La côte sauvage...
par C’est Nabum
mercredi 29 octobre 2014
Le regard déformé du Bonimenteur
La grande baie de La Baule propose sa litanie d'hôtels et d'appartements luxueux. La plage pour unique façade, des kilomètres de sable et des constructions qui se bousculent pour avoir l'imprenable vue sur la mer. L'homme a marqué son empreinte sur le paysage : une marque sans âme et sans histoire. Seul le prix du mètre carré mène la danse des promoteurs.
À quelques pas de là, un autre monde s'impose au promeneur, à celui qui ose sortir des sentiers balisés du balnéaire sans risque ni sueur. La côte sauvage apporte son décor grandiose même si elle n'a pas échappé aux constructions individuelles qui viennent briser l'harmonie du décor. Pourtant, ici, l'humain n'a pas tout abîmé ; il y a encore la place pour le légendaire et le fabuleux.
Dés que la nature se met en tête de torturer le paysage et les habitants, dès que le vent bat le rivage, que les rochers découpent le littoral, que les contours et les détours de la côte mettent le contrebandier à l'abri des mauvaises surprises, l'histoire reprend le dessus, efface l'amnésie qui caractérise les cités à touristes.
Chaque lieu porte une légende, un récit, une aventure. Les conteurs ont enchanté le paysage ; ils l'ont plié à leur envie de broder autour d'un fait divers, d'un naufrage, d'une épopée historique ou personnelle . Les mots se sont gravés dans le granit, ont participé à la grandeur et à la magnificence du lieu.
Le promeneur qui prend alors le temps de lire les petits panneaux, va cheminer en pays d'imaginaire. Il s'arrêtera à ce menhir à la forme oblongue, vieux de 45 000 ans et qui servait de repère dans ce décor tourmenté. Il a bien subi quelques outrages, un déplacement intempestif, la gravure d'une croix pour lui attribuer une dimension acceptable …
Mais l'univers païen s'impose à tous : les demoiselles venaient s'y frotter, escaladant ce grand phallus dressé fièrement, dans l'espoir de rompre avec la malédiction d'une stérilité qui les tourmentait. On trouve naturellement de telles histoires en bien des lieux ; c'est toujours ainsi que l'esprit malin nous tire par les mauvaises pensées !
Plus loin c'est l'Ankou qui a laissé des traces dans l'inconscient. Un équipage disparu en mer, des spectres qui reviennent certains soirs de l'année, des rumeurs et des plaintes dans la nuit, des tourbillons dans l'eau et la sourde présence de la camarde qui vient faucher ceux qui se risquent dans les tempêtes. Partout sur les façades, des Vierges et des croix pour conjurer le sort et repousser le vilain.
Ici, c'est l'histoire qui s'invite dans les eaux profondes. L'histoire d'un jeune garçon et de sa belle, disparus dans les flots à bord d'une barque alors qu'ils voulaient échapper à leurs familles hostiles à leur union. La mer pour sacrement d'amour, la mort pour unir à jamais leurs destinés. Éternelle histoire qui se retrouve partout où la nature impose le respect à ces pauvres humains que nous sommes …
Les fées accompagnent ma promenade. Elles me poursuivent de leurs rires enchanteurs. Elles sont cachées dans les bruyères, elles habitent au plus secret des rochers. Elles me font signe, m'appellent et m'invitent à leur Sabbat. Les citrouilles seront de la danse ; nous entrons dans le mois de Samonios. La côte sauvage est là pour célébrer les mystères de la vie et de la mort.
Vérités et mensonges, miracles et exploits héroïques. Plus la côte se fragmente, plus elle cède sous les assauts des vagues et plus elle porte des exploits mirifiques. Un dragon tué par un futur saint, un sanctuaire bâti l'espace d'une nuit, un massacre vengeur perpétré par un roi ou bien un prince jaloux. La longue litanie des horreurs et des grandes actions vient s'incruster dans les dentelles de rochers.
La côte sauvage est un livre fantastique et je me plais à la lire et à la déchiffrer, à m'inventer de nouvelles aventures. C'est une invitation au songe, un plongeon dans l'inconscient collectif. La Bretagne s'annonce déjà, la culture celte me prend par l'imagination. La mer berce mes rêveries ; je suis en pays de contes. Je m'y sens chez moi …
Rêveusement sien.