1980 : Officiellement, les bébés ne souffraient pas !

par emmanuel muller
samedi 8 juin 2013

On peut lire ici « En fait, la question, jusqu’au milieu des années 80, ne se posait même pas. Le petit enfant, disait-on, était trop immature, la douleur ne pouvait pas être ressentie et, même s’il la ressentait, il n’en souffrait pas comme un adulte, et sûrement l’oubliait très vite [4]. »

Oui, 1980, la moitié des pédiatres en exercice auourd'hui ont suivi leurs études avant ...

C'est par ce que j'ai été hospitalisé bébé à cette époque que j'ai redécouvert ce fait inimaginable mais vrai, qui permet de méditer sur la façon dont le deni collectif et institutionnel fonctionne.

Nous sommes nombreux dans les rues, à nous croiser sans savoir que nous avons été hospitalisés tout petits avant que la douleur du nourrisson ne soit reconnue officiellement, et bien peu à avoir un peu conscience de ce qu'on à bien pu y vivre. Petit chassé croisé entre des extraits de cet article qui relate les faits historiques, et quelques éléments rattachés à un vécu singulier, rapporté ou retrouvé subjectivement, le mien.

1983, une des premières grilles d'évaluation comportementale pour les enfants porteurs de cancer. En 1985, Patrick MacGrath, à l'hôpital canadien de l'Eastern Ontario, à publié une grille destinée à l'enfant opéré. Par la suite, sont apparues de nombreuses autres grilles d'observation comportementale pour la douleur aiguë chez le nouveau-né et le nourrisson.

1977, c'est la date où moi j'ai été hospitalisé. 5 mois et demi, hématome sous dural. Pronostic vital engagé. Pas de grille d'évaluation, je suis posé en vitrine derrière de grandes baies vitrées, pour être bien vu ... face aux spots du plafond. Longtemps après être sorti de l'hôpital je hurlais et je me mettais dans des états pas possible à la simple vue d'un spot plus ou moins semblable m'a-t-on dit.

1987, c'est la date charnière. Non pas de la prise de conscience généralisée, loin de là, mais de la parution clé de l'anesthésiste pédiatrique K.J.S. Anand qui a mis en évidence que le système nerveux du nouveau-né et du prématuré peut véhiculer les messages nociceptifs de la périphérie jusqu'au niveau cortical. En claire que le bébé peut souffrir. C'était jusque là non scientifique !

1977, un autre bébé partage mon bocal, lui avait un psoriasis, et hurlait en continu, jour et nuit, jusqu'a épuisement. Je me demande comment tu pouvais supporter ça m'a confié ma mère récemment. C'est simple lui ai-je répondu, je ne supportais pas. Et aujourd'hui encore je ne supporte toujours pas les pleurs de bébés. J'ai mis très longtemps à comprendre pourquoi.

1998 l'Unesco, présente : « La douleur de l'enfant. Quelles réponses ? », le résultat d'une enquête en france. Dans le cadre de cette étude, l'utilisation régulière de grilles d'observation comportementale, indispensable pour évaluer la douleur des enfants de moins de 6 ans, n'a été constatée que dans 16 % des services. Seulement 50 % des services de chirurgie utilisent la morphine. La douleur et la détresse provoquées par les endoscopies restent encore insuffisamment contrôlées : la sédation profonde ou l'anesthésie générale, majoritairement employées chez l'adulte, ne sont utilisées que dans 33 % à 42 % des centres concernés. Un service de médecine sur cinq dispose d'un protocole antalgique pour la réalisation de ponctions lombaires.

1977, pas de ponction lombaire pour moi, mais sous crânienne. Une seringue plantée dans le crâne pour faire des ponctions du liquide céphalo-rachidien. Une mère à raconté à la mienne que c'était dur de les voir me tenir au sol, à quatre adultes, pour arriver à faire cette piqûre par ce que je me débattais trop.

