Fou à lier

par C’est Nabum
mercredi 8 juin 2022

 

Un contrat de dupe !

 

Depuis que l'on me prétend fou à lier, j'ai cherché bien des moyens d'échapper à l'anathème afin de me libérer d'une assertion qui entravait ma liberté tout en faisant peser sur ma personne un soupçon de nature à m'enfermer dans un rôle. Je cherchais maints expédients pour me libérer de cette tâche.

C'est alors que je vis la curieuse annonce d'un ancien attaché parlementaire désireux de larguer les amarres, de fuir la logique partisane qui aliène tous ceux qui pratiquent ce jeu de dupe qu'on nomme la politique. L'homme du reste m'expliqua qu'inféoder sans cesse son opinion et ses paroles à une pensée pyramidale qui ne tolère aucune interprétation ni aucune sensibilité personnelle, avait totalement entravé sa personnalité. Las de traîner un boulet qui se contentait de répéter en boucle la parole officielle, l'homme voulut s'émanciper, lâcher une bride qui le tenait trop court.

Il avait besoin de trouver un travail en rapport avec ses compétences accumulées lors de son expérience d'attaché. Il prit le contre-pied de sa précédente fonction, se proposant de devenir détachant professionnel. Il imaginait bien naïvement, sans doute, qu'il créait ainsi un nouveau concept, une activité pour repartir du bon pied dans une existence, marquée jusqu'alors par une attache trop pesante.

Il s'imaginait trouver des clients qui cherchaient à agir pour briser une liaison tumultueuse, une amitié basée depuis trop longtemps sur des faux semblants et des hypocrisies, une relation commerciale qui perdurait par habitude sans que les deux parties en tirent désormais bénéfice, un engagement associatif ou politique ancré dans la tradition et qui n'avait plus aucun sens.

Il avait ainsi établi une longue liste qu'il avait soigneusement rangé sans ??? attaché-case, un geste réflexe qui prouvait malgré tout qu'il n'était pas tout à fait prêt encore à rompre des amarres de son activité précédente. Un bon détachant ne doit en aucune façon s'attacher à des éléments matériels qui l'asservissent et le rendent esclave.

C'est donc moi, son premier client qui lui conseillait vivement de jeter tous les oripeaux de son existence précédente à commencer, naturellement par son IPhone dernière génération. Se détacher suppose tout d'abord de se déconnecter, puis de rompre avec toutes les entraves artificielles tout autant que factices. Le big data étant le grand esclavagiste du monde moderne.

Mon détachant me fixa intensément dans les yeux. J'ai cru voir passer une interrogation, une pensée désagréable. J'ai compris qu'il me prit dans l'instant pour un cas désespéré, un être sans attache et pourtant fou à lier et même à enfermer dans un centre de rééducation économique et idéologique. Dès sa première mission, le détachant faisait tache, rompant avec son grand dessein pour redevenir un collaborateur de la société de l'enfermement numérique.

Je rompis le contrat qui me liait à mon détachant. Dès cette signature contrainte, j'aurais dû me rendre compte qu'il y avait là une contradiction manifeste qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille. C'est d'ailleurs lui qui en avait une, greffée précisément à cet endroit. Il était totalement aliéné, inféodé au pouvoir qu'il venait de quitter. Ce détachant n'avait rien d'attachant pour un libertaire qui entendait le rester.

Nous nous séparâmes sans regret. Lui, convaincu désormais que sa place était dans le grand troupeau des moutons communicants la parole sacrée du maître, se prosterna devant lui, demanda pardon, implora sa réintégration dans cette vaste entreprise de lobotomisation des esprits. Il ne fut pas réintégré dans sa mission précédente mais trouva une fonction en rapport avec ses compétences. Il travaille dans une grande chaîne d'information télévisuelle.

Finalement, il n'attache plus ni ne détache. Il se contente de laver plus blanc, d'effacer toute trace d'intelligence et de culture dans son propos, de leur faire des nœuds au cerveau. Bien que fou à lier pour ces gens-là, je laisse ma langue se délier afin de vous confier mon expérience et vous mettre en garde. Peut-être que vous aussi, un jour, oserez rompre les ponts avec ces suppôts de l'aliénation.

À contre-lien.


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