La Ligue des Champions tue-t-elle les championnats ? (Episode 3 - Aigle Bicéphal, Marathon Européen et Strapontins)

par Axel_Borg
jeudi 8 novembre 2018

Certains ont à un moment pensé que la Ligue des Champions était un embryon d’une ligue européenne fermée réservée à l’élite de feu le G14, ou encore qu’elle allait phagocyter les championnats nationaux ... Rien de tout cela n’est arrivé mais force est de constater que les ligues européennes ont perdu de leur superbe ... Car tel le dieu romain Janus, la Ligue des Champions a deux visages, l’un sublime, celui d’un niveau de jeu exceptionnel souvent atteint dans le dernier carré, l’autre néfaste qui a déteint sur l’ensemble du Vieux Continent soumis au lobby de l’European Club Association ... Mais le Léviathan UEFA, au lieu de faire son aggiornamento, ne cesse de renforcer le caractère darwinien d’une épreuve qui ne cesse de perdre sa crédibilité, puisque seulement intéressante à partir du printemps, l’automne et l’hiver étant aussi sinistres que dans les célèbres portraits des quatre saisons d’Arcimboldo ... Mais combien de temps encore le château de cartes va-t-il tenir avant de s’effondrer ?

Espagne, une péninsule à l’aigle bicéphal

Entre 1981 et 1984, le football espagnol subit la férule de deux clubs basques, la Real Sociedad (championne en 1981 et 1982) puis son voisin l’Athletic Bilbao (sacré en 1983 et 1984). De 1985 à 2018, soit 34 saisons de Liga, le Barça et le Real Madrid ont remis les pendules à l’heure : 16 titres pour le FC Barcelone, 13 couronnes domestiques pour le Real Madrid … Blaugranas et Merengues n’ont laissé que des miettes à la concurrence, soit 5 titres : 2 pour l’Atletico Madrid (1996 et 2014), 2 pour Valence (2002 et 2004) et 1 pour le Deportivo La Corogne (2000).

Depuis 2005, la Liga nous livrait un duel Real - Barça pour le titre, complètement fermé à une potentielle troisième force ... Valence, Séville, Villarreal, Atletico, tous ont mordu la poussière face aux deux géants d’Espagne. Le gouffre entre le dauphin et le troisième atteignait même des proportions colossales depuis la saison 2009-2010. Pour tout autre club que Barcelone ou le Real, briguer le titre de champion d’Espagne était devenu utopique, avant que l'Atletico Madrid ne sonne le réveil lors d'une saison 2013-2014 euphorique où les David Villa, Thibaut Courtois, Koke et autres Diego Costa, en gagnant la Liga, ont fait mieux que résister aux Blaugranas et autres Merengue !

De 8 points, proportion raisonnable en 2009 entre le Real Madrid 2e et le FC Séville 3e de Liga, on est passés en 2010 à un écart proprement hallucinant de 25 points entre le Real Madrid, nanti de 96 points et dauphin du Barça (champion avec 99 points), et Valence, 3e avec 71 points et premier des figurants.

En 2011, la tendance s’est confirmée avec 21 points d’écart entre le Real Madrid, 2e avec 92 points (Barcelone champion avec 96 points), et Valence, 3e avec 71 points au compteur.

En 2012, le Real Madrid est champion d'Espagne avec 100 points, le FC Barcelone deuxième de Liga avec 91 points, Valence troisième à 30 points du Barça et 39 points du Real, avec seulement 61 points.

En 2013, le FC Barcelone est champion avec 100 points, le Real Madrid son dauphin termine à 15 unités avec 85 points, et l'Atletico Madrid à 24 unités du Barça et à 9 unités du Real avec 76 points.

