Au cœur de la vallée de l’homme – 2 -
par C’est Nabum
vendredi 9 août 2013
La petite histoire de la Grande !
La grotte magnifique.
Bernard ne cesse de revenir à la grotte de Lascaux. Dépit amoureux, regret de voir transformer ce trésor en piège à touristes, envie de défendre un peu mieux cette belle histoire ? Je ne sais, il y a dans ses yeux comme un voile quand il évoque avec ironie l'aventure du Lascaux III, le globe trotter qui fait le tour du Monde avec ces différents blocs, reproductions factices de sa merveille …
Il est plus dubitatif encore quand il annonce la venue au monde d'un monstre à pognon, d'un gouffre artificiel, le Lascaux IV qui va engloutir les deniers publics et les investissements privés. Nous sommes bien loin de la taverne originelle, de ce trésor désormais interdit à toute intrusion. Pourtant, quand Bernard évoque sa dernière visite, il a des perles dans les yeux !
« Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui. J'avais rendu visite à Jacques Marsal, l'un des quatre découvreurs (on dit inventeur) de la grotte le 12 septembre 1940. Il était atteint d'un cancer et savait ses jours comptés. Il m'a dit « Bernard, je te propose de visiter une dernière fois notre grotte, après, ça sera à jamais fini ! ». Je n'ai pas refusé pareille offre, vous pouvez l'imaginer.
La veille au soir, il avait fait un orage terrible. Il avait beaucoup plu. Comme nous nous sommes retrouvés seuls sous la terre, nous découvrîmes un spectacle féérique. On a souvent comparé Lascaux à la Chapelle Sixtine, ce jour-là, il y avait de quoi. Les parois étaient humides, les couleurs ressortaient, comme si elles avaient été peintes il y a quelques jours. C'était au-delà du descriptible. Un coup de poing au cœur ! Les rouges étaient d'une violence inouïe … »
Ainsi, Bernard ne cessait d'évoquer cette ultime visite, en 1988. Il ne pouvait oublier et en comparaison, les copies qu'on propose aux curieux lui semblent si fades qu'il ne veut plus en entendre parler. Il préfère tourner la page de ses années de guide puis de responsable de la maintenance technique de Lascaux II. Il veut retourner à son cher Moyen-Âge périgourdain.
Nous faisons alors le tour en paroles de plusieurs châteaux du coin. Ils sont souvent privés, Bernard enrage à nouveau. Il me raconte Castelnaud près de La Chapelle, Marqueyssac qui se dresse juste en face, Fayrac, une forteresse, La Coste, une demeure de la Renaissance et enfin le château de Joséphine Becker : Milandes. Il est intarissable.
Je veux en savoir plus sur sa rivière, la Vézère. Il a bien du mal à se détacher des vieilles pierres. Il finit enfin par satisfaire ma curiosité de marinier. Il fait naturellement un détour par la guerre de cent ans, on ne peut troquer une passion contre une autre.
« Sur la Vézère, il n'y avait qu'un pont de pierre à Terrasson. Ensuite, plus rien jusqu'à Bergerac. Les Anglais étaient sur une rive, les Francs sur l'autre. À Montignac, un pont de bois était dressé sur 4 piles en pierre. Souvent il allait dans les flots quand la rivière se mettait en colère. Moi, je me souviens de la crue de 1960. La Vézère avait atteint la cote de 11 mètres, une vraie folie.
Pensez qu'ici, dans ce bar, nous avions de l'eau jusqu'au comptoir, c'est vous dire ! Sur l'une des piles, François Premier avait fait graver son blason lors d'une des nombreuses reconstructions. Notre rivière aussi est sauvage. Quant à la batellerie, je n'en sais pas grand chose. Il y a peu d'écrits sur ce commerce qui a pourtant existé fort longtemps.
Des petits bateaux de bois descendaient du plateau des Mille vaches. Ils apportaient du charbon et du bois des alentours de Brive pour faire des tonneaux du côté du Bordeaux. C'étaient des bateaux d'avalaison, ils ne faisaient que la descente puis étaient dépecés. Il y avait bien des Gabarres qui remontaient la rivière. Mais ils n'allaient guère après Bergerac. Le commerce se faisait en étapes. Des petits bateaux prenaient le relais pour venir jusqu'à Montignac et plus haut encore. Ils apportaient du sel et bien d'autres marchandises. On voit encore les quais au pied du pont actuel.
Sur la Vézère, il y avait des passeurs quand les eaux étaient trop hautes. On en trouvait dans tous les villages sans pont. À Montignac, chaque fois que le pont se retrouvait au fond, une barque prenait le relais pour continuer la liaison. Il y avait naturellement un octroi pour franchir le cours d'eau et un péage sur la Vézère. Je n'ai jamais trouvé d'indications précises à ce sujet lors de mes recherches aux archives. »
Il me fallait partir. Je laissais Bernard et Thierry. J'y serais encore si je n'avais eu d'autres engagements. Si vous voulez en savoir plus, passez donc « Au Comptoir » à Montignac. Bernard sera assis au coin du comptoir. Vous lui offrez un Perrier et vous en aurez pour votre argent. Il est un puits de science !
Préhistoriquement sien.