Le souffle d’un pape : Hommage à François, passeur de miséricorde
par Yves Guéchi
mercredi 23 avril 2025
Le lundi de Pâques 2025, alors que les chrétiens fêtaient la lumière du Ressuscité, le monde apprenait la disparition du pape François. Premier pontife issu d’Amérique latine, prophète de la tendresse et apôtre des périphéries, il a marqué son temps par une parole libre et un cœur tourné vers les plus fragiles. Retour sur l’itinéraire singulier d’un homme qui a voulu, humblement, réconcilier l’Église avec l’Évangile.
Le Lundi de Pâques 2025 s’est levé dans un silence étrange, alourdi par la nouvelle de la disparition du pape François. Le jour même où les chrétiens célèbrent la résurrection, l’Église a vu s’éteindre celui qui, pendant douze ans, en fut la conscience vive et le cœur battant. Jorge Mario Bergoglio, devenu François, n’a jamais cessé de nous rappeler que la foi, quand elle n’est pas amour, n’est que dogme vidé de son âme.
Né dans un quartier populaire de Buenos Aires, issu d’une famille d’immigrés italiens, le jeune Jorge a très tôt été marqué par la simplicité des gens humbles et par le souffle d’une Église proche des pauvres. De cette enfance enracinée dans la rue, il gardera toujours un goût pour la rencontre, l’odeur des brebis, comme il aimait à dire.
Lorsqu’il fut élu pape en 2013, après la démission inédite de Benoît XVI, le monde catholique attendait un pontife de transition. Il fut, au contraire, un pape de conversion. Conversion de l’Église à sa mission première : le service. Car François n’a cessé de le rappeler : l’Église n’est pas un château fort de certitudes, mais un hôpital de campagne pour les blessés de la vie.
Dès ses premiers gestes — renoncement à la limousine pontificale, installation dans une résidence modeste, lavement des pieds de jeunes détenus le Jeudi Saint — il a imprimé un style, une spiritualité : celle de l'Évangile vécu. Son choix du nom "François" ne fut pas anodin. Il convoquait l’esprit du poverello d’Assise : amour radical de la Création, proximité avec les pauvres, dépouillement.
Une Église en sortie
François a eu l’audace de secouer l’institution. Il a appelé de ses vœux une « Église en sortie », c’est-à-dire tournée vers les périphéries géographiques et existentielles. Il n’a pas redouté de heurter les conservatismes, rappelant avec insistance que la miséricorde devait primer sur la rigueur, que le cœur de Dieu était plus large que nos lois.
Par la réforme de la Curie, il a tenté d’endiguer les dérives de pouvoir. Il a redonné à la parole synodale — ce dialogue entre le pape, les évêques et les fidèles — une place centrale. Il a ouvert des nouveaux chemins pour les divorcés remariés, abordé avec délicatesse la question de l’accueil des personnes LGBTQ+, et demandé pardon pour les abus commis dans l’Église, non seulement en mots, mais en actes.
Un chant pour la Terre
Mais peut-être que son héritage le plus universel reste Laudato Si’, cette encyclique bouleversante sur la sauvegarde de la maison commune. Jamais un texte pontifical n’avait autant résonné bien au-delà du cercle des croyants. Dans une langue accessible et poétique, François y appelait l’humanité à une conversion écologique. Non pas une simple adaptation technique, mais un changement de regard, un changement d’âme.
Il voyait dans la crise climatique le signe d’une crise spirituelle : l’homme moderne s’est cru maître et possesseur de la nature, oubliant qu’il en est le gardien. Dans Fratelli Tutti, il a poursuivi ce sillon : plaidoyer vibrant pour une fraternité universelle, contre les murs, contre les exclusions, pour une culture du dialogue.
Un homme habité
Au-delà des textes, François touchait par sa personne. On l’a vu pleurer, rire, embrasser, trébucher. Il n’était pas un surhomme auréolé de sacralité, mais un homme fragile, habité. On le sentait tendu vers l’essentiel, mais sans jamais renier la complexité humaine. Il savait qu’aucune règle ne remplace la boussole de la conscience éclairée par l’amour.
Sa voix tremblante et ferme à la fois, son espagnol chantant, sa tendresse pour les enfants, les migrants, les prisonniers… tout en lui disait le goût du Royaume, celui que Jésus appelait de ses vœux : un monde où les derniers seront les premiers.
L’héritage d’un prophète
En ce Lundi de Pâques, François a quitté ce monde discrètement, à l’image de son style. Mais il laisse une trace profonde. Il fut, dans l’histoire de la papauté, un prophète plus qu’un monarque, un serviteur plus qu’un chef. Un homme qui, sans jamais édulcorer l’Évangile, a su en dévoiler la lumière la plus tendre.
Son sourire, sa fatigue, sa bonté, restent désormais dans les mémoires. Comme un parfum d’Évangile dans une Église en quête d’âme. Comme un appel à poursuivre ce qu’il a commencé : une réforme du cœur.
Et peut-être que, dans ce silence pascal, il nous chuchote encore ces mots qu’il aimait tant : « N’ayez pas peur de la tendresse. »