En 2014, l'Atletico Madrid devient le premier club depuis Valence en 2004 à briser la domination de l'aigle bicéphale du football espagnol, Barcelone (2005, 2006, 2009, 2010, 2011, 2013 avant 2015, 2016 et 2018) et Real Madrid (2007, 2008, 2012 avant 2017)

Seuls au monde avant que Diego Simeone et les Colchoneros ne trouvent l'antidote à l'hégémonie de l'aigle bicéphal, Merengues et Blaugranas ont atomisé la concurrence, bénéficiant d’effectifs pléthoriques et de la politique élitiste de la ligue espagnole. La poule aux œufs d’or sert les intérêts des Madrilènes comme des Catalans. Assurés par leur force monumentale d’être qualifiés en Ligue des Champions, les deux titans sont entrés dans un cercle vertueux ... Une précieuse manne d’or venant de Nyon leur est versée chaque année ... Mais la Liga a longtemps été un mirage pour le Real Madrid. En 2009 et 2010, alors que le Barça survolait l’Europe et la Liga, le Real Madrid tombait piteusement en huitièmes de finale de la C1, éliminé par Liverpool et Lyon ... L’élimination face aux Gones constituait la sixième consécutive depuis 2005 à ce stade de la compétition.

Certes, l’UEFA et sa Ligue des Champions ne sont pas le péché originel du paysage actuel du football espagnol, mais ils ont contribué à aggraver le contexte, Real et Barça s’engraissant chaque année un peu plus par leurs parcours continentaux ...

 - Le marathon européen

Si l’on se réfère à la légende du marathon, il n’est guère surprenant qu’avant le Real Madrid de coach Zidane et de Cristiano Ronaldo titré en 2016, 2017 puis en 2018, personne n’ait gagné la Ligue des Champions deux années de suite depuis sa création en 1992-1993 (en Coupe des Champions, le dernier doublé date de 1989-1990, exploit réalisé par l’AC Milan d’Arrigo Sacchi)

Le terme marathon désigne la bataille antique de Marathon … Philippidès, un messager grec, aurait couru de Marathon à Athènes, distance d'environ 40 kilomètres, pour annoncer la victoire contre les Perses à l’issue de la bataille de Marathon lors de la première guerre médique en -490 avant Jésus Christ. Arrivé à bout de souffle sur l’Aréopage, il y serait mort après avoir délivré son message.

La distance est de 42.195 kilomètres depuis 1908 (distance entre Windsor et Londres à l’occasion des Jeux Olympiques d’été de Londres). La distance est fixée à 26 miles terrestres. Mais la fantaisie va faire valoir ses droits : la course doit partir de la pelouse du château de Windsor pour faire plaisir aux enfants de la famille royale, qui veulent assister au départ des concurrents (une douzaine). Mais on décide au dernier moment que l'arrivée doit se faire au White City Stadium, devant la loge royale où le roi d’Angleterre Édouard VII est présent. De ce fait, la distance ne tombe plus juste. Elle sera alors fixée à 26 miles et 385 yards, soit 42,195 km.

Bref, le marathon, c’est 40 kilomètres d’échauffement et 2 kilomètres de course. La Ligue des Champions, c’est pareil, la vraie compétition ne débute qu’en avril au stade des quarts de finale …

Saint-Denis 2000, Milan 2001, Glasgow 2002, Manchester 2003. Quatre villes pour autant de marathons. Faut-il le rappeler, l’AC Milan sacré champion d’Europe pour la sixième fois en 2003, a disputé 19 matches en 2002-2003 pour conquérir le sceptre ... Record du genre.

Parcours Européen de l’AC Milan en 2003 :

Bref, un nombre de matches à vous donner le vertige ! Mais pour le Real Madrid en 2000 et 2002, ou le Bayern Munich en 2001, le quota de matches était « juste » de 17 …

Vainqueur ou finaliste à toutes les époques de la Ligue des Champions (1993-1997 avant l’arrivée des dauphins, 1998-2003 avec les dauphins et doubles phases de poules, 2003-2018 avec les huitièmes de finales), l’AC Milan est le témoin idéal pour vérifier l’évolution du nombre de matches.

Parcours Européen de l’AC Milan en 1989 (11 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 1990 (11 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 1993 (11 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 1994 (10 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 1995 (11 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 2005 (13 matches) :

Parcours Européen de l’AC Milan en 2007 (15 matches) :

Pour accomplir de tels travaux d’Hercule (douze dans la mythologie grecque, du Lion de Némée à la capture de Cerbère aux Enfers) ou un tel chemin de croix (quatorze stations de la Passion du Christ, du jardin de Gethsémani sur le Mont des Oliviers au moment de l’arrestation au Golgotha au moment de la crucifixion), mieux vaut une réelle profondeur de banc, et donc concrètement doubler voire tripler les postes.

Pour avoir ignoré superbement cette règle d’or, le Real Madrid et ses Galactiques sont tombés de Charybde en Scylla au printemps 2004. A bout de forces physiquement, l’orchestre des virtuoses, du premier violon Ronaldo au chef d’orchestre Zidane, a vu sa belle partition se muer en requiem. Eliminés par Monaco en C1, dépassés par Valence en Liga, les Merengue avaient sombré corps et âme ...

Malgré le turnover effectué chaque week-end depuis des années par les Ferguson, Guardiola, Capello, Mourinho, Hitzfeld, Lippi, Klopp, Ancelotti et autres Wenger pour préserver au mieux leurs intérêts en championnat, force est de constater que les matches suivant une rencontre de Ligue des Champions sont plus souvent que les autres propices à une perte de points de la part des grands clubs européens.

L’incomparable intensité mentale et physique d’un combat de Ligue des Champions, digne des batailles de gladiateurs de la Rome Antique, ne laisse pas indemne. Vae Victis ... mais même le vainqueur y perd des plumes, et souvent des points le week-end suivant lorsqu’il fait son retour sur la scène nationale face à un rival plus frais et n’ayant pas l’inconvénient d’avoir laissé un énorme influx nerveux le mercredi soir ...

 - Un trône et des strapontins

Jadis, il n’existait que deux moyens d’aller en Coupe des Champions. Si on était le tenant du titre, le conserver. Sinon, remporter son championnat national. Désormais, la perspective d’une qualification en C1 est moins fantaisiste, en tout cas en ce qui concerne les grands pays (Espagne, Angleterre, Italie, Allemagne et France) dont les championnats ont de multiples places réservées.

Du haut de leur tour d’ivoire, les grands clubs alignent les participations successives, étant presque certains de terminer sur le podium. La glorieuse incertitude du sport a vécu dans certains championnats. Le cercle vertueux les maintient dans l’élite de leur championnat de façon pérenne.
Ainsi, Manchester United a terminé 22 fois consécutivement sur le podium du championnat d’Angleterre entre 1992 et 2013 (13 fois champion en 1993, 1994, 1996, 1997, 1999, 2000, 2001, 2003, 2007, 2008, 2009, 2011, 2013, 6 fois deuxième en 1992, 1995, 1998, 2006, 2010, 2012, et 3 fois troisième en 2002, 2004, 2005). Chapeau bas à Ferguson qui termine 13 fois sur la plus haute marche, là où il aurait pu se contenter benoîtement de 3 ou 4 titres, avant de mettre le frein à main sur son île.

Eliminé lors de la phase de poules de la Ligue des Champions 2011/2012 à la surprise générale (3e de sa poule derrière le Benfica Lisbonne et le FC Bâle), l’ancien manager de Manchester United avait alors vécu ce reversement en Europa League comme une punition. Ce qui avait valu une première fracture entre Michel Platini, alors président de l’UEFA, et le football anglais : Le monde ne tourne pas autour de l’Angleterre. Le club mancunien, alors à la lutte pour le titre avec son voisin et rival honni de City, avait été sorti dès les huitièmes de finale de C3 face à l’Athletic Bilbao (2-3, 1-2) d’un certain Marcelo Bielsa, avant de laisser filer le titre national aux Skyblues dans la dernière ligne droite en mai 2012 (MU étant toujours virtuellement champion d’Angleterre à la 89e minute de jeu).

A quoi bon se battre jusqu’à la dernière goutte de sueur pour le titre de champion ? Le prestige ? La satisfaction de dépoussiérer l’armoire à trophées ? L’essence même de la compétition ?

Pour certains coaches, amoureux viscéraux de la compétition et de son inséparable adrénaline, nul doute qu’un Scudetto, qu’une Liga, qu’une Premier League, qu’une Bundesliga a toujours la même saveur du devoir accompli, de la pépite d’or trouvée dans la rivière ...

Sir Alex Ferguson, même avoir après avoir délogé Liverpool de son perchoir, écoeuré Arsenal et Chelsea, continuait de trépigner d’impatience comme un gamin à chaque intersaison, ne rêvant que d’une chose, repousser l’inexorable érosion du temps. A l’été 2011, ne déclarait-il pas vouloir déboulonner l’idole de son trône, le Barça de Pep Guardiola, deux fois son bourreau devant l’Europe entière, en 2009 à Rome, en 2011 à Londres. La revanche de Wembley a tourné au camouflet, Fergie n’aura donc pas eu de belle face à l’ogre catalan, ce dernier ayant mordu la poussière au printemps 2013 contre le Bayern ... A Carrington, la priorité n'est plus de retrouver le Barça ou quiconque autre monstre européen en finale de C1 mais de pérenniser l'âge d'or que fut la longue ère Ferguson (1986-2013), le poids de l'héritage étant si lourd pour David Moyes. Fergie avait nettoyé les écuries d'Augias en 1986, Moyes n’a lui pas eu le temps d’accomplir le travail suivant d'Hercule, cueillir les pommes d'or du jardin des Hespérides. Rappelons nous que dans la légende Atlas avait laissé quelques minutes à Hercule le soin de porter la voûte céleste.

La combativité d'un Ferguson ne se retrouve pas chez tous les entraîneurs, même si Jose Mourinho, Diego Simeone ou Pep Guardiola font indéniablement partie de cette catégorie de gagneurs nés, ces tribuns de vestiaires capables de changer la destinée d’un match, d’une finale à la mi-temps ... Et de faire remonter onze boxeurs sur un ring vert, prêts à en découdre jusqu’à la mort ! Tous ne sont pas faits de la même écorce, extraits du bois si rare qui fait les champions.

D’autres se contentent de confortables accessits ... Le livret A du père de famille pour accéder au parc d’attractions, l’Eurodisney du football, quand d’autres continuent d’étaler panache, goût du risque et spéculation sur l’avenir pour parvenir à leurs fins, la quête du Graal ...

Ainsi, Arsenal et son coach légendaire Arsène Wenger, à la politique risco-phobe, ont longtemps profite du carré de places offert à la Perfide Albion ... Harpagon sur l’échiquier européen, Arsenal et son Emirates Stadium rentrent bredouille de toutes leurs campagnes nationales depuis 2006 (exception faite de trois victoires en FA Cup en 2014, 2015 et 2017), sans pour autant décrocher la Lune. Dominer l’Europe, vieux rêve de tant de leaders politiques du passé, de Charlemagne à Hitler en passant par Charles Quint ou Napoléon, ne s’offre pas à ceux qui attendent que la pomme d’or tombe des arbres du jardin des Hespérides.

Qu’Arsène l’épicier, il faut forcer la porte du jardin à la voiture bélier, et y réaliser un coup digne d’Albert Spaggiari, auteur du casse de siècle à la Société Générale de Nice en 1976 (via les égouts de la ville, depuis le fleuve Paillon), ou de Ronald Biggs, le cerveau du gang du train postal Glasgow – Londres en 1963 ... Wenger a cependant mis de l'eau dans son vin. Si la perte successive des Vieira (2005), Bergkamp et Pires (2006), Henry (2007), Flamini (2008), Fabregas et Nasri (2011) et Van Persie (2012) a constamment affaibli les Gunners, les recrutements de Mesut Ozil en 2013, Alexis Sanchez en 2015 et Petr Cech en 2016 et de Pierre-Emerick Aubameyang à l’hiver 2017-2018 montrent (enfin) une inflexion de la politique du club le plus septentrional de Londres. Wenger quitte ensuite le navire, remplacé par Unaï Emery, congédié par le PSG, autre loser viscéral en Europe ... L'état d'esprit ne s'achète pas ...

Sinon, la réalité revient tristement comme un boomerang ... Se contenter de la médiocrité n’améliore pas l’avenir, car la chance repasse rarement deux fois à ceux qui ne savent pas la saisir. Qui sera le Blücher d’Arsenal, du nom du général prussien aida Wellington qui à concrétiser la fin des ambitions de Napoléon en 1815 à Waterloo ? 

Barcelone et Rijkaard avaient donné aux Gunners une première banderille en 2006 au Stade de France, reste à savoir qui portera l’estocade, probablement le Bayern Munich de Carlo Ancelotti en mars 2017 (deux fois 5-1 contre Arsenal, à Munich puis à Londres).

Le prestige de certaines ligues nationales s’en trouve parfois diminué, puisque le titre de champion ne garantit plus l’exclusif accès au cénacle européen. Les vassaux peuvent aussi accéder à la plus belle compétition du Vieux Continent, dans laquelle on pénètre comme dans un moulin. A moins que Michel Platini n’endosse son costume de Don Quichotte, le moulin maléfique engendré par l’UEFA va se pérenniser. La Coupe d’Europe vertueuses a vécu son chant du cygne dans les années 90, réduite à l’état de charpie par l’arrêt Bosman qui a renforcé le pouvoir des grands clubs.

A l’agonie, la C1 est désormais un huis clos où se joue régulièrement la même partition, qui sonnera bientôt comme un air de requiem.

La présence récurrente en quarts de finale, depuis 1995 et le retour d’un tableau de quarts pour la première fois depuis 1991, d’une élite de grands clubs européens ne peut qu’interpeller. A l’heure où l’aréopage du G14 a fait long feu, les bastions du football européen répondent presque toujours présents en quarts de finale (sinon mieux) ...

Mais qu’on ne s’y trompe pas, cela n’a rien d’une sélection naturelle à la Darwin, les espèces dominantes ont enfoncé les plus faibles dans les sables mouvants avec la bénédiction de l’UEFA. Ah, Nyon, son lac Léman, sa proximité de la Riviera vaudoise, ses comptes en banque et sa "neutralité suisse".

Bref, les chaises musicales sont pour les autres, les fils de David, car le Goliath 14 et ses rois du pétrole dominent la scène européenne avec l’insolente réussite d’un Rockefeller ... MU, Bayern, Real et Barça, des membres permanents avec droit de veto, ça rappelle un peu New York et le conseil de sécurité de l’ONU, tant leur pouvoir de lobbying est fort ... Mais la foudre de Jupiter n’est pas éternelle, demandez à Liverpool ou à la Juventus, sans même parler de Benfica et d’Ajax, des noms témoins d’un autre temps, Eusebio et Cruyff ont gagné leurs Coupes d’Europe avant le premier choc pétrolier (1973).

Trop de clubs, comme Arsenal, on l’a vu, récoltent le précieux sésame d’une qualification pour la Ligue des Champions sans se rendre maîtres de la bataille nationale. Ainsi l’a voulu l’UEFA depuis 1997, depuis que l’instance de Nyon a franchi le Rubicon, et que l’Europe du football a perdu son charme, son insouciance, sa virginité. Les rois, les dauphins, les ministres et les capitaines de gardes s’affrontent dans les mêmes joutes, puisque l’UEFA leur a offert un cheval de Troie en 1997 pour s’inviter à la cour par la porte de secours. Et plusieurs fois, dauphins, ministres et parfois même capitaines de garde ont imité Montgomery, auteur du régicide en 1559 contre Henri II lors d’un tournoi ...

Pas de réaction des rois face aux dauphins et autres ministres, puisque tout est consanguin dans ce football européen. Le roi est mort, vive le ministre ! Le ministre est mort, vive le roi !

Pourquoi cette révolution est-elle en velours ? N’espérons pas des rois une réaction d’orgueil façon Louis XIV chassant Fouquet et l’emprisonnant à Pignerol, dans les Alpes, en plein cœur du Piémont ... Mais la Juventus est l’exception qui confirme la règle. Luciano Moggi, un apprenti Fouquet, a voulu l’or de Mazarin dans le Calcio, on connaît la suite ... Erreur de casting chez les Agnelli ? Que nenni ... En 1994, Turin souffrait d’amnésie, le mot Scudetto était rayé de la carte, absent de son vocabulaire. Intolérable constat de désolation pour la Vecchia Signora ... Douze ans plus tard en 2006, la Vieille Dame, jambes en charpie à l’âge canonique de 109 ans, passait une année au purgatoire, payant cash sa cure de jouvence trop belle pour être 100 % vraie ...

Rois, dauphins, ministres, capitaines de garde, le même sang coule dans leurs veines ... Echauffements grassement payés par l’UEFA et les télévisions de septembre à novembre, coup d’envoi de la compétition en février, couronnement du roi d’Europe en mai ... 

Panem et circenses ... Du pain et des jeux ... Dindons de la farce, les téléspectateurs européens méritent mieux que ce virage "foxien" pris par son football pour l’équinoxe d’automne, aux antipodes de celui de printemps où la magie resurgit de plus belle, où le lapin sort de nouveau du chapeau.

Crime de lèse-majesté chaque année aux équinoxes de fin septembre, aussi peu de suspense qu’au Cluedo. On connaît le lieu du crime, Nyon, le coupable, l’UEFA, et l’arme, le stylo ayant signé le nouveau règlement de la Ligue des Champions ...

Mais, bien que fossoyeur en chef du rêve européen, le Suédois Lennart Johansson, voilà presque deux décennies, n’a fait que copier la vieille recette de Joao Havelange, le Brésilien ayant inauguré en 1974 la formule d’une compétition aux phases de groupes hétérogènes et sans saveur remplaçant les matches couperet des quarts de finale (et tant pis pour les nostalgiques du merveilleux RFA - Angleterre de 1970, où Gerd Müller et les siens l’avaient emporté 3-2 après avoir été menés 0-2 par les champions du monde 1966), afin de faire fructifier la poule aux d’œufs d’or.

Le sport était sacrifié sur l’autel des intérêts économiques, le cynique Havelange faisait de la Coupe du Monde la prostituée d’Adidas et de Coca-Cola, avec pour lupanar neuf stades d’Allemagne de l’Ouest et le monde entier pour spectateur de cet odieux virage ... Des maisons closes footballistiques télévisées en live, fête perverse et télé-réalité conjuguées pour le meilleur du pire, Eyes Wide Shut (1999) et Loft Story (2001) sont pris de vitesse, que Kubrick et Tavernost s’inclinent devant notre virtuose maquereau brésilien, Havelange ... Le médiocre Brésil de 1974, orphelin de Pelé, sera puni par le destin, Cruyff et les siens se chargeant de les expulser de la fête le 3 juillet 1974.

Lennart Johansson n’a fait que reproduire le modèle, crachant son venin dans l’Europe entière. L’antidote se fait toujours attendre ... Au final, l’UEFA a engendré une compétition étrange, manège aux petits chevaux rouillés à force de tourner en boucle ...

Et cela ne va pas s’arranger, avec le lobbying efficace de l’ECA, dont le président Karl-Heinz Rummenigge n’avait que très modérément apprécié l’affiche Bayern Munich – Juventus Turin (7 titres européens à eux deux) dès les huitièmes de finale de l’édition 2016. L’élargissement à quatre clubs italiens à partir de 2019 va encore favoriser les grands championnats, et renforcer cette consanguinité entre grands clubs ...


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