Si la douleur est parfois difficile à reconnaître, force est d'admettre qu'elle fut aussi longtemps niée. Cette négation s'est appuyée sur l'idée, dominante au sein du corps médical, que le jeune enfant était incapable de percevoir la douleur. On a ainsi longtemps prétendu : « L es mouvements et les cris observables lors de stimulations douloureuses témoignent uniquement de phénomènes réflexes . »

2005-2010 environ, je me dégarni, et je retrouve sur mon crâne la déformation due à la seringue qui me fait comme une toute petite crête sur le haut du crâne. Un peu plus bas il y a aussi la déformation due au choc de la paillasse contre laquelle la "soignante" de la crèche m'a cogné. Ma soeur l'a vue, et rapporté, et encore confirmé récemment, mais l'hématome sous dural dont je souffrais est plus couramment le symptôme des enfants secoués. Alors le personnel soignant regardait ma mère bizarrement, comme un hypothétique monstre ... lui qui me traitait selon toute vraisemblance comme un être non souffrant.

1987, l'anesthésiste pédiatrique K.J.S. Anand cité plus haut publie dans le Lancet, une étude en double aveugle où certains enfants prématurés ne bénéficiaient pas de vraie anesthésie lors d'une opération chirurgicale intrathoracique. [ Oui vous avez bien lu et ho surprise : ] Un premier groupe qui n'avait reçu qu'un curare provoquant une paralysie des muscles et une inhalation d'oxygène et de protoxyde d'azote gaz de trop faible puissance antalgique dans cette situation avait développé une réaction majeure de stress postopératoire. En revanche, les complications furent significativement plus rares dans le groupe ayant reçu un anesthésique.

Hier j'ai regardé hatufim sur arte, une serie israëlienne qui a inspiré homeland, sur le retour de personnes détenues et torturées sur plus d'une décennie. C'est fou ce que ça peut me faire. Oh, je ne me compare pas, je ne compare pas les souffrances, mais ça me parle émotionnellement d'une chose dont aucun de mes contemporains ne peut me parler, et réciproquement d'une chose dont je ne peux parler à personne, un peu comme eux.

Heureusement, la situation commence à changer [ texte de 2000 ] Depuis 1997, les médecins ont le droit de prescrire de la morphine aux enfants de moins de 30 mois

Ce week end encore quand j'ai essayé d'expliquer à une tante que je redécouvrais une part inconnue à moi même de mon histoire qui explique des problèmes présents, et elle m'a vite interrompu pour me dire "oh je sais ce que sais que la souffrance, crois moi j'ai souffert."... J'ai pensé en moi même que comme mes "soignants" de l'époque elle n'a pas les moyens pour comprendre, pour encaisser ce dont il est question. J'ai sûrement acquiescé poliment.

La prise en charge de la douleur de l'enfant nécessite des modifications profondes de notre culture soignante ; il faut désapprendre des conceptions erronées qui ont longtemps validé l'abstention thérapeutique antalgique.

Sur mon carnet de santé n'il y a en tout et pour tout que deux lignes : date d'entrée, et un mois plus tard, ponction blanche, date de sortie. C'est tout. Pourtant c'est la seule preuve, preuve que ma mère avais conservé précieusement. Quand elle me l'a donné définitivement et quant mon père l'a vu il m'a expliqué sa version : Ils ont eut très peur, mais un spécialiste, ami de son père, leur avait dit que c'était rien. Il a certainement cru me rassurer comme lui a été rassuré à l'époque. Le pédiatre qui me suivait, lui, a dit à ma mère que j'étais un miraculé.

Nous sommes nombreux dans les rues, à nous croiser sans savoir que nous avons été hospitalisés tout petits avant que la douleur du nourrisson ne soit reconnue officiellement, et peut être à partager des espèces de symptômes poste traumatiques très singuliers par ce que liés à des traumatismes précoces. Mais nous ne sommes pas nombreux à en connaître, un peu, les origines. Après la reconnaissance de la douleur celle des effets secondaires de sa non prise en charge n'est pas encore à l'ordre du jour.


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