune ! » qui lui instilla dans sa sève l'idée de la sustentation. Si la chose n'est pas évidente pour un esprit humain, ce raisonnement coulait sous le signe du bon sens pour un pommier normand. Le détail est d'importance pour un arbre qui avait toujours été fier du cidre issu de sa production.

L'envol de ses futurs commensaux nécessitait un tremplin, ce qui pouvait se trouver dans le capharnaüm de la cabane du jardin. Il convenait de trouver un point d'appui et surtout un contre poids de nature à projeter en l'air celui qui se trouvait au bout de la planche. Les lois de la physique n’avaient aucun secret pour ce pommier qui n'était pas né de la dernière pluie normande.

Souci de taille pour lui, quoiqu'il fût toujours fier de ses racines, celles-ci consistaient un frein rédhibitoire pour déplacer tout l'attirail indispensable à son projet. Quant à trouver un propulseur pour sauter à pieds joints sur l'autre moitié de la planche, il ne voyait pas à qui confier ce saut éminemment périlleux.

Les gamins de l'école, toujours prompts à venir lui rendre visite en dépit des menaces et des cris du bonhomme, se mirent à son service après qu'il leur eut expliqué son projet. Les enfants mourraient d'envie de jouer eux aussi un vilain tour à ce propriétaire atrabilaire quitte à se priver d'une partie de la récolte. Ils placèrent sous les conseils du pommier qui, ce jour-là, leur donna une belle leçon de mécanique, la planche et son support.

Belettes et fouines acceptèrent sans broncher de venir pour ce saut périlleux. L'hermine blanche de peur et ayant le vertige, se refusa à ce vol spectaculaire. Un à un les petits mammifères furent projetés dans les branches par des enfants qui se délectaient d'un tel spectacle. Les voltigeurs se rattrapant tant bien que mal aux branches avant de se mettre à ronger les délicieux fruits.

Ce fut un moment curieux que ces animaux malhabiles en hauteur qui avaient pour mission de donner deux ou trois coups de dents dans chaque pomme de manière à ne présenter dans l'arbre rancunier que des trognons pour montrer son mécontentement, c'est du moins ainsi que le pommier espérait se faire comprendre de son propriétaire.

L'opération effectuée, les gamins rangèrent le matériel non sans avoir récupéré au vol les petits rongeurs rassasiés et heureux, eux aussi du vilain tour qu'ils venaient de jouer à un individu dont les chiens ne cessaient jamais de les tourmenter. Chacun semble-t-il dans le pays avait une dent contre cet homme de fort mauvaise compagnie.

Tous donc guettèrent sa venue dans la prairie où trônait en majesté le pommier. Les gamins derrière la cabane, les animaux au seuil de leurs terriers et l'arbre, bien ancré dans ses racines. Quand l'homme arriva avec à son bras un panier d'osier, ayant l'intention de cueillir quelques pommes, il constata avec étonnement ce qui s'était passé.

Il entra dans une colère noire. Ses cris et ses injures furent pour les témoins de la scène une récompense dont ils se délectèrent un temps. Mais la suite fut bien moins délectable puisque le furieux, dans un mouvement inconsidéré alla quérir dans sa cabane une tronçonneuse pour scier le pommier qui d'après lui avait contracté une maladie.

Les gamins eurent beau surgir de derrière leur cachette, les animaux de leurs terriers pour faire diversion et détourner l'assassin sylvestre, rien ne perturba l'homme dans son projet funeste. L'arbre chut en une longue plainte qui déchira le cœur de tous ceux qui assistèrent à cette exécution capitale. Seul le bûcheron d'occasion se réjouit d'un forfait dont rien ne justifiait hélas sa réalisation.

L'arbre fut débité et ironie du sort, le jardinier qui était quelque peu bricoleur laissa sécher des planches ayant le dessein de faire un portique pour ses petits enfants qui étaient si trognons. Dans son malheur, le pommier pensa amèrement que dans cette histoire, le destin s'était fichu de sa poire.

Puis le temps passa, il se réjouit de son nouvel usage, les petits enfants du méchant homme étant charmants. Seul regret pour lui, il ne fait plus jamais de pommes. Voilà ce qui advint à qui entend se venger sans que du reste, les raisons en soient véritablement valables. Quant à l'auteur de cette sornette, il continue de balancer entre la fable et le conte moral, sur un ordinateur marqué décoré d'une pomme entamée, qui explique sans nul doute, l'origine de cette histoire abracadabrantesque.

Tableaux de Berthe Morisot